Des motifs dansant au fond d’une piscine, un verre d’eau qui trace des formes lumineuses sur une table, un miroir qui réfléchit un arc-en-ciel contre le mur: qui n’a jamais été fasciné par les caustiques, ces effets optiques aléatoires qui surgissent au détour d’un rayon de soleil? Grâce à un algorithme breveté par le professeur du laboratoire d’informatique géométrique de l’EPFL Mark Pauly et trois de ses anciens étudiants, dont Yuliy Schwartzburg et Romain Testuz, il est désormais possible de les recréer en contrôlant les dessins projetés.

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Pour y parvenir, huit ans de recherche et deux levées de fonds – de plus de 2 millions de francs au total – ont été nécessaires. Forts de leur découverte, Mark Pauly, Yuliy Schwartzburg et Romain Testuz fondent la start-up Rayform en 2016. «L’algorithme nous permet de définir quelles ondulations 3D presque imperceptibles à l’œil nu il faut réaliser à la surface d’un métal ou de verre pour rediriger la lumière et ainsi projeter avec précision l’image souhaitée, détaille Romain Testuz. Une fois les calculs effectués, la surface est sculptée grâce à des machines de haute précision. C’est une chance d’être basés en Suisse, où nous avons un grand savoir-faire dans ce domaine.»

Accélération de la distribution 

Un travail d’orfèvre dont on peut, depuis 2019, apprécier le résultat dans le studio de joaillerie écoresponsable baptisé The Rayy, lancé par Romain Testuz, Yuliy Schwartzburg et la joaillière Noémie Arrigo. Exposées à une source de lumière directe, leurs créations, en or recyclé et diamants de culture, révèlent un message lumineux et personnalisable: un mot, un symbole, voire un portrait surréaliste. «Ces prochains mois, la distribution va s’accélérer grâce à des collaborations avec des boutiques en Suisse, en France, puis aux Etats-Unis et en Asie, se réjouit Romain Testuz. Le magasin en ligne marche bien, mais il est important que les gens puissent manipuler le produit pour voir comment fonctionne la révélation du message.»

En vue de ce développement international, une quatrième personne à plein temps est venue grossir les rangs de l’entreprise en 2021: Ingrid Gosselin, nommée Managing Director de The Rayy, après plus de dix ans à travailler pour la haute joaillerie à Paris, à Hongkong et en Suisse.

Maîtres de leur communication, les entrepreneurs restent discrets sur leur croissance. Même retenue lorsqu’on les interroge sur leur exploit de juin 2021. La Confédération les avait alors mandatés pour réaliser un cadeau pour Joe Biden: une plaque en acrylique qui, au soleil, faisait apparaître avec la précision d’une photographie le portrait du 46e président américain. C’est donc aussi sans fanfare que Romain Testuz, 31 ans, et Yuliy Schwartzburg, 35 ans, dévoilent leur carte maîtresse: leur algorithme pourrait servir à authentifier les billets de banque.

Billets de banque 

«En fondant Rayform, l’idée était de nous consacrer au luxe et à l’anti-contrefaçon de marques, qu’on avait identifiés comme offrant le plus de potentiel», explique Yuliy Schwartzburg. Mais lorsque Sicpa, dont les encres de sécurité de haute technologie protègent la plupart des billets de banque et documents d’identité dans le monde, leur propose de prendre part au renforcement de la sécurité des billets, ils se lancent sans hésiter, malgré la difficulté technique. Comme l’explique Pierre Degott, co-Chairman du Technology Board de Sicpa: «Il a fallu des années de travail en commun pour miniaturiser suffisamment une marque de contrôle infalsifiable basée sur la technologie de Rayform afin de pouvoir l’intégrer au billet, en combinaison avec une fenêtre transparente. Cette marque peut être révélée à l’aide d’une simple lampe de smartphone. Aujourd’hui, un prototype est validé et les innovations qui le sous-tendent sont brevetées. La recherche porte désormais sur l’optimisation et l’industrialisation pour répondre aux exigences très élevées du billet de banque.»

Ce code d’authentification caustique a été présenté à plusieurs banques centrales et les premiers retours sont encourageants. «On ne peut pas faire cela seuls. Dans chaque pays, il faut collaborer avec une entité établie, au bénéfice de l’expertise et de la crédibilité nécessaires pour la production de la monnaie nationale. Puis toute une série de tests devra être menée afin d’obtenir la validation technique finale.»

Un terrain de jeu illimité 

Face à l’ampleur de la réussite qui se profile, les deux inventeurs, passionnés d’art, de joaillerie et de graphisme, restent étonnamment sereins. Leur algorithme leur a donné accès à un terrain de jeu illimité. Ils ont ainsi déjà collaboré avec le peintre Pierre Soulages, réalisé des installations d’artistes, dont celles visibles à la faveur du soleil sous les voûtes du Rolex Learning Center de l’EPFL et celle ornant l’Ecole nationale supérieure de la photographie à Arles, en France. Un projet dans l’art de la table est également à bout touchant. Des discussions avec des maisons de haute horlogerie sont aussi en cours, après un premier partenariat réussi avec MB&F. La seule porte qu’ils n’ouvriront pas est celle de la joaillerie, afin de protéger The Rayy.

Pour la suite, les informaticiens feront sans doute une nouvelle levée de fonds en 2023 pour renforcer la marque. A moins de se laisser tenter par une des offres de rachat qui leur sont soumises. «On vit de notre algorithme aujourd’hui, mais cela fait presque dix ans que nous sommes sur ce projet. Romain y a consacré son master et moi, mon doctorat, précise Yuliy Schwartzburg. On serait sûrement un peu tristes de vendre, mais ce serait aussi l’occasion d’explorer d’autres domaines de recherche. Et, quoi qu’il arrive, Rayform continuera d’exister, même en étant rachetée.»