Il n’y a pas grand-chose de commun entre une voiture des années 50 et un véhicule semi-autonome d’aujourd’hui. Les mécatroniciens du troisième millénaire ont certes des compétences et des outils sophistiqués leur permettant de diagnostiquer les petits bobos électroniques, mais sont-ils encore capables de faire de la vraie mécanique? Qui, de nos jours, connaît encore sur le bout des doigts les réglages des carburateurs Weber? Un savoir qui se perd, alors que dans le même temps, le parc des «oldtimers» (véhicules de plus de 30 ans d’âge) ne cesse de grandir – 70 000 véhicules immatriculés en Suisse, sans compter les voitures «parquées» dans des collections.

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Redonner vie à ces petits bijoux

Les mécaniciens à l’ancienne, censés redonner vie à ces petits bijoux, sont de plus en plus âgés et se font toujours plus rares. Et comme ce qui est rare est cher… Conscients du risque de voir les automobiles anciennes rouiller sur leurs quatre roues faute de médecins à leur chevet, nos amis alémaniques ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Première étape: la création en 2011 de la Communauté d’intérêt suisse des restaurateurs d’automobiles (IgFS), chargée d’élaborer les bases d’une formation supérieure de restaurateur automobile, reconnue aujourd’hui par la Confédération.

Les dix premiers brevets fédéraux ont été décernés cette année à Safenwil, dans le canton d’Argovie. Huit hommes et deux femmes ont réussi l’examen final, et cinq participants ont été recalés «pour manque de pratique sur les véhicules anciens». Preuve s’il en est du bien-fondé de cette formation s’étalant sur une durée de deux ans, à raison d’un jour et demi de cours pratiques et théoriques par semaine.

Une formation qui portait en l’occurrence sur la technique automobile, l’une des trois disciplines enseignées, avec la carrosserie-tôlerie et la carrosserie-peinture. La plus prisée aussi, puisqu’elle concerne 80% du travail de restauration. Chapeautée par l’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA), celle-ci se concentre sur les voitures d’après-guerre jusqu’aux années 70-80.

«Pour tous ceux qui travaillent dans un garage moderne, c’était dur», déclare Beat Schmid, membre de l’équipe à l’origine du projet. L’expert nous en dit un peu plus sur la genèse de cette formation: «Tout a commencé il y a sept ou huit ans. J’ai su que le recteur de l’Ecole professionnelle de Baden avait rencontré des gens de la scène «oldtimers» et qu’il avait été envisagé à cette occasion de créer une formation spécifique. Le recteur, que je connais très bien, m’a demandé si j’étais d’accord de participer au projet, ce que j’ai accepté de faire à titre de conseiller. C’est ainsi qu’est née l’IgFS, laquelle regroupe environ 60 entreprises situées en Suisse alémanique, généralement de grands et petits garages spécialistes des voitures anciennes. D’importants donateurs, qui préfèrent conserver l’anonymat, ont également apporté leur contribution financière. En 2014, les grandes associations du pays que sont l’UPSA et l’USIC (Union suisse des carrossiers) ont pu se rendre compte du sérieux de notre démarche et elles ont décidé de nous rejoindre.» L’IgF, l’organisme responsable regroupant l’IgFS, l’UPSA et l’USIC, était fondée…

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En Suisse, on compte 70 000 «oldtimers», soit des modèles datant de plus de 30 ans. Un parc qui ne cesse de grandir.
© DR

Au tour de la Suisse romande

La démarche est d’autant plus sérieuse qu’elle a commencé à faire tache d’huile en Suisse romande. Une première séance d’information s’est tenue le 22 mars dernier au Centre patronal de Paudex. L’occasion pour l’IgF d’expliquer ce qui avait été réalisé en Suisse alémanique. Le modèle choisi, où chaque association demeure responsable de la formation, ne devrait pas effrayer les protagonistes romands. Demeure la complexité de la formation «technique automobile» pilotée par l’UPSA. Cette dernière est articulée selon une succession de modules (moteur, électrique automobile, carrosserie et train de roulement, etc.) répartis sur plusieurs villes – Weinfelden, Zurich, Goldau, Liestal et Baden.

A cela viennent s’ajouter trois modules plus théoriques portant sur le conseil en restauration. Tous ces modules doivent être suivis dans leur intégralité pour prétendre à l’obtention du brevet fédéral, l’objectif avoué étant de bénéficier des 50% de frais de formation pris en charge par la Confédération. Une part non négligeable puisque ladite formation coûte 18 000 francs.

Autant d’éléments qui devraient nourrir les prochaines discussions entre Alémaniques et Romands, prévues cet automne, une nouvelle fois au Centre patronal de Paudex. Une chose est sûre, les futurs restaurateurs d’automobiles romands suivront leur formation dans plusieurs villes, comme c’est le cas en Suisse alémanique. Quatre cantons devraient être concernés par ces cours, Vaud, Genève, Valais et Fribourg.

Assurer la relève pour l'entretien de nos véhicules anciens.

Norbert Wicht, Vétéran Car Club Suisse Romand

On évoque la participation de centres de formation UPSA délivrant des cours interentreprises. Les futurs restaurateurs n’auront donc pas à se déplacer de l’autre côté de la Sarine, si ce n’est pour l’examen final effectué à Berne, au siège de l’UPSA. Le premier du genre pour les Romands devrait donc avoir lieu en 2022. On ne parle bien sûr que de la technique automobile, formation qui pour l’heure intéresse le plus grand nombre. La formation de carrosserie-peinture ne démarrera pas avant 2019 en Suisse alémanique.

Transmettre le savoir des anciens

Président de la commission sportive du Vétéran Car Club Suisse Romand, Norbert Wicht est pleinement conscient de la nécessité de transmettre le savoir des anciens. Pour preuve, des locaux de son bureau d’ingénieurs fribourgeois sont depuis peu réservés aux archives de cette association regroupant 670 propriétaires d’«oldtimers» et de «youngtimers»: «Le premier souci, c’est d’assurer une relève pour l’entretien de nos véhicules. La création de l’IgFS en 2014 va évidemment dans ce sens. La fédération suisse (Swiss Historic Vehicle Federation) a accepté de lancer le même programme de formation en Suisse romande. Mais attention, on ne va pas avoir des classes avec 100 personnes. Cela dit, je pense qu’avec le potentiel représenté par la voiture ancienne actuellement en Suisse romande, il y a de la place pour ces futurs restaurateurs d’automobiles. Après, c’est une question de qualité du travail et de rapports de confiance avec les propriétaires de voitures anciennes. On voit d’ores et déjà de plus en plus de jeunes qui s’installent. Certains ont présenté un stand à l’occasion du salon de l’«oldtimer» OTM, à Fribourg, en mars dernier. Ils n’avaient rien à vendre mais le but était de montrer qu’ils existaient, de nouer des contacts. J’ai appris qu’un ou deux avaient bien rempli leur carnet de commandes. Evidemment, les clients reviendront chez eux à la seule condition qu’ils fournissent des prestations de qualité à des prix corrects. Pour se démarquer d’autres restaurateurs qui jouissent peut-être d’une certaine aura et qui, lorsqu’ils retapent une voiture d’une certaine valeur, ont tendance à avoir le crayon un peu lourd…»

Un patrimoine culturel

L’objectif de la Charte de Turin – adoptée par tous les pays membres de la Fédération internationale des véhicules anciens – est, selon son article 4, que «les véhicules anciens fassent partie intégrante de la vie publique et qu’ils soient perçus comme des éléments de notre patrimoine culturel». «Certaines maisons sont classées, pourquoi pas un patrimoine technique? lâche Norbert Wicht. Une Renault 4CV, une Citroën 2CV, une VW Coccinelle ou une Fiat 500 sont le reflet d’une certaine époque, du développement des relations entre pays, de l’essor économique. L’automobile ne se limite donc pas à l’aspect technique du moteur, de la boîte de vitesses, etc. Elle revêt aussi une valeur patrimoniale et, dans ce sens, mérite d’être préservée. Je m’insurge toujours lorsque j’entends parler de vieilles voitures. On devrait dire voitures anciennes, avec tout le respect auquel elles ont droit. On parle de meubles anciens, d’une maison ancienne. Une vieille maison, ça n’a pas la même connotation, c’est la même chose pour une voiture…»
 


On peut être médecin et… restaurateur

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Les cours portent sur la technique automobile, la carrosserie-tôlerie et la carrosserie-peinture.
© DR

Les bases à avoir

Au sein de la première volée de restaurateurs figurait un médecin qui consacre tous ses vendredis à une entreprise spécialisée dans la réparation de voitures anciennes. Il n’empêche, la formation continue de restaurateur d’automobiles s’adresse en priorité aux titulaires d’une formation initiale technique de réparateur d’automobiles, de mécanicien en maintenance d’automobiles, de mécanicien automobile, de mécatronicien, d’électricien/électronicien sur véhicules, de mécanicien sur machines agricoles et de mécanicien motos. Les personnes titulaires de diplômes professionnels comparables doivent au minimum maîtriser les compétences de réparateur d’automobiles CFC ou de mécanicien en maintenance d’automobiles CFC. Ces bases sont supposées être acquises et ne sont pas répétées dans le cours.

Brevet fédéral

Le cursus de préparation à l’examen professionnel fédéral englobe le cursus «technique» et le cursus «conseil en restauration» (sans examen de certification). Les conditions d’admission à l’examen fédéral incluent au moins trois ans d’expérience professionnelle dans l’orientation correspondante après la formation initiale, dont au moins douze mois d’activité principale dans la branche de la restauration de véhicules. Les candidats ayant réussi l’examen reçoivent le brevet fédéral. Dernière précision: le candidat doit encore réaliser un travail de projet pratique avec documentation écrite, et ce deux mois avant l’examen d’une durée de quinze heures réparties sur une semaine.

PT
Par Pierre Thaulaz