Pour Antoine Gaillard, fondateur et président de Génération2Motards – près de 1500 membres, dont quelque 200 femmes –, la moto permet de casser les barrière sociales et de ne créer qu’un seul groupe: le groupe des motards. «Je constate que dans la vie de tous les jours, les jeunes sont avec les jeunes, les vieux avec les vieux, les banquiers avec les banquiers, confie-t-il. Or, que vous soyez PDG, chômeur ou SDF, que vous ayez une petite ou une grosse moto, une sportive ou pas une sportive, que vous pratiquiez l’enduro ou le circuit, peu importe, l’idée est qu’on fait tous et toutes de la moto.»

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En 2011, année de la création de l’association basée à Chêne-Bougeries, il n’y avait qu’une femme dans le groupe, une copine d’Antoine. «Chaque fois qu’une nouvelle débarquait, c’était un véritable événement. On sait aussi que c’est plus compliqué pour une fille seule qui souhaite rouler avec un groupe de dix bonhommes organisateurs d’une balade. Ça peut être intimidant, même pour un homme… C’est la raison pour laquelle on prévoit chaque année une «journée filles». On leur concocte un itinéraire surprise, avec une activité à la clé. Ça crée des affinités, et ça peut leur donner envie d’aller rouler avec une autre fille rencontrée lors de cette journée. L’idée est de davantage les impliquer.»

Et Antoine de balayer d’un revers de la main préjugés et clichés: «Certains hommes demeurent perplexes à l’idée qu’une fille puisse faire de la moto. Une attitude qui s’explique peut-être par l’historique du monde motorisé. Le biker, c’était ce rebelle affichant ce côté un peu viril, un peu rustre. Pour ma part, j’encourage les filles à pratiquer la moto. On compte dans nos rangs un petit brin de fille qui en a mis KO plus d’un sur la route. Quelques-unes sont engagées cette année en Championnat de France de vitesse. Contrairement aux idées reçues, une fille roule aussi bien qu’un homme, et parfois beaucoup mieux. Ça impose le respect. Il y a une forme d’admiration autour de la motarde.»

Les chiffres le confirment: l’association des importateurs Motosuisse estime entre 15 et 20% la proportion de femmes au guidon d’une moto en 2018, chiffre en constante augmentation. Portrait de trois d’entre elles.

Josiane, une pionnière

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© DR

C’est en 1968 que Josiane Demelais enfourche sa première bécane, une petite Honda 150, bientôt suivie d’une CB 250 dont le réservoir a été modifié par ses soins: «J’habitais à Vuarrens, à 100 mètres du garage de Gilbert Piot, et bien sûr j’étais tout le temps là-bas. L’odeur, le bruit, tout m’attirait…»

Josiane se marie en 1972, et son époux se tue trois semaines après en tombant d’un toit. «Il faisait beaucoup de moto. Il avait une Suzuki 250 jaune que j’ai gardée quelque temps. Je roulais en compagnie d’une fille, Marie-Claire, qui avait acheté la même Suzuki, mais en bleu», raconte ce petit bout de femme de 1,57 mètre pour 45 kilos («J’ai toujours eu le même poids!») A 68 ans, elle se souvient de ses premières balades entre filles: «A l’époque, il n’y avait en fait que cette Marie-Claire et moi, et on avait presque honte. On ne s’arrêtait pas au bistrot parce qu’à cette époque-là, je vais vous dire franchement, ils disaient que les nanas qui faisaient de la moto, c’étaient des gouines.» Heureusement, le regard de la société a changé: «J’ai croisé l’autre jour une fille à la vallée de Joux, pas plus grande que moi, peut-être un petit peu plus lourde. Elle avait prévu un kit de rabaissement sur sa petite Yamaha R6. Je me suis dit: nom d’une pipe, c’est une petite machine à tuer, ça!»

Au sortir d’une expérience sentimentale malheureuse, Josiane part s’installer à Yverdon à 50 ans: «C’est là que j’ai racheté la Hornet 600. C’est une échappatoire. Pendant que vous êtes là-dessus, au moins vous ne pensez à rien.» Et de nous montrer la photo où elle pose en compagnie de Giacomo Agostini, son idole croisée dans un aéroport. Malgré les petits bobos qui l’ont contrainte à renoncer provisoirement à la moto, la fièvre n’est pas encore retombée.

«Vous tournez la poignée, vous avez toujours envie d’aller plus vite, c’est infernal! Et puis deux ou trois fois vous vous foutez par terre, vous vous calmez, quoi, dix jours? Et tout à coup, vous avez un copain qui se tue. Vous arrêtez trois semaines et puis ça repart. C’est un virus! A mon baptême, j’étais déjà sur une Jawa avec mon père. J’ai toujours rêvé de posséder une Ducati, mais je ne l’aurai jamais. Mais si je pouvais dénicher une Suzuki basse, un peu dans le style de la Hornet, je m’y remettrais. Pour le moment, je boite encore un peu à cause de ma prothèse de genou. Et c’est clair que le siège de passager ne m’intéresse pas…»

Corinne, fan de Johnny

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Corinne Treidel: "La moto, c'est la liberté!"
© DR

«Avec trois enfants et un travail à 80%, il y a toujours un certain stress. La moto, c’est la liberté! Je suis dans mon monde, ça me change les idées, ça me donne la pêche.» Spécialisée dans les allocations familiales, Corinne Treidel travaille au Centre patronal, à Paudex. La famille, c’est sacré pour cette quadragénaire qui vient d’équiper sa belle Harley-Davidson d’une deuxième selle pour ses deux filles de 16 et 18 ans. Elle a pratiqué la moto de 18 à 22 ans, jusqu’à ce petit accident qui a mis fin à son idylle avec une Yamaha DT. Rien de commun avec sa monture actuelle, une Harley-Davidson Sportster SuperLow 883.

«Dans la gamme Harley, la 883 fait partie des petites cylindrées. Je crois qu’elle a cartonné auprès des femmes, d’ailleurs je n’ai jamais vu d’hommes avec. Je m’étais dit que si je reprenais une moto, ce serait une Harley ou une Ducati. J’ai essayé, et je me suis sentie tout de suite plus en sécurité sur la Harley. Quand on roule, le poids ne compte pas vraiment, mais lorsqu’il s’agit de parquer, de reculer ou de grimper sur un petit trottoir, le facteur légèreté entre en ligne de compte. Et puis, l’appui sur le guidon me convenait mieux, d’autant que j’avais toujours cette petite douleur au niveau du scaphoïde, suite à mon accident en Yamaha.»

Une certaine crainte au moment de remonter sur une moto, une vingtaine d’années après? «J’y vais assez doucement. D’ailleurs, mon fils me dit que je roule comme une mémé. En fait, je suis une motarde de l’été, ce qui signifie qu’il me faut un minimum de 15 degrés. Par contre, j’ai abandonné les shorts, que je mettais à l’époque. Entre nous, c’est davantage parce que les pots me brûlaient que par sécurité… Je suis également une fan des petites robes. Lorsque je viens au Centre patronal à moto, j’en ai toujours une dans mon sac à dos et je me change en arrivant au travail…»

Corinne a aussi su adapter sa moto pour la rendre plus confortable: «Avec une Harley, c’est toujours comme ça, on achète une base à un prix convenable, et après on commence à ajouter des fioritures. J’ai choisi une selle plus incurvée, j’ai changé les poignées et j’ai fait rallonger les commandes au pied, parce que j’ai des longues jambes.» La sonorité typique? «Le pot de base ne donnait pas grand-chose, je préfère ce petit ronron. C’est peut-être un peu bête, non?» Un son à déguster de préférence en rase campagne. En attendant l’Amérique, et plus précisément la Route 66: «Je m’offrirai peut-être ça pour mes 50 ans. Mais j’ai envie de faire tellement de choses. J’aime vivre, tout simplement.» Une philosophie bientôt résumée sur sa Harley, au côté du petit cœur fabriqué par son fils: «J’ai prévu en effet une autre petite personnalisation: «Vivre pour le meilleur», des paroles de Johnny Hallyday, un motard Harley.»

Céline, avis d’experte

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Pour Céline Renevey, la moto est aussi un facteur d’émancipation féminine.
© DR

Responsable marketing chez Honda Motor Europe, Céline Renevey est d’abord une passionnée de moto, comme l’attestent sa pratique de la piste et son expérience de coach. Premier constat, les constructeurs ne conçoivent pas des modèles spécifiquement pour les femmes: «Les gammes s’étendent depuis plusieurs années pour cibler un public plus large, dont les jeunes conducteurs et les femmes, mais c’est davantage une question de gabarit. D’ailleurs, je ne crois pas que ça marcherait. Souvent on aime bien se démarquer, certaines vont ajouter une touche de féminité sur leurs motos, mais on veut avant tout être considérées comme faisant partie de la communauté.»

La pratique de la moto comme facteur d’émancipation? «C’est mon impression, même si je ne veux pas me faire la voix de toutes les femmes. Dans la région genevoise, l’association Toutes en Moto utilise aussi la moto pour défendre les droits des femmes. Des rassemblements sont organisés auxquels participent également de nombreux hommes. La moto, c’est pour certaines un moyen de s’affirmer. Et c’est chouette de voir de plus en plus de femmes qui roulent, jeunes ou moins jeunes. Elles commencent à tout âge à passer leur permis, souvent ce sont des vieux rêves qu’elles n’ont jamais osé réaliser auparavant.»

Et ça tombe bien puisque les motos sont de plus en plus adaptées: «Oubliés les modèles qui vous envoyaient valser, les coups de pied au cul à 6000 tours. L’électronique aidant, les motos actuelles sont de plus en plus sûres et de plus en plus sympas à rouler. Certaines technologies innovatrices comme le DCT (transmission à double embrayage), notamment, procurent des sensations de conduite uniques et font que ça devient beaucoup plus abordable.» Reste qu’il y a toujours cette appréhension pour celles qui n’ont jamais pratiqué la moto.

Même s’il n’existe pas de modèles spécifiques, Céline reconnaît que certains deux-roues sont mieux adaptés à la gent féminine: «Ce qui nous convient davantage, de par notre gabarit, ce sont des motos légères avec une hauteur de selle un peu plus basse, histoire d’être plus confiante sur la moto. J’ai appris à plusieurs filles à rouler, et j’ai constaté que, souvent, elles n’osaient pas acheter tout de suite une moto. Elles essaient d’abord le modèle de leur homme, souvent des gros cubes assez lourds et pas forcément adaptés. J’adore leur apprendre à rouler sur des Monkey [un petit modèle monoplace de la gamme Honda qui vient de ressortir, ndlr]. Le but est d’enlever ce facteur stressant de hauteur et de poids durant la période d’apprentissage pour se concentrer uniquement sur le maniement, la gestion de la poignée des gaz, de l’embrayage, du freinage… Une fois ce cap passé, elles gèrent, quelle que soit la puissance ou la cylindrée!»

L’équipement aussi a fait d’énormes progrès: «On trouve de plus en plus de casques et de vêtements adaptés aux femmes, au niveau du design, des tailles et de la morphologie. Sur le plan de la sécurité, les innovations ont fait un bond en avant, tels que les systèmes d’airbags, du haut de gamme d’Alpinestars, déjà sur le marché, en passant par l’airbag compatible avec tous les blousons d’Ixon, bientôt disponible. Et pour les pistardes aussi: «Des combis cuir une pièce, c’était difficile d’en trouver pour les filles il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, pratiquement toutes les marques s’y sont mises…»

Parmi les initiatives intéressantes, le Bal des débutantes, organisé par Harley-Davidson Lausanne les 16 et 17 juin, au Centre TCS de Cossonay. Au menu: des initiations à la pratique de la moto, exclusivement réservées aux femmes.

 

 

PT
Pierre Thaulaz