C’est un processus qui se déroule à l’écart des projecteurs. Il est pourtant d’une importance décisive pour toute la Suisse romande. En 2025, un nouveau président ou une nouvelle présidente succèdera à Martin Vetterli (65 ans) à la tête de l’EPFL. Pôle d’innovation, l'école polytechnique doit relever un défi primordial pour maintenir son aura internationale et son rôle de moteur économique helvétique. Suite à l’abandon des négociations avec l’Union européenne (UE) sur l’accord cadre en 2021, la Confédération a été radiée des programmes clé d’Horizon Europe. Marque mondiale, l’EPFL risque de voir pâlir son étoile.
Cette exclusion barre l’accès de la Suisse aux bourses de l’European Research Council (ERC). Porte-parole de l’EPFL, Corinne Feuz explique: «La Suisse perd ainsi de son attrait pour les meilleurs chercheurs, qui craignent des retombées négatives sur leur carrière. La Confédération a compensé en argent la perte des subventions européennes. Mais cet apport ne répare pas la conséquence la plus grave. L’EPFL se trouve exclue du réseau intégré de spécialistes européens. Depuis, de nombreuses jeunes sociétés prometteuses ont déjà déplacé leurs activités hors de la Suisse.»
Directeur de l’agence cantonale Innovaud, Patrick Barbey prévient: «Cette éviction plonge l’EPFL dans une dynamique négative, dont les conséquences seront visibles seulement d’ici une vingtaine d’années. Comme les meilleurs scientifiques se détournent de la Suisse, l'école apparaît moins souvent dans les publications à fort impact. Cette raréfaction fait reculer l’institution dans les classements et ratings (QS, etc.) des meilleures universités mondiales, ce qui diminue son attractivité.»
L’affaiblissement académique de l’Ecole promet des effets négatifs pour toute la Suisse romande car sa traction économique est conséquente. Selon une étude (L’impact économique de l’EPFL) publiée à la fin 2022 par l'école, les activités ont rapporté 5,8 milliards de francs à l’économie suisse en 2021 (voir infographie). En clair, un franc investi dans l’EPFL rapporte cinq francs au pays sous forme de retombées économiques. Parallèlement, l’EPFL doit aussi surmonter des écueils à Berne.
Le chiffre En février 2023, le Conseil fédéral a décidé une réduction de 2% du budget alloué au domaine des EPF. Les fonds fédéraux à la disposition du domaine des EPF en 2024 devraient se chiffrer à 2,736 milliards de francs.
Quelque 600 millions reviennent à quatre centres de recherche fédéraux situés en Suisse alémanique (PSI, WSL, Empa et Eawag). Les deux EPF se partagent l’essentiel de cette manne, soit plus de 2 milliards de francs, à raison de deux tiers pour Zurich et un tiers pour Lausanne. Une répartition qui reflète la taille des écoles (EPFZ: 25 000 étudiants, EPFL: 12 500 étudiants). La proportion touchée par l’école romande est en augmentation depuis plusieurs années, pointe le Conseil des EPF (CEPF). Celui-ci indiquait en 2019: «Le budget de base de l’EPFL a fait l’objet d’une adaptation structurelle à ses besoins financiers afin de poursuivre avec succès son développement sur le long terme.»
L’avenir de l’EPFL est une affaire éminemment politique. Il est de notoriété publique que les Romands peinent à faire entendre leur voix à Berne, face à des lobbies zurichois dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Conseiller national (PS/Vaud), Samuel Bendahan développe: «La répartition des fonds pour les projets des CFF illustre ce déséquilibre. Les cantons romands restent des parents pauvres, tandis que les grands travaux se sont multipliés outre Sarine.»
Toutefois, pour le politicien, d’éventuelles rivalités entre les deux écoles fédérales ne constituent pas le principal obstacle. «Le problème réside plutôt dans le désintérêt actuel des instances politiques pour le savoir-faire de nos institutions de recherche. L’intégration de la Suisse au réseau européen est essentielle. Or il n’y a aucune volonté politique de sortir de cette voie sans issue.» Au parlement, la droite conservatrice est majoritaire avec l’UDC qui occupe quelque 30% des sièges. Ce parti défend l’idée que les Suisses se «débrouillent très bien tout seuls», à l’écart des grandes alliances. Patrick Barbey analyse: «Les signaux de crise sont encore faibles et faciles à ignorer, alors que ce magnifique fleuron technologique qu’est aujourd’hui l’EPFL est en danger. Lorsque le monde politique se réveillera, il risque d’être très tard.»
Voilà pour les enjeux. Passons au profil du timonier qui devra tenir la barre dans cette tempête silencieuse. Le ou la présidente qui entrera en fonction en janvier 2025 est nommé par le Conseil fédéral, sur recommandation du CEPF. Son portrait-robot tient de la quadrature du cercle. La personne doit être suisse, tout en affichant une expérience à l’étranger dans des institutions de premier ordre. Reconnu dans le monde de la science, ce leader doit aussi connaître l’industrie et le fonctionnement des start-up. Il lui faut encore des capacités de gestionnaire pour administrer un budget dépassant le milliard de francs et des talents de diplomate pour composer avec un corps de près de 400 professeurs.
Proche des milieux de l’innovation, le conseiller national (Vert/FR) Gerhard Andrey souligne: «Il est important que la politique n’intervienne pas dans les affaires de nos institutions scientifiques. Cependant, en ce qui concerne la présidence de l’EPFL, la personne occupant ce poste doit avoir des liens solides avec les acteurs nationaux.»
Le patron de l’EPFL touche quelque 360 000 francs annuels (à titre de comparaison, un professeur ordinaire gagne jusqu’à 250 000 francs). Certes confortable, le salaire du ou de la présidente n’est pas mirobolant non plus face aux rétributions stratosphériques de l’industrie de la tech américaine, par exemple. Un cocktail qui fait venir à l’esprit les mots qui ouvraient chaque épisode de la série Mission impossible: «Voici votre mission, si toutefois vous l’acceptez…»
Encadré
Les antennes en Suisse romande
L’EPFL fédère une recherche effectuée dans toute la Suisse romande. Créé en 2009, l’Institut de microtechnique de Neuchâtel abrite des recherches dans les domaines comme la santé, les microsystèmes, le photovoltaïque ou l’horlogerie. A Sion, le Campus Energypolis ouvert en 2014 à Sion réunit des activités dans l'énergie, l’environnement et la santé. Ouvert la même année, le Smart Living Lab à Fribourg concentre des compétences dans l’environnement du bâti. Enfin, en 2015, le Campus Biotech situé sur l’ancien site Serono à Genève commence ses travaux dans les neurosciences, les neurotechnologies numériques et la santé mondiale.
Chiffres (Ricardo, je vais voir où les placer)
L’EPFL en chiffres
17’000 collaborateurs
12’500 étudiants
370 professeurs
120 nationalités
21 start-up créées en 2022
16e rang mondial dans le classement QS (aux côtés des universités de Princeton et de Yale)
1,1 milliard de francs de budget (dont 4% venant de fonds privés)