Alors que l’administration fédérale reste encore frileuse face à l’hydrogène, comparativement à l’Union européenne, plusieurs acteurs plaident pour accélérer son implantation. Genève, par exemple, a ouvert un crédit d’investissement de 10 millions de francs pour accompagner ce type de projets. De son côté, Innovaud soutient la création du Destinus H2 Park, à Payerne, un centre unique en Suisse. «Il servira de plateforme de test à Destinus, mais sera également ouvert à d’autres entreprises. Cela permettra d’acquérir des compétences et de monter en gamme tout un tissu économique autour de l’hydrogène», se réjouit Patrick Barbey, directeur d’Innovaud.

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Production locale

«Actuellement, la Suisse consomme 13 000 tonnes d’hydrogène par an, détaille Sébastien Fabre, co-CEO de la Fondation Nomads, très impliquée dans la transition énergétique. Le but est de produire localement de l’hydrogène vert, avec l’électricité issue du solaire, de l’eau, des déchets comme le proposent notamment TreaTech ou Hydrospider et le Groupe E.» Nomads fait également partie du collectif derrière GoH! (Generation of Hydrogen), un camion à hydrogène liquide de 40 tonnes conçu par Migros, GreenGT, les SIG et Larag.

En résumé, depuis quelques années, le secteur privé imagine et développe des solutions à base d’hydrogène, pendant que la Confédération tire le frein. Pourquoi une telle dichotomie?

Avantages indéniables et inconvénients minimes 

«L’un des avantages de l’hydrogène, par rapport aux autres énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolien, est qu’il permet de produire de l’énergie au moment où on l’utilise. Il permet de stocker l’énergie renouvelable en surplus avec beaucoup d’efficience», explique Philippe Cordonier, responsable pour la Suisse romande de Swissmem, l’association des industries technologiques. Selon l’étude d’Avenir énergétique 2050 publiée fin 2022, 20% des besoins énergétiques hivernaux de la Suisse pourraient être couverts par l’hydrogène. L’idée est d’utiliser le surplus d’électricité solaire ou éolienne produit durant les beaux jours pour le stocker sous forme d’hydrogène pour l’hiver ou la nuit.

«Autre avantage, l’hydrogène peut être transporté et stocké de manière compacte. Son potentiel d’utilisation est donc important dans l’industrie, les transports lourds et la production d’énergie.

Bémol important, une infrastructure dédiée à l’hydrogène (stations de recharge, réservoirs...) est à développer en Suisse. Par ailleurs, la fabrication de l’hydrogène vert est coûteuse et dépend du prix de l’électricité. La densification de la filière diminuerait le prix. «L’hydrogène est acheminé à Payerne en train ou en camion, principalement depuis l’Espagne. Nous le stockons sous forme liquide dans un réservoir à -250°C. A terme, nous souhaitons produire nous-mêmes pour le site de Payerne», mentionne Tim Moser, ingénieur en chef de Destinus.

Le transport de l’hydrogène, c’est justement ce qui intéresse la start-up vaudoise Neology. Son CEO, Aris Maroonian, travaille sur une solution disruptive de création d’hydrogène grâce au craquage de l’ammoniac. Ce modèle contourne la problématique du stockage sous haute pression (350 ou 700 bars).

Enfin, des inquiétudes subsistent autour de l’explosivité de l’hydrogène, car il est inflammable. «On roule bien avec des voitures à essence et cela ne pose de problème à personne», relève Eric Plan, secrétaire général de CleantechAlps, à Sion, où plusieurs start-up travaillant dans l’hydrogène se déploient. Que l’on soit favorable ou non à l’hydrogène, l’écosystème se densifie. Les Valaisans de GreenGT développent des solutions de piles à combustible à hydrogène, cela pour la mobilité à forte puissance comme les bateaux ou les avions. «L’avantage est qu’il s’agit d’un système léger et compact qui s’insère facilement dans une architecture complexe de moteur», souligne Yorick Ligen, chef de projet chez GreenGT. On considère que le rendement énergétique de ces piles est supérieur à celui des moteurs à combustion interne. Par ailleurs, leur autonomie est plus importante que celle des batteries au lithium.

Intérêt toujours plus présent

A Lausanne, la jeune start-up Beyond Scroll travaille sur des compresseurs sans huile. «Nous intervenons dans le processus de compression à basse pression de l’hydrogène, pour son stockage ou son transport. Notre technologie diminue la consommation d’énergie nécessaire à la transformation de l’hydrogène et fait baisser son coût», explique Marianna Fighera, CEO de Beyond Scroll.

A Avenches, la société GRZ Technologies, spin-off de l’EPFL Valais créé en 2017, développe un système de stockage de l’hydrogène pour des clients industriels. Elle souhaite acquérir une parcelle de 10 000 m2 pour y implanter son usine. Aujourd’hui, la société compte 30 collaborateurs et prévoit une forte croissance.

Les grands groupes aussi s’intéressent à l’hydrogène. Parmi eux, Gruyère Energie et Liebherr, qui ont annoncé l’an dernier la joint-venture Gruyère Hydrogen Power pour produire de l’hydrogène vert pour la région dès 2024. Liebherr avait déjà reçu le Prix Bauma en 2022 pour sa pelle à hydrogène. Autre exemple: le Groupe E, qui a inauguré en octobre dernier la première centrale de production d’hydrogène renouvelable sur le barrage de Schiffenen, qui produira 300 tonnes d’hydrogène par an.

Définitions

H2 vert: produit par électrolyse de l’eau avec de l’électricité d’origine renouvelable.

H2 gris: produit à partir de combustibles fossiles sans capture du CO2. C’est le plus courant.

H2 bleu ou bas carbone: produit à partir de combustibles fossiles avec capture du CO2.

H2 blanc ou naturel: cet hydrogène est présent dans le sol.

TB
Tiphaine Bühler