A 66 ans, Bernard Morel est un homme à l’écoute de son temps. Dès le 1er mai, ses quelque 65 employés passeront à la semaine de quatre jours, payés cinq. Une idée que le patron de ValJob, une société romande active depuis 25 ans dans le placement en personnel - essentiellement en intérim - mûrit depuis environ deux ans. 

La semaine de travail de quatre jours séduit moins en Suisse qu’à l’étranger, même si des sociétés, notamment romandes, commencent à la mettre en place. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer?

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Il y a plusieurs raisons à cela. ValJob marche bien - le chiffre d’affaires devrait tripler comparé à 2019, pour atteindre les 100 millions de francs cette année -, j’ai une bonne équipe, bien des tâches ont été informatisées et numérisées, ce qui nous a permis un gain de temps, et enfin, j’ai 66 ans cette année. Je suis père de trois filles, âgées de 19 à 34 ans, et je vois bien que les nouvelles générations n’ont pas le même rapport au travail. A mon époque, on pouvait abattre des semaines de 50, 60 ou 80 heures, c’était normal et accepté par tous. Pour les jeunes d’aujourd’hui, le travail n’est plus une finalité en soi mais un moyen de se réaliser. Tout ceci m’a amené à cette réflexion: on gagne du temps avec la technologie mais pour quoi faire, au juste? Et bien, j'estime que ce temps doit servir essentiellement aux relations humaines.

Concrètement, cela se passera comment à partir du 1er mai chez ValJob? 

Les mots d’ordre sont: flexibilité, rigueur et discipline. Les collaboratrices et collaborateurs auront le choix de prendre comme jour de congé le lundi, mercredi ou vendredi, à raison d’un jour entier par semaine. Il leur faudra veiller à ce que leur équipe soit toujours en nombre suffisant afin d’être disponible auprès de la clientèle sept jours sur 7 jusqu’à 19 heures. Il y a bien sûr les particularités à prendre en compte, comme par exemple les personnes qui travaillent le week-end pour les secteurs de l’hôtellerie, la restauration ou le médical, et il s’agira d’organiser les choses de manière juste, intelligente, tout en restant à l’écoute. L’empathie est aussi le maître mot dans cette démarche. Nous investissons énormément dans les formations continues de nos employés, tant techniques que dans les soft skills. Je pense que d’ici mi-mai, début juin, notre nouvelle organisation interne sera pleinement déployée. 

La semaine de 32 heures est-elle aussi un moyen pour conserver et attirer les talents chez ValJob?

Totalement. L’enjeu est aussi de retenir chez nous les personnes talentueuses et d’en recruter de nouvelles. ValJob paye un salaire à 100% et avec la part variable, cela peut représenter un salaire équivalent à 130% de temps de travail si les objectifs ont été atteints! Je suis heureux de pouvoir compter sur une équipe qui comprend à la fois des jeunes de moins de 30 ans ainsi que des personnes qui travaillent chez nous depuis trois décennies. A noter que 60% sont des femmes. Je suis du reste convaincu que les femmes s'adaptent bien mieux à l’environnement actuel. Leur ego est différent de celui des hommes et elles ont généralement une plus grande facilité à travailler en équipe. 

Avez-vous envisagé que les choses ne se passent pas bien, notamment en impactant négativement votre chiffre d’affaires?

Je le dis sans arrogance aucune mais je suis convaincu que cela va même faire progresser le développement de nos affaires. C’est peut-être naïf mais je pense qu’une PME qui prend ce type de risque suscite de la sympathie auprès de la clientèle. Aujourd’hui, il y aucune entreprise qui ne réfléchit pas à sa stratégie RH, notamment à la semaine de quatre jours. Beaucoup y pense mais peu ose le faire. Nous verrons les réactions mais je suis très optimiste. 

La pandémie a-t-elle aussi joué un rôle dans cette prise de décision, ainsi que dans la marche de vos affaires?

Oui, le covid a joué un grand rôle et j’ai presque honte de le dire, mais il a été très positif sur notre croissance. Très vite, dès le début de la pandémie, j’ai réfléchi aux risques, bien sûr, mais aussi aux opportunités que pouvait amener cette situation de crise à mon entreprise, en essayant d’identifier les secteurs qui allaient surperformer. Comme par exemple dans la restauration, où on a pu observer une forte demande en personnel dans la livraison à domicile en vélo. J’ai à l’époque gardé sous contrat plus de 300 intérimaires alors que tout le monde me traitait de fou. Aujourd’hui, ValJob s’est spécialisée dans des domaines que j’ai identifiées comme extrêmement porteurs: le socio-médical, le marché de la santé des seniors étant en pleine expansion, les services à la personne en général (liés par exemple au e-commerce), la sécurité ou encore dans des activités plus traditionnelles, notamment dans le luxe. Je m'attends cette année à une croissance d'au moins 15% du chiffre d'affaires et dans ce contexte, la semaine de 32 heures sera une grande source de motivation pour mes employés. 

 

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Elisabeth Kim