La rentrée des marchés boursiers a été pour le moins chahutée par plusieurs éléments politiques mondiaux déstabilisateurs. Les investisseurs redoutent en effet que les tensions commerciales ne dégénèrent en une guerre économique préjudiciable aux économies chinoise et américaine. «Le ralentissement économique en Chine pourrait s’accentuer. Un ralentissement plus marqué alimenterait dès lors l’anxiété sur les marchés financiers.

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En outre, il n’est pas impossible que la Réserve fédérale américaine relève ses taux d’intérêt plus rapidement que prévu. Selon notre opinion, le relèvement des taux américains sera graduel. Cependant, l’accélération de l’inflation pourrait obliger la Fed à passer à la vitesse supérieure, pénalisant ainsi la croissance aux Etats-Unis et les pays émergents fortement endettés en dollars», prévient ainsi Philippe G. Müller.

Le stratège d’UBS envisage également une flambée des cours du pétrole. «Déjà soutenu par la forte croissance de la consommation et la baisse des exportations iraniennes dues aux sanctions décrétées par les Etats-Unis, le baril de pétrole pourrait être propulsé à 120 dollars en cas de choc sévère sur l’offre.» Les pays émergents risquent donc de recevoir de plein fouet ce lot de mauvaises nouvelles.

Boom des technologies asiatiques

«Conséquence de la guerre commerciale, les marchés émergents devraient connaître un trimestre quelque peu turbulent. La livre turque et le peso argentin qui dégringolent sont d’autres facteurs inquiétants», renchérit Kim Catechis, responsable des marchés émergents chez Martin Currie, cité sur Allnews.ch. Il voit néanmoins des opportunités d’investissement dans certains secteurs. «Nous aimons la thématique de la consommation. Nous favorisons les entreprises exposées au thème de la croissance inexorable de la classe moyenne. Cela nous a conduits au secteur technologique en Asie. La technologie restera un moteur important dans ces pays, car le développement rapide de nouvelles applications va créer d’importantes opportunités commerciales.»

Opportunités dans certains secteurs

Wim Van Hyfte, directeur de la recherche chez Candriam, nous donne également son avis sur les pays émergents: «La faiblesse des taux d’intérêt rend les obligations des pays développés moins intéressantes dans le contexte actuel. Les investisseurs se tournent de plus en plus vers les obligations des marchés émergents. Les produits associés continuent d’attirer de nombreux capitaux, et les rendements de 5 à 5,5% des obligations libellées en devise forte (volatilité de 4 à 6%) et des obligations en devise locale (volatilité de 9 à 10%) restent réalistes en 2018. L’appréciation des devises locales devrait par ailleurs se traduire par une hausse de 2 à 3% des rendements.»

S’ensuit toutefois une mise en garde: «En dehors du rendement et de la volatilité, des critères non financiers sont de plus en plus pris en considération lors des décisions d’investissement. Les économies émergentes sont généralement soumises à une volatilité et à un risque politique plus importants. D’un point de vue durable, si ces pays sont confrontés à des défis spécifiques sur les plans environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ils offrent dans le même temps de belles opportunités d’investissement sur le long terme. L’intégration de ces critères ESG permet d’investir de manière durable et rentable dans l’une des classes d’actifs les plus intéressantes qui existent.»

Les marchés émergents devraient connaître un trimestre turbulent.

Kim Catechis, Marchés émergents, Martin Currie

Selon l’expertise de Wim Van Hyfte, les pays industrialisés ont connu un contexte similaire il y a une vingtaine d’année, et les économies émergentes rattraperont leur retard en un rien de temps. A ce propos, dans leurs objectifs de développement durable, les Nations unies recommandent de ne pas uniquement tenir compte des données économiques d’un pays mais également de sa volonté de promouvoir de manière explicite le développement durable, nous est-il précisé.

Benjamin Melman, directeur allocation d’actifs chez Edmond de Rothschild Asset Management, redoute pour sa part la volatilité. «La liquidité mondiale ralentit, la contraction du bilan de la Fed étant pour l’heure la principale raison de ce processus, ce qui n’est pas sans expliquer une partie de la forte volatilité des devises émergentes. Les crises en Argentine et en Turquie affectant leurs actifs, dont les origines sont à la base purement locales, ne peuvent pourtant pas être uniquement considérées comme l’addition de phénomènes séparés: ces deux pays par ailleurs si différents partagent d’importants déficits de la balance courante et représentent la fragilité intrinsèque des pays émergents. Dans un contexte monétaire américain qui se tend et avec un dollar qui se renforce, les pays émergents les plus déséquilibrés sont en première ligne.»

Focus sur l’Angola et le Mozambique

Quel pourrait être alors l’impact de ces mouvements? «Etant donné que la poursuite du resserrement monétaire américain semble solidement ancrée pour les prochains mois, la question de l’irruption d’une «crise émergente» se pose. On ne peut donc exclure davantage de volatilité.»

Quelques pays émergents sont suivis de très près par un acteur bancaire important en Afrique, Millennium Banque Privée. Cette banque est présente à Genève avec 70 collaborateurs et son responsable du desk Afrique, José Dias Coelho, nous a longuement parlé de deux pays en particulier, l’Angola et le Mozambique. Pour lui, ils recèlent de grands potentiels. «La crise que vivent de nombreux pays subsahariens en raison de la baisse vécue du prix du pétrole et du gaz offre plus que jamais de réelles opportunités d’investissement. C’est notamment le cas en Angola et au Mozambique», confirme-t-il tout en mettant en garde.

«Investir en Afrique subsaharienne n’est pas sans risque. Les raisons sont un secteur financier quasi inexistant, un contrôle accru du mouvement des capitaux, des économies fermées et/ou encore largement nationalisées et des démocraties fragiles. Mais des pays aussi différents que l’Angola et le Mozambique ont tout pour se faire une place dans l’économie mondiale. Plusieurs signaux indiquent en effet que, aujourd’hui plus que jamais, il est temps d’y investir pour ne pas manquer le train.»

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José Dias Coehlo, Millenium Banque Privée 
© DR

Bien qu’encore très peu diversifiées et offrant peu de valeur ajoutée, ces économies comptent sur les richesses de leur sous-sol, en particulier le pétrole, le gaz naturel et les minerais. Mais le spécialiste prévient: il faut viser le long terme en investissant dans des petites et moyennes entreprises et ne pas agir dans une logique à court terme de trading, inintéressante pour ces pays. La banque soutient par exemple les entrepreneurs et investisseurs, non pas par une stratégie classique de private equity, mais en les mettant en relation en fonction de leurs intérêts communs, afin de créer des synergies et stimuler le développement de leurs projets en Afrique.

Travailler avec un partenaire local

«Au Mozambique, la découverte offshore d’un immense champs de gaz offre des perspectives très positives. Nous soutenons d’importants investissements notamment dans les transports et la pharmaceutique, en particulier un projet d’infrastructure de production de médicaments génériques», poursuit José Dias Coelho. Quant à l’Angola, son potentiel semble très important. Le pays est la deuxième économie d’Afrique subsaharienne avec un PIB de 102 milliards de dollars et une croissance annuelle d’environ 6% entre 2000 et 2016.

«La crise liée au bas prix du pétrole, dont le pays est le 2e exportateur d’Afrique, a incité le gouvernement à s’ouvrir et à chercher des solutions. Il a notamment modifié la loi sur l’investissement privé pour permettre à des investisseurs internationaux de posséder 100% d’une compagnie. Les difficultés économiques en Angola, et au Mozambique, ont paradoxalement tout pour devenir une force. Que ce soit dans le tourisme, l’agriculture, la logistique, la santé ou encore l’industrie agroalimentaire et les infrastructures, ces pays ont tout à améliorer. La demande est donc là.»

Selon le stratège de Millenium, le meilleur moyen est de trouver un partenaire local, une PME ou un grand groupe, qui propose un véritable projet de développement. «Quelle que soit sa taille, trouver un partenaire local reste la clé de tout investissement, malgré la pression sur les bénéfices que cela engendre. Bonne connaissance des institutions locales, bien introduit dans les différents réseaux de distribution et centres de consommation, ce partenaire est quasi obligatoire pour entrer sur le marché et développer ses affaires.» José Dias Coelho conclut sur une note volontariste: «L’Angola et le Mozambique sont un terreau fertile pour les affaires à long terme. Au-delà des clichés qui effraient encore certains investisseurs, les opportunités sont là. Et maintenant. L’important est d’être bien conseillé. Et d’oser franchir le pas.»

 


Le pétrole dans tous ses états

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Les pays émergents sont souvent dépendants du fameux or noir. Or le pétrole est en pleine hésitation. 
© iStockphoto

Les pays émergents sont souvent dépendants du fameux or noir. Or le pétrole est en pleine hésitation. De multiples événements ayant des effets opposés sur les prix du brut entrent en collision, mettant les négociants de pétrole brut dans une situation difficile. Cet été, les prix du pétrole étaient confrontés aux fortes résistances du mois de juin 2018, période au cours de laquelle les stocks de brut américains ont chuté à leur plus bas niveau depuis deux ans et les risques d’approvisionnement du Venezuela et de l’Iran étaient des facteurs majeurs de cette hausse.

Cependant, la tendance devrait s’inverser à nouveau, selon une analyse de Swissquote. Celle-ci estime que la toile de fond n’a fondamentalement pas changé. Les sanctions américaines contre l’Iran sont prévues pour le 1er novembre 2018. En outre, les inquiétudes concernant l’offre de pétrole américain continuent de s’intensifier, notamment en raison de l’ouragan Florence et de la tempête tropicale Gordon. De plus, les données récentes sur les stocks de pétrole aux Etats-Unis confirment une baisse continue des stocks, qui s’établissent à –5,3 millions de barils.

Le récent rapport de l’OPEP a confirmé une nouvelle chute de la demande mondiale de pétrole pour 2019, en baisse de 20 000 barils par jour par rapport au rapport précédent, une annonce qui a fait baisser les prix du pétrole. Néanmoins, l’Agence internationale de l’énergie basée à Paris a annoncé exactement le contraire (!), avec un fort équilibre entre l’offre et la demande et une demande plus élevée pour 2019 par rapport à 2018, suggérant ainsi que les stocks de pétrole devraient continuer à baisser. La réunion de l’OPEP du mois de septembre donnera plus d’indications aux investisseurs, mais l’or noir reste toujours aussi influent sur les marchés émergents.

 

 

EdouardBolleter
Edouard Bolleter