Pour décrypter les principaux points de cette version révisée et son utilité pour les PME nous avons décidé d’aller à la rencontre du Prof. Dr. Jean-Luc Chenaux, grand spécialiste de la question des opportunités et risques des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour l’activité des entreprises.

« Le Code suisse de bonnes pratiques pour la gouvernance d’entreprise » d’economiesuisse peut-il également servir aux PME ou s’applique-t-il uniquement aux grandes sociétés cotées ?

Comme il l’indique lui-même dans son préambule, le Code suisse de bonnes pratiques (CSBP) s’adresse en premier lieu aux sociétés suisses dont le capital est ouvert au public. Au fil des années, il a néanmoins développé des recommandations dont la plupart peuvent inspirer les PME non cotées en bourse. En effet, il est le reflet de bonnes pratiques, qui constituent pour l’administrateur un « safe harbour » dans la mise en œuvre de son devoir de diligence et de fidélité. Sans avoir la légitimité démocratique de la loi, son caractère largement admis et éprouvé par la pratique permet d’interpréter la portée des devoirs de l’administrateur. Le CSBP reflète bien l’évolution des préoccupations de la société. Alors que la première version de 2002 était focalisée sur la problématique du contrôle des dirigeants par les actionnaires, l’édition de 2023 marque une évolution significative vers la prise en considération des intérêts de l’ensemble des parties prenantes (créanciers, employés, clients, fournisseurs, etc.).   

En quoi les PME pourraient-elles selon vous s’inspirer du Code suisse ?

Sur divers points (notamment les compétences de l’assemblée générale et du conseil d’administration), le CSPB rappelle le cadre légal, qui est naturellement applicable également aux PME. Sur d’autres aspects, le Code énonce des recommandations qui vont au-delà des exigences légales. En particulier, le Code révisé en 2023 met en évidence le fait que les actionnaires peuvent prendre position sur le développement durable de l’entreprise, y compris sur les questions sociales et sociétales ou d’autres objectifs environnementaux. Il souligne également l’intérêt de la diversité au sein du conseil pour favoriser l’intégration de perspectives multiples dans la prise de décision : aussi en élargit-il la portée, au-delà du seul genre, à l’âge, l’expertise professionnelle et l’expérience de ses membres. Le Code évoque également les mesures à adopter pour la gestion des conflits d’intérêts. Or, leur existence peut affecter également, sinon davantage, le processus décisionnel des conseils d’administrations des PME ou des start-ups. De telles recommandations devraient à notre sens inspirer les PME dans leur stratégie et dans leur gouvernance. 

Le Code suisse révisé met la notion de durabilité au centre. La gouvernance des PME est-elle impactée par l’importance grandissante des critères ESG et si oui comment ?

Il faut tout d’abord à saluer cette nouvelle orientation du Code suisse : la mise en œuvre d’une stratégie à long terme, respectueuse des parties prenantes, doit être au cœur des préoccupations des entreprises. Cette évolution se reflète d’ailleurs dans les règlementations suisses, et surtout européenne (en particulier la récente Directive intitulée Corporate Sustainability Reporting Directive, abrégée CSRD), qui prévoient une obligation de reporting extra-financier incombant aux grandes entreprises (près de 50’000 en Europe). Les PME suisses sont d’ailleurs impactées, directement (si elles sont assujetties) ou indirectement, par l’évolution de cette règlementation.  Ainsi, même si elles ne tombent pas dans le champ d’application des obligations de reporting, des PME peuvent être contraintes, en leur qualité de fournisseurs, de livrer les données nécessaires à leurs cocontractants, dès lors que ces derniers sont tenus de publier des informations en matière de durabilité sur l’ensemble de leur chaine de valeur. Ces obligations contractuelles sont formalisées au travers de clauses spécifiques (dites « d’écoulement »), qui peuvent intégrer de telles exigences jusqu’à la sous-traitance.  Nous constatons déjà l’apparition de telles clauses en pratique et leur développement semble programmé. Elles déploieront inéluctablement des conséquences sur l’organisation des PME, qui devront s’adapter pour faire face ces nouvelles obligations, au risque de perdre des clients, voire à terme d’être exclues du marché.   

En Suisse comme en Europe, le cadre législatif évolue rapidement. Les membres du conseil d’administration ont-ils l’obligation de rester informés ? Si comment peuvent-ils rester rapidement informés des dernières tendances et des nouvelles exigences ?

Dans un environnement en forte mutation, la formation continue des membres du conseil d’administration est à notre sens une composante de leur devoir de diligence. L’administrateur n’est pas uniquement recruté pour une expertise particulière ; quel que soit son parcours, il doit être mesure d’appréhender les problèmes de manière transversale. Aussi doit-il être en mesure de comprendre et d’appréhender les défis auxquels sont et seront confrontées les entreprises, qu’il s’agisse de l’évolution digitale, de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle ou encore de la réglementation et des expectatives des parties prenantes dans les domaines ESG. Pour élargir et approfondir les compétences de l’ensemble du conseil et ne pas laisser l’expertise aux mains de quelques spécialistes, il incombe au conseil, singulièrement à son président, d’offrir proactivement à ses membres des opportunités de formation pratique dans ces domaines au travers de workshops, et de mettre à l’agenda du conseil des plages suffisantes de réflexion et de débats sur l’intégration de ces thèmes dans la stratégie de l’entreprise. En tout état, chaque membre demeure responsable de nourrir ses connaissances pour contribuer à l’intelligence collective du conseil et permettre à l’entreprise d’anticiper l’évolution de l’environnement socio-économique, ou à tout le moins de s’y adapter rapidement.  

Basile Dacorogna

Interview réalisée par Basile Dacorogna. Suppléant de la direction romande et responsable de projets concurrence et réglementation  

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