Les bouleversements énergétiques que nous vivons actuellement entraînent un développement massif de l’énergie solaire. Que ce soit pour produire une énergie verte et locale, ou pour lutter contre l’escalade des prix de l’électricité sur le marché, les installations photovoltaïques sont en forte progression. Bien que cette évolution soit en accord avec les objectifs nationaux et plébiscitée, l’essor de l’électricité photovoltaïque au cœur de notre mix énergétique soulève des défis non négligeables. Parmi ceux-ci, la gestion d’une production à la fois décentralisée et intermittente se pose comme un enjeu majeur pour notre système électrique.

Face à ces défis énergétiques, certains se mettent à rêver plus grand, plus haut, plus science-fiction. Et si l’énergie solaire, nous allions la capter directement dans l’espace ; en installant des panneaux photovoltaïques en orbite et en rapatriant cette électricité via une transmission d’énergie sans fil.  Cette idée saugrenue fait encore plus rêver avec les conclusions d’une étude, commandée par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), qui estime qu’il serait possible, d’ici 2050, de produire ainsi jusqu’à 800 TWh/an, couvrant ainsi près de 25% de la consommation électrique européenne.

Ce projet, baptisé Solaris, loin d’être une simple fiction, a captivé l’attention des ministres européens des sciences fin de l’année dernière. Un premier budget a été alloué pour étudier sa faisabilité technologique, économique et politique. L’objectif de Solaris est de clarifier les éléments-clés nécessaires avant de potentiellement solliciter des milliards d’euros d’investissement lors du prochain conseil ministériel de l’ESA en 2025. La suite est déjà toute tracée, avec des premiers tests en orbite envisagés pour 2030 et l’ambition de réaliser une première station opérationnelle d’ici 2040.

Concrètement, d’un point de vue technologique, l’idée vise à déployer en orbite de gigantesques satellites, équipés de panneaux solaires modulables s’étendant sur près d’un kilomètre, soit près de dix fois plus longs que ceux de la station spatiale internationale. Ces satellites, positionnés en orbite géostationnaire, c’est-à-dire à environ 36 000 km de la Terre, captureraient l’énergie solaire presque sans interruption. La distance leur permet de rester fixes par rapport à un point spécifique sur Terre, garantissant une collecte d’énergie quasi ininterrompue, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. L’énergie collectée serait ensuite transmise vers la Terre via des antennes de réception de six kilomètres de large. Ces antennes, malgré leur taille imposante, occuperaient une surface bien inférieure à celle requise pour des panneaux solaires terrestres de capacité équivalente, soulignent les défenseurs du projet. Toutefois, le choix de l’emplacement pour ces centrales réceptrices, idéalement proche de l’équateur, reste à déterminer et soulève des questions logistiques, géopolitiques et sociales. La transmission s’effectuerait sous forme de rayonnements micro-ondes, capables de traverser les perturbations atmosphériques, garantissant ainsi une livraison d’énergie constante.

L’idée, bien qu’elle semble avant-gardiste, est assez ancienne et s’inscrit dans la continuité des recherches débutées dans les années 70 par la NASA. Ce concept s’apparente aux méthodes utilisées par les satellites de télécommunication, opérationnels depuis 60 ans. Ces satellites génèrent de l’électricité avec leurs panneaux solaires et l’utilisent pour transmettre des données à la Terre. Le concept de Solaris repose sur un principe similaire, mais à une échelle beaucoup plus vaste, ouvrant des perspectives nouvelles dans le domaine de l’énergie solaire spatiale.

La raison principale pour laquelle il n’existe aujourd’hui pas encore de centrale solaire spatiale est purement économique. Historiquement, les coûts exorbitants des lancements spatiaux, nécessaires pour transporter les milliers de tonnes de matériel, rendaient le projet non viable face aux combustibles fossiles bon marché. Cependant, l’émergence de SpaceX a changé la donne. Elle a réduit considérablement ces coûts de lancement, de plusieurs centaines de millions de dollars à environ 50 millions pour un Falcon 9, avec une perspective de réduction à 5 millions selon Elon Musk, le PDG de SpaceX. Les experts visent un coût de lancement de 300 dollars/kg dans les 5 à 7 ans, rendant l’électricité spatiale commercialement viable. Parallèlement, des innovations telles que les matériaux en fibre de carbone et les composants électroniques à couches minces permettent de créer des panneaux solaires plus légers et flexibles, réduisant encore les coûts d’un tel projet.

Ces progrès, combinés à la demande croissante d’énergie propre, ont relancé l’intérêt mondial pour les centrales solaires spatiales. L’Europe, la Chine, le Japon, et les États-Unis développent activement des programmes pour lancer des satellites de démonstration d’ici la fin de la décennie. La Chine prévoit une mission de démonstration pour 2028, et aux États-Unis, l’Institut de technologie de Californie a lancé un satellite, en 2023, visant à tester divers types de cellules solaires, une étape importante pour le développement d’une future centrale électrique orbitale. Au Royaume-Uni, une étude pour le gouvernement publiée en septembre 2021 concluait que : « L’énergie solaire spatiale est techniquement réalisable, abordable et pourrait à la fois apporter des avantages économiques substantiels au Royaume-Uni et soutenir les trajectoires Net Zero ». Ces projets alimentent l’espoir que l’énergie solaire spatiale puisse contribuer significativement aux objectifs d’énergie verte dans les 10 à 15 ans à venir.

Bien que les coûts associés au développement de centrales solaires spatiales aient diminué, tant pour la mise en orbite que pour les technologies associées, ils restent significatifs. A court terme, l’énergie produite en orbite coûtera plus cher que son équivalent terrestre. Au-delà de l’aspect financier, les défis techniques et logistiques sont considérables, notamment en ce qui concerne la maintenance du matériel dans l’espace et la gestion des risques liés aux débris spatiaux, surtout pour des structures de grande taille. Sur le plan politique, le projet nécessite une coopération européenne étroite, non seulement pour la gestion énergétique, mais aussi pour traiter les questions de santé publique et d’impact environnemental liées à l’installation d’une telle centrale. En somme, bien que prometteuse, l’énergie solaire spatiale représente un investissement coûteux et comporte des risques significatifs comparativement aux solutions solaires terrestres.

Cependant, l’optimisme est de mise. Les coûts de lancement, déjà réduits grâce aux lanceurs réutilisables de SpaceX, continueront de diminuer, tout comme ceux liés à l’assemblage robotisé en orbite. Cette perspective rappelle la révolution récente de l’accès à Internet par satellite ; il y a dix ans, l’idée aurait semblé improbable, et pourtant cette année l’entreprise Starlink a annoncé avoir atteint la rentabilité. Dans le contexte du solaire spatial, ces innovations technologiques permettent en outre de surmonter des obstacles comme l’intermittence de l’énergie et les enjeux liés à la décentralisation des sources de production. Grâce à ces évolutions cumulées, l’énergie solaire spatiale pourrait peut-être se profiler à l’horizon comme une solution énergétique complémentaire pour alimenter électriquement certaines régions de la planète. Toutefois, à court et moyen terme, les centrales solaires terrestres, avec leur moindre risque et coût, demeurent une voie sûre et fiable pour notre quête d’une énergie durable.

Marine Cauz

Marine Cauz

Experte indépendante

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