Peut-on gérer une portion de ville comme une entreprise? La question peut sembler farfelue, pourtant elle ne l’est pas quand on se penche sur le cas du quartier du Flon. En effet, cet espace de 55 000 m² au cœur de Lausanne, propriété de Mobimo, l’un des principaux groupes immobiliers de Suisse, est géré comme une PME, avec des revenus, des charges, des investissements et des clients à satisfaire. Rencontre avec Teodor Teodorescu, responsable du management de quartier.

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Teodor Teodorescu, le quartier du Flon, c’est une ville ou une entreprise?

Les deux. C’est effectivement une vraie petite ville, puisque nous avons des bâtiments, des rues, qui soulèvent entre autres des défis en termes de mobilité, logistique, déchets, etc. Mais le quartier peut également être comparé à une entreprise, puisqu’il est totalement privé, propriété du groupe Mobimo. Nous avons donc aussi des clients, des budgets, des contraintes de rentabilité.

Qui sont vos clients?

Nous avons des clients B2B, nos locataires, des commerces, des bureaux, des bars et des restaurants, mais nous avons aussi des appartements, des écoles, deux hôtels, bref, une vraie diversité, comme dans toute ville. Cela dit, nous avons aussi des clients B2C, tous les visiteurs, clients de nos locataires, représentant plus de 7,5 millions de personnes par année, qu’il faut attirer et faire revenir dans le quartier.

Comment fait-on pour les convaincre?

Nous avons établi une stratégie au niveau du groupe pour que le quartier du Flon soit attractif. Il est important d’équilibrer différents pôles d’attraction pour les visiteurs, commerciaux, gastronomiques ou culturels, et des espaces publics où les gens peuvent flâner ainsi que des animations ponctuelles. Il nous arrive même de prendre des décisions qui pourraient paraître contre-intuitives dans le cas d’une entreprise, comme le fait de favoriser des espaces publics alors que nous pourrions construire des bâtiments à cet emplacement.

Ce serait pourtant logique: si vous aviez plus d’immeubles, la rentabilité serait plus élevée.

Effectivement, mais c’est un calcul à court terme. Si l’on veut offrir une expérience agréable aux passants, il faut aussi des espaces publics de qualité, où il est possible de flâner. Si vous les supprimez, à terme, le nombre de visiteurs va diminuer, ce qui ne serait pas favorable pour la vie du quartier et nos affaires. Car plus les visiteurs sont nombreux, plus nos locataires ont du succès et sont satisfaits.

Avec tous ses immeubles, ce quartier du Flon, quelle est sa valeur?

Le quartier est valorisé à environ 500 millions de francs dans les comptes de la société. L’essentiel de nos revenus provient de l’état locatif, soit environ 28 millions de francs annuels. Nous avons sur le site quelque 200 baux, dont 28 bars et restaurants, et même 32 appartements.

Avez-vous d’autres revenus que les loyers?

La location d’espaces publicitaires sur le site et parfois la location des surfaces publiques pour des événements. Mais cela ne représente que quelques pour cent de notre chiffre d’affaires.

Et du côté des charges?

Pour l’essentiel, nos charges sont celles de tout propriétaire immobilier. Les rénovations courantes, l’entretien des immeubles, les réparations, etc. En sus, nous avons les espaces publics, la sécurité et la voirie pour tout le site.

Dont vous êtes responsables, en tant que propriétaires de ces espaces publics.

Effectivement, ce sont des services essentiels pour nos clients et pour lesquels nous avons engagé deux entreprises privées, pour la sécurité et le facility management.

Pourquoi ne pas avoir fait appel aux services correspondants de la municipalité de Lausanne?

C’est essentiellement pour des questions pratiques; cela nous permet de contrôler la manière dont ces services sont effectués et la présence des opérateurs sur le site.

Cela veut dire que, par exemple, la police municipale de Lausanne n’est pas efficace pour assurer la sécurité du quartier?

Ce n’est bien évidemment pas le cas; nous collaborons très étroitement avec la police. Mais les missions de la police ne sont pas tout à fait les mêmes que celles que nous demandons à la société chargée de la sécurité. Par exemple, pendant la journée, leur travail est principalement de renseigner les visiteurs. C’est surtout la nuit que les opérations de sécurité proprement dites sont nécessaires. Le fait d’avoir recours à une société privée nous permet de garantir à nos clients ainsi qu’aux visiteurs que ces services sont présents sur le site toute la nuit. Car, tout comme une ville, le quartier du Flon vit 24 heures sur 24.

Nettoyer et sécuriser un espace comme le quartier du Flon, ça nécessite des équipes de quelle taille?

Une vingtaine de personnes pour le facility management et une quinzaine de personnes pour la sécurité. Entre ces deux services, il faut compter plus de 1 million de francs par année.

Ça ne serait pas moins cher d’avoir des équipes à l’interne?

Cela se peut, mais chacun son métier. Nous avons l’humilité de nous dire que quand nous ne savons pas faire nous-mêmes, nous préférons déléguer, plutôt que de proposer des services de moins bonne qualité. Cela nous permet aussi d’être souples et flexibles, avec une toute petite équipe de sept personnes qui s’occupe du management de quartier.

Ça n’est pas beaucoup...

Nous avons décidé de sous-traiter toutes les activités qui ne sont pas notre cœur de métier. Chez Mobimo, nous conservons la gérance, la commercialisation, le marketing, le contrôle des finances. Tout le reste, comme la sécurité ou le facility management, dont nous avons parlé, mais aussi l’entretien des immeubles, la gestion des espaces publicitaires, etc., tout cela est sous-traité à des spécialistes.

Avant ce poste de responsable du management de quartier, vous avez été patron d’une autre PME, Pathé Suisse. Alors, pour vous, gérer cette «petite ville» qu’est le Flon, c’est comme gérer une PME?

Ce n’est finalement pas très différent d’un point de vue opérationnel. Ce n’est pas non plus très différent au niveau des compétences que l’on exige du manager. Nous avons des clients que nous devons satisfaire, avec qui nous devons communiquer, répondre à leurs demandes, anticiper leurs besoins... Mais il y a également une direction financière, avec laquelle nous devons négocier les budgets, et qui exige un certain niveau de rendement. Et si ces budgets ou ces exigences de rendement ne sont pas respectés, si les clients ne sont pas contents et s’en vont, le rôle du manager de quartier sera rapidement remis en question. Comme ce serait le cas pour n’importe quel autre manager d’une PME.

Mais pas comme pour un élu municipal.

Effectivement, c’est l’une des différences entre la gestion d’une ville et celle d’un quartier privé.

OT
Olivier Toublan