A l’instar de nombreux pays, la Suisse est confrontée à un manque de main d’oeuvre sans précédent, faisant du recrutement un défi majeur pour les entreprises de nombreux secteurs. Plus de 100'000 postes de travail étaient vacants fin 2022. Et la situation ne devrait pas s’améliorer. Si l’on en croit une étude d’Employés Suisses réalisée l’an dernier et citée par Swissinfo, 365'000 professionnels qualifiés devraient manquer d’ici à 2025. L’Union patronale suisse (UPS) évoquait en avril un manque de 500'000 personnes d’ici à 2030. Dans un marché de l’emploi très concurrentiel, comment faire la différence pour attirer et garder ses collaborateurs?

3,1% : Le taux de chômage dans le canton de Vaud à fin avril 2023.

2% : Le taux de chômage en Suisse à fin avril 2023.

DES JUNIOR TEAMS POUR FORMER LA RELÈVE

Seul un jeune Vaudois sur cinq choisit directement la voie de l’apprentissage à la fin de sa scolarité obligatoire. Afin de revaloriser ces formations et assurer la relève, le canton de Vaud a lancé le modèle de la Junior Team, dans le cadre du plan de relance de l’apprentissage (2020). Cette nouvelle approche pédagogique consiste à placer une équipe d’apprentis du même métier sous la responsabilité d’un ou plusieurs formateurs, dont le cahier des charges est pleinement dévolu à cet encadrement. Des Junior Teams sont déjà en place dans plusieurs entreprises et institutions vaudoises formant notamment aux métiers de carrossier, cuisinier, employé de commerce ou médiamaticien.

1. Une nouvelle approche de l’apprentissage

Dan Cottet possède et dirige un garage carrosserie à Echallens, et une carrosserie à Orbe. Pour lui, pas de doute: pour résoudre le problème de la pénurie de main-d’oeuvre dans son secteur d’activité, il faut attirer la relève en bousculant l’approche traditionnelle de l’apprentissage. L’entreprise Garage Carrosserie Dan a mis en place en ce sens une solution innovante, en partenariat avec le canton de Vaud. Elle forme actuellement huit apprentis en carrosserie et un en mécanique.

Vocations à susciter

Si Dan Cottet confirme qu’il est devenu très difficile de recruter dans sa branche depuis une dizaine d’années, il s’agace lorsqu’il entend dire que les jeunes ne veulent plus travailler: «Ils veulent simplement davantage de flexibilité.» Pour susciter des vocations, il intervient régulièrement dans les classes de deux collèges de sa région afin de proposer des visites de sa carrosserie, stages de découverte à la clé. En 2021, il va plus loin et met en place une Junior Team (lire encadré ci-dessus). Elle regroupe tous ses apprentis, sous la responsabilité de deux formateurs entièrement dédiés à cet encadrement, dans des locaux qu’il a fait spécialement aménager pour eux, à Echallens. De quoi former une relève de qualité, tout en assurant la rentabilité de cet investissement grâce à la productivité de la Junior Team et à une subvention du canton les deux premières années. «De grands groupes automobiles sont venus voir comment ça se passe, relève le patron de la carrosserie. J’accueille aussi volontiers mes confrères des autres garages; c’est un modèle qui marche et qui pourrait être généralisé, y compris dans d’autres branches.»

«L’entreprise doit démontrer aux candidats de bonnes conditions de travail, en particulier aux jeunes, plus exigeants vis-à-vis du marché.»

 


 

2. Revaloriser son image

Depuis la crise du Covid-19, 20'000 collaborateurs ont quitté l’hôtellerie-restauration en Suisse. Au service des professionnels du secteur dans le canton, l’association GastroVaud a fait un sondage de ses 1'500 membres au mois de mars dernier: 80% des participants se disent préoccupés par la problématique du recrutement. Le manque de main d’oeuvre concernerait principalement les domaines du service et de la cuisine, en particulier le personnel le plus qualifié.

Solutions à long terme

Face à l’urgence de la situation, Gilles Meystre, président de GastroVaud, observe que certains restaurateurs ont dû adapter l’organisation de leur établissement à la pénurie: fermeture aux heures ou jours les moins rentables, réduction de la capacité d’accueil ou de l’off re à la carte. Quant aux mesures RH, il relève un bilan contrasté. Bénéfiques aux collaborateurs, les hausses des salaires ou les révisions de plannings contribuent à les attirer et à les fidéliser, mais les employeurs sondés indiquent, outre une augmentation des coûts, une complexification de la gestion RH. Pour le président de GastroVaud, il est surtout nécessaire de trouver des solutions à plus long terme. Sans nier la pénibilité de la branche, il affirme que pour assurer la relève, il faut promouvoir ces métiers auprès des parents et du corps enseignant, et aider les employeurs désorientés par les valeurs de la jeune génération.

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© BCV
3. Un modèle de gouvernance horizontale

Autre secteur particulièrement touché par le manque de personnel depuis la crise du Covid-19: la santé. Et selon Pakize Palan, directrice des Soins Volants, le nombre très élevé de soignants ayant quitté la profession à cause de la pénibilité a changé la donne en matière de recrutement: «L’entreprise doit démontrer aux candidats de bonnes conditions de travail, en particulier aux jeunes, plus exigeants vis-à-vis du marché.» C’est justement pour redonner aux soignants le plaisir d’exercer leur métier qu’elle et deux anciens collègues cadres infirmiers en CMS se sont inspirés du modèle néerlandais Buurtzorg lors de la création de leur entreprise de soins à domicile, en 2018.

Le rôle des coachs

Active de Lausanne à Sierre, Les Soins Volants compte 120 collaboratrices et collaborateurs répartis en 13 équipes mobiles autogérées. Son modèle holacratique de gouvernance horizontale valorise l’intelligence collective et encourage l’autonomie et la créativité. «L’idée est de laisser simplement les soignants faire leur travail, sans superposer les couches de bureaucratie », précise Pakize Palan. Chaque équipe fonctionne ainsi de manière autogérée, sans hiérarchie, avec des prises de décision en commun: elle est responsable de ses patients et de son réseau sur un territoire géographique donné, elle élabore son planning et recrute même ses collègues. Des coachs sont à disposition des équipes pour les épauler dans leurs difficultés cliniques ou organisationnelles; elles peuvent également s’appuyer sur le back-office pour les questions administratives. Face à la pénurie de soignants, la directrice des Soins Volants plaide aussi pour une revalorisation des salaires, un allègement de la bureaucratie, plus de moyens pour la formation continue et pour des structures d’accueil des enfants adaptées aux contraintes de professions majoritairement féminines.

4. Contribuer à la formation

La pénurie de soignants se double de personnels spécialisés pour L’Espérance. Cette fondation, basée à Etoy, a pour mission l’accompagnement et l’intégration d’enfants et d’adultes présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère. Elle emploie 550 personnes, dans une quarantaine de métiers spécialisés dans la prise en charge de ce type de population. «Le handicap mental moyen à sévère nécessite des compétences spécifiques, trop peu abordées dans les écoles», relève Florence Vallat, directrice des ressources humaines de l’établissement. Confrontée à la pression démographique, à une plus grande complexité des situations des personnes accueillies, à l’intensification de leur prise en charge et à une raréfaction du personnel formé et expérimenté, la fondation fait face à des problèmes récurrents de recrutement et de fidélisation.

Florence Vallat Pour conserver et assurer la relève des 550 personnes qui travaillent à L’Espérance, à Etoy, la directrice RH souligne que l’établissement mise sur la création d’une marque employeur.

Pour conserver et assurer la relève des 550 personnes qui travaillent à L’Espérance, à Etoy, Florence Vallat, directrice RH souligne que l’établissement mise sur la création d’une marque employeur.

© Gabriel Monnet

Professionnaliser le recrutement

Pour assurer la relève et garder ses employés, L’Espérance mise énormément sur la formation. Elle compte 20 apprentis, dans plusieurs métiers de l’accompagnement. «Nous contribuons en outre généreusement au financement de formations continues pour nos collaborateurs », ajoute la DRH. Un cadre de travail bucolique, une certaine forme de sécurité de l’emploi et un service de soutien psychologique sont d’autres atouts non négligeables. Florence Vallat s’attelle également à professionnaliser les processus de recrutement et travaille sur la marque employeur de la fondation. Elle identifie aussi une piste intéressante dans la mutualisation de certains services avec des institutions voisines. La DRH de L’Espérance compte enfin sur sa faîtière pour travailler sur la revalorisation indispensable des salaires de la branche.

5. La prévoyance comme outil de fidélisation

Chez Vitrocsa aussi, le Covid-19 a fait bouger les lignes. Pionnière de la fenêtre minimale, sans cadre, l’entreprise a été confrontée à de nombreux départs et à beaucoup d’absentéisme jusqu’à fi n 2022. «Les gens se sont globalement questionnés sur leurs attentes face au travail», relève Vanessa Buff at, administratrice présidente. Elle compte aujourd’hui 22 salariés à Saint-Aubin-Sauges (NE) et s’apprête à s’installer au coeur d’Y-Parc, à Yverdon.

Atout pour les cadres

Afin de fidéliser ses collaborateurs, Vitrocsa a mis en place un plan de prévoyance LPP particulièrement intéressant. «Nous y songions depuis pas mal de temps, mais nous ne savions pas comment procéder, raconte Vanessa Buff at. AVENA nous a proposé plusieurs options correspondant à nos besoins.» Le plan choisi prévoit ainsi une participation généreuse de l’entreprise en matière de cotisations (60%), ainsi que des prestations allant au-delà des obligations légales. Un véritable outil RH selon sa présidente, en particulier auprès des cadres, plus exigeants en la matière à mesure qu’ils avancent dans leur carrière. Elle relève par ailleurs la grande confiance des collaborateurs de l’entreprise vis-à-vis de ses choix en matière de LPP. Convaincus que Vitrocsa a agi pour le mieux, très peu d’entre eux ont demandé à connaître plus en détail les dispositions du plan de prévoyance mis en place.

6. Marquer sa différence

Peu affectée par les tensions sur le marché de l’emploi, l’entreprise Ecorobotix a toutefois vu la durée de ses processus de recrutement augmenter de façon substantielle – jusqu’à douze mois pour les profi ls les plus recherchés. Dans le secteur industriel en général, Cécile Basse, spécialiste RH de cette scale-up yverdonnoise, observe que les candidats sont deux fois moins nombreux aujourd’hui qu’il y a dix ans – ce qui ne l’a pas empêchée de gérer une forte croissance du personnel au cours des derniers mois. Grâce à une stratégie RH basée sur la différenciation, elle emploie aujourd’hui près de 80 personnes.

L’IMPORTANCE DE DÉVELOPPER SA MARQUE EMPLOYEUR

Dans un contexte de guerre des talents, développer sa marque employeur est plus pertinent que jamais afin de recruter et fidéliser son personnel. Cette composante de la stratégie RH utilise les leviers de la communication et du marketing.

Elle nécessite au préalable de bien (re)définir la mission et les valeurs de son entreprise. Il s’agit aussi de se questionner sur les attentes des (futurs) collaborateurs et collaboratrices dans son secteur d’activité.

Cette matière première doit conduire à la définition d’une proposition de valeur forte, pouvant être développée sur les différents canaux de communication internes et externes de l’entreprise.

La marque employeur devrait aussi infuser l’ensemble du processus de recrutement, ainsi que les relations employeur-employés.

Cécile Basse

La spécialiste en ressources humaines de la scale-up Ecorobotix, à Yverdon, Cécile Basse. a mis en place une stratégie RH basée sur la différenciation et la prise en compte des demandes des 80 employés, notamment dans la fléxibilité et le temps de travail.

© Gabriel Monnet

Faire connaitre ses valeurs

Avec son pulvérisateur de très haute précision et son système de détection de plantes par intelligence artificielle, Ecorobotix vise à changer radicalement l’agriculture. «Son positionnement en faveur de l’écologie et sa certification B Corp sont des éléments très attractifs pour les candidats, explique Cécile Basse. Ce sont aussi des valeurs communes qui permettent de souder les équipes autour d’une véritable culture d’entreprise.» Pour attirer des talents, l’entreprise a également élargi son sourcing et accéléré les étapes du processus de recrutement. Elle revendique enfin une politique RH tournée vers la prise en compte des demandes des employés (flexibilité et temps partiel, notamment). En l’exposant de façon très détaillée sur son site internet, Ecorobotix témoigne aussi de sa volonté d’afficher clairement sa marque employeur afin d’attirer et de retenir les collaborateurs.