Selon qu’on a la fibre écologique ou pas, on s’extasie ou on s’agace de ce qui a été fait à Las Vegas ou à Dubaï. Des villes érigées en plein désert, tellement surréalistes qu’elles confinent parfois à l’absurde. Et chez nous? Prenons les stations de montagne. Crans-Montana par exemple. Au début, disons au milieu du XIXe siècle, les vastes étendues de ce promontoire étaient à la Suisse ce que les villages de Bédouins étaient au Moyen-Orient. Quelques mayens perdus au milieu des pâturages à vaches. Jusqu’à ce que deux Sierrois aient la bonne idée d’y construire un hôtel, à l’orée du XXe siècle (1893). Sans le Grand Hôtel du Parc, la station n’existerait pas, relate le site de l’office du tourisme. C’est là, en effet, qu’un médecin genevois commença à amener ses patients, faisant du village une station de cure.

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Cent trente ans plus tard, la station devrait enfin pouvoir concrétiser cette appellation en construisant les Thermes du Haut-Plateau; 65 millions de francs pour 3300 mètres carrés de bains thermaux. «La seule prestation qu’on ne pouvait pas encore offrir à nos hôtes», s’enorgueillit Nicolas Féraud, 53 ans, reconverti président de commune à plein temps depuis huit ans après des études de pharmacien. «Grâce à une bonne diversification dans des domaines d’activité anticycliques, le Haut-Plateau affiche une excellente santé, décrète-t-il d’emblée. Trois secteurs en particulier jouent le rôle de locomotives: la santé, avec ses nombreux établissements, l’éducation, avec ses écoles privées, et la construction. Cumulés, ces trois postes génèrent 187 millions de francs, soit 38% de la richesse créée annuellement.»

Une ville à la montagne

Cent trente et un ans après le Grand Hôtel du Parc, Crans-Montana (CM), né en 2017 de la fusion de Chermignon, Montana, Randogne et Mollens, est toujours une commune perchée à 1495 m s’étendant de la plaine du Rhône au glacier de la Plaine Morte (3000 m), jouissant de 300 jours d’ensoleillement par année et partageant désormais son Haut-Plateau avec ses communes partenaires, Lens et Icogne. C’est aussi 15 000 habitants à l’année, 60 000 en haute saison, plus grande ville du canton, 12 000 résidences secondaires, chalets et appartements confondus, 800 entreprises et microentreprises, des rentrées fiscales de 70 millions, un rendement global de l’impôt sur la fortune de 17 millions, 70 hectares de terrains réservés pour de grands projets, un demi-milliard de fonds publics-privés investis dans des projets majeurs et autant de création annuelle de valeur (484 millions).

Derrière ces chiffres, une ambition clairement affichée: poursuivre l’édification d’une véritable ville à la montagne, susceptible d’attirer des sociétés actives dans l’économie numérique et de la haute technologie. «Ce qui nous permettra de sortir définitivement de la monoculture touristique», développe Nicolas Féraud, soucieux d’anticiper les nouveaux paradigmes liés aux changements climatiques. «Demain, Crans-Montana pourra vivre pleinement avec beaucoup, peu ou pas de neige», assène le président, en assurant que la commune consent des investissements égaux dans des projets sociaux tels que les crèches-UAPE et les homes.

Le slogan basé sur le bon air et le soleil, qui a naguère attiré nombre de cliniques et de sanatoriums, est certes toujours porteur mais n’est plus le seul mis en avant. «Nous voulons réussir un mix efficace entre environnement et vie urbaine», décrit Bruno Huggler, directeur de l’office du tourisme (CMTC). En soutien de cette mue, une trilogie savamment entretenue depuis un siècle ou plus récemment développée: l’organisation d’événements sportifs et culturels de renommée internationale et une offre d’hébergements et de gastronomie à la fois haut de gamme et familiale. «Il y a encore dix ans, quand on les sollicitait, les grands groupes hôteliers nous répondaient: «Pas en Suisse et encore moins à la montagne.» Aujourd’hui, quatre ou cinq projets sont en cours, avec notamment la construction d’un palace imaginé par Christian Constantin. En 2027, le nombre d’hôtels sera porté à 39, dont huit cinq-étoiles, offrant près de 3000 lits», résume Bruno Huggler.

En parallèle, l’offre gastronomique et commerciale n’est pas en reste: 120 boutiques et magasins et 130 restaurants, dont 12 notés au GaultMillau et deux tables étoilées Michelin. Une offre gastro-hôtelière capable de satisfaire les dizaines de milliers de visiteurs débarquant lors des grands rendez-vous sportifs et culturels. «Le Crans-Montana créateur d’émotions.» Alors que la station accueillera les Championnats du monde de ski alpin en 2027 (14 jours, 800 journalistes attendus), l’homme qui tient la baguette du tourisme depuis 2015 fait bien sûr allusion à l’édition 1987 et son avalanche de lauriers helvétiques. Les fans de golf peuvent en dire autant après huit décennies d’Open de Suisse, ancêtre de l’European Masters.

Destination sportive et culturelle

A côté de ces événements au retentissement planétaire, les diverses compétitions cyclistes ne cessent elles aussi de prendre de l’envergure. Entre l’étape annuelle de Coupe du monde de VTT, les mondiaux Mountain Bike UCI 2025, l’arrivée d’une étape du Tour d’Italie en mai dernier et la candidature pour une étape du Tour de France, Crans-Montana, avec ses 360 km de parcours balisés, est en effet en passe de devenir une destination cycliste majeure. «De tout temps, on a compris que le sport représentait une vitrine prestigieuse et un vecteur de communication assurant un excellent retour sur investissement. En plus de faire rayonner la station aux quatre coins de la planète, organiser un top événement par discipline nous oblige à posséder des infrastructures toujours à la pointe», détaille Bruno Huggler, précisant que l’Association des communes et l’office du tourisme soutiennent à hauteur de 2 millions de francs par année les quelque 90 événements s’étendant sur 160 jours. «Et tout ça dans une nature située à deux pas de la ville alors que, dans la grande majorité des stations suisses ou étrangères, les épreuves se déroulent à une heure du centre», renchérit Nicolas Féraud, citant un autre vecteur important de publicité: les écoles privées (Ecole des Roches, Régent College et Moubra Summer Camp). Des institutions où cohabitent des jeunes gens issus de 99 nationalités et accueillant, année après année, 1000 nouveaux arrivants.

Avec ses cinq galeries d’art et ses 30 concerts, la culture tient également une place capitale dans le développement urbain et touristique. Qui ne connaît pas le Caprices Festival, fondé en 2004, avec ses 60 000 festivaliers, le Vision Art Festival, seul événement d’art urbain au monde s’exposant entre 1500 et 3000 m d’altitude, le Swiss Made Culture, la Fondation Opale, l’unique centre consacré à l’art aborigène contemporain d’Europe, ou encore le hameau de Colombire, cet écomusée posé à 2000 m d’altitude? Autant de joyaux culturels auxquels on ajoutera une scène musicale tout aussi dynamique et éclectique avec, comme acteur principal, le Crans-Montana Classics et ses concerts prestigieux.

«Où trouvez-vous dans le monde un autre site que vous pouvez atteindre avec votre avion grâce à un aéroport voisin (Sion), où vous pouvez skier le matin sur des pistes de Coupe du monde, avoir un business lunch à midi dans un restaurant étoilé, jouer au golf sur un parcours mythique ou surfer sur un lac l’après-midi? Et les projets en cours raffermiront encore nos atouts», s’emballe notre duo. Autant d’arguments qui ont convaincu les Américains de Vail Resorts de racheter les remontées mécaniques et pourraient amener à Crans-Montana ses 2 millions de clients potentiels de la côte Est des Etats-Unis dans les prochaines années…

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz