Et si le nouvel eldorado était américain? En dix ans, les Etats-Unis sont devenus le premier marché d’exportation pour les entreprises helvétiques, surpassant l’Allemagne. Même la pandémie n’a pas freiné le mouvement: avec un montant de 68,8 milliards, la valeur des exportations suisses n’a reculé que de 2,5% en 2020, alors qu’elle reculait de 6% pour le marché européen. Sur la durée, la tendance est impressionnante: alors que le marché américain ne représentait que 9% des ventes suisses à l’étranger en 2004, celles-ci atteignent presque les 18% aujourd’hui. Et la tendance ne devrait pas faiblir: d’après une récente étude de Credit Suisse, une PME suisse sur deux indique vouloir exporter aux Etats-Unis en 2022.

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Pour Martin Naville, directeur général de la Chambre de commerce suisse-américaine, le succès des produits suisses outre-Atlantique n’est pas un hasard. «Les grandes compagnies helvétiques se sont implantées très tôt en Amérique du Nord et elles y ont beaucoup investi depuis vingt ans. La Suisse y est aujourd’hui le sixième investisseur direct, à égalité avec l’Allemagne. Confrontés aux limites d’un marché intérieur restreint, les entrepreneurs suisses ont compris depuis longtemps que l’Union européenne ne pourrait pas rester longtemps le seul relais de croissance, explique-t-il. Ainsi, il était essentiel d’intensifier la présence suisse dans d’autres zones comme l’Asie et les Etats-Unis.»

Des exportations diversifiées 

Bertrand Vaudan, directeur de la filiale américaine de Chalissima, qui réunit à Verbier (VS) les 150 employés de trois PME spécialisées dans la construction de chalets de luxe en vieux bois authentique, partage ce constat: «Le durcissement des règles de construction en Suisse nous a amenés à nous intéresser au marché américain en 2015 et plus précisément au Colorado. Nous avons ciblé le même type de clientèle, en pariant sur un matériau qui n’a pas d’équivalent aux Etats-Unis: le bois que nous utilisons date souvent d’avant leur Déclaration d’indépendance!» La PME, qui a inauguré son premier chalet en 2018, réalise aujourd’hui 10% de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis.

Chalissima est un cas d’école: au-delà des secteurs traditionnels – médicaments, montres, chocolat –, le succès suisse à l’export s’explique aussi par la diversification, observe Martin Naville. «L’industrie pharmaceutique représente toujours près de 50% des exportations, mais nos PME sont présentes dans tous les secteurs.» Ainsi les machines à café de Thermoplan (basée à Weggis, LU) fonctionnent dans tous les Starbucks, le rover martien de la NASA roule grâce aux moteurs de Maxon Motors (Sachseln, OW), les coiffes des fusées Atlas V sont fabriquées par Ruag (BE)…

En B2B comme en B2C, la Suisse est partout, profitant de la moindre niche pour mettre en avant son savoir-faire, y compris dans des secteurs où on ne l’attend pas forcément. En témoigne le succès de Baabuk, une PME fondée à Renens par Dan et Galina Witting en 2013 et spécialisée dans les pantoufles et les sneakers en laine feutrée. «Nous nous sommes intéressés au marché américain dès 2015, explique la fondatrice. Nous sommes d’abord passés par un distributeur, mais laisser une société tierce raconter votre marque n’est pas nécessairement une bonne idée. Nous aurions pu nous associer à Amazon, mais leur politique de retours et leurs valeurs s’associent mal aux nôtres. Donc nous avons fait le choix de créer notre propre site.» Aujourd’hui, l’entreprise emploie sept personnes aux Ateliers de Renens, qui écoule chaque mois de 2000 à 3000 paires de chaussures, dont un quart est destiné au marché américain.

Différences culturelles 

«Le marché américain est le plus important du monde, mais c’est aussi celui où tout le monde veut aller. Et avec des clients qui ne nous ont pas attendus pour trouver des réponses à leurs besoins et des solutions novatrices, avertit Martin Naville. L’Amérique n’est pas un pays de Cocagne et si le Swiss made jouit d’une image positive de fiabilité et de solidité, afficher le drapeau suisse n’est jamais suffisant. Le plus grand danger serait de croire qu’on peut facilement comprendre les Etats-Unis.»

Les différences culturelles se révèlent en effet considérables et parler anglais ne suffit pas, confirme Bertrand Vaudan de Chalissima: «J’ai passé quatre ans là-bas et il m’en a fallu au moins deux pour m’acclimater. Ce n’est pas qu’une question de cadre légal ou de système métrique: il faut apprendre à se présenter et à se vendre autrement, à maîtriser des codes différents.» Galina Witting, cofondatrice des chaussures Baabuk, abonde dans ce sens: «Il n’y a pas un mais plusieurs marchés américains. Nos clients californiens n’ont par exemple pas les mêmes goûts que ceux qui vivent en Nouvelle-Angleterre.»

Pour mettre toutes les chances de son côté, il faut donc s’investir pleinement, recommande Martin Naville: «Les Etats-Unis, c’est la Champions League. Y être compétitif demande du temps, de l’argent et un engagement entier de la part du CEO.» D’où l’importance des grands événements comme le Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, rendez-vous incontournable du high-tech.

En janvier 2022, Ramzi Bouzerda était présent pour la deuxième année consécutive afin de présenter Droople, start-up vaudoise de 13 salariés spécialisée dans l’optimisation de la consommation d’eau et la maintenance des infrastructures et des équipements qui la distribuent. Connecté à internet (IoT), Droople prédit les intervalles de maintenance et automatise le renouvellement des consommables. Pour le directeur, Ramzi Bouzerda, le CES est une occasion à ne pas rater pour s’implanter sur ce marché prometteur et exigeant. «Le succès passe par une présence locale. Participer au CES est une opportunité de rencontrer de futurs partenaires et prospects. C’est aussi une manière de bénéficier d’une certaine visibilité auprès des financeurs, d’autant plus que nous souhaitons lever 6 millions de francs au premier trimestre 2022 pour nous développer.»

Pour l’avenir, Martin Naville ne s’inquiète pas des conséquences de la fin des accords de libre-échange avec l’UE: «Nos relations économiques avec les Etats-Unis reposent davantage sur l’importance des investissements suisses. En outre, la multiplication par deux de nos volumes d’exportation en vingt ans s’est faite sous des administrations aussi bien républicaines que démocrates.»

 

Exportations: les Etats-Unis ont dépassé l’Allemagne

 

Cruciales pour les entreprises qui y trouvent un complément essentiel au marché intérieur, les exportations suisses ont retrouvé en 2021 les niveaux d’avant la pandémie. Le troisième trimestre a même été marqué par un pic historique de 63,11 milliards de francs d’exportations selon l’Administration fédérale des douanes (AFD). En outre, le dernier rapport de Credit Suisse sur la reprise post-covid montre que les experts s’attendent à une croissance soutenue au cours des prochains mois, portée notamment par les demandes américaine et allemande. Sur l’ensemble de l’année 2021, les exportations vers les Etats-Unis ont grimpé de 18,8%, atteignant un niveau record. Le pays de l’Oncle Sam a même détrôné l’Allemagne, principal importateur de produits suisses depuis 1954. Les produits chimiques et pharma ont le plus contribué à cette croissance.