«Les titres des travaux de diplôme de nos étudiants ces dix dernières années montrent une évolution frappante: les notions de durabilité et de responsabilité sociale sont presque toujours présentes, remarque Rico Baldegger, directeur de la Haute Ecole de gestion de Fribourg (HEG-FR). On sent une volonté de changement et cette tendance est loin d’être marginale.» La haute école vient d’ailleurs, début février, d’intégrer entre ses murs le Centre pour la responsabilité d’entreprise et la durabilité (CCRS) de l’Université de Zurich. «Nous devons maintenant sortir de cette dialectique qui place le business d’un côté et l’écologie de l’autre.» Réinventer le monde de l’entreprise, en voici quatre exemples en Suisse romande.

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Louisa Saratsiotis, fondatrice des Potions d’Adèle
33 ans, Genève

Les Potions d’Adèle, ce sont des produits ménagers faits à partir d’ingrédients naturels et bios. Louisa Saratsiotis a commencé ses préparations il y a une dizaine d’années. Souffrant de problèmes de peau, elle a cherché des solutions efficaces, naturelles et non nocives. La production s’accroît et, dès 2018, elle commercialise ses produits par le biais d’épiceries écoresponsables et de marchés. En 2019, coup d’accélérateur: la bourse cantonale du développement durable du canton de Genève lui est octroyée. La somme de 30 000 francs reçue lui permet d’investir dans du matériel et de constituer un stock d’ingrédients. Mais au--delà, ce prix donne surtout une reconnaissance à son activité. Les Potions d’Adèle se trouvent aujourd’hui dans une trentaine de points de vente dans les cantons de Genève et de Vaud et approvisionnent plusieurs crèches et écoles genevoises. Louisa Saratsiotis anime aussi des ateliers pour partager son savoir-faire «et permettre des choix en conscience» aux consommateurs.

Aujourd’hui, la jeune femme ne vit pas encore de son activité, mais n’en est pas loin. «J’ai choisi de faire de petites marges pour garantir l’accès à mes produits à un maximum de gens. Il faut donc beaucoup de clients et cela prend du temps.» Sa lessive est par exemple vendue 6 fr. 30 le litre au marché, contre environ 10 francs pour les lessives traditionnelles. Parce que, pour elle, la clé est de ne pas travailler seule, Louisa Saratsiotis a rejoint la coopérative genevoise d’entrepreneurs salariés Neonomia, la seule du genre en Suisse romande. «On travaille en gouvernance partagée, c’est très instructif. Le fait d’être dans un cercle de personnes qui partagent les mêmes valeurs que moi est important, on se soutient.»

Benoît Necseru, fondateur de ByKarl
35 ans, Fribourg

Benoît Necseru, ancien employé d’une grande compagnie d’assurances, a lancé en janvier 2020 avec deux associés ByKarl, un service de réparation de vélos mobile.

© Kevin Schlüter

Il y a quelques années encore, Benoît Necseru était employé d’une grande compagnie d’assurances. «J’avais envie de mettre du sens dans mon travail, de devenir entrepreneur en bousculant les habitudes du monde de l’entreprise.» Cycliste au quotidien, il imagine un service de réparation de vélos mobile, qui se déplace chez les clients. C’est grâce à un programme d’intrapreneuriat organisé par son ancienne entreprise que ByKarl prend forme. Après un an et demi d’accompagnement, Benoît Necseru se lance, en janvier 2020, avec deux associés.

ByKarl se développe d’abord à Genève et à Fribourg, puis à Lausanne et dans le Chablais sous forme de franchise. «Notre but n’est pas d’avoir des employés et de faire du business as usual, mais de créer une communauté d’entrepreneurs mécaniciens, avec des valeurs éthiques et écologiques fortes. Nous aidons les intéressés à créer leur entreprise, nous leur donnons des outils, des contacts.» En 2022, le concept sera déployé à Neuchâtel et dans la Riviera; le but est de couvrir le reste du territoire national en 2023.

L’an dernier, ByKarl a réparé plus de 1200 vélos. Pour ce qui est de l’éthique et des valeurs, tout est formalisé dans le contrat de franchise: tri des déchets, revalorisation des pièces, protection de l’espace de travail, rémunération correcte des collaborateurs. «Il faut que ce soit gagnant pour tout le monde. On a vraiment envie de changer cette mentalité de monde de requins.»

Xavier Ballansat, directeur pour la Suisse romande d’Äss-Bar
36 ans, Lausanne

Boulangerie d’un genre nouveau, la première enseigne d’Äss-Bar a ouvert à Zurich en 2013. Le concept? Vendre pains et viennoiseries de la veille à prix réduit, dans une optique de lutte contre le gaspillage alimentaire. A l’époque, Xavier Ballansat vit outre-Sarine et décide de déployer le concept en Suisse romande. «L’entrepreneuriat, c’est 5% d’innovation et 95% de transposition. L’idée de vendre du pain de la veille n’est pas difficile à trouver, mais la mettre en application avec les réalités d’un certain contexte local l’est plus.» Une première enseigne ouvre à Fribourg en 2016 et une deuxième à Lausanne en 2019.

L’entrepreneur n’a pas eu besoin de démarcher ardemment des boulangeries partenaires. «C’est plutôt elles qui sont venues à nous, une fois que le bouche à oreille avait commencé à faire son œuvre.» Car Äss-Bar propose un vrai service professionnel sur le plan logistique, avec une tournée régulière visant à décharger les commerçants de leurs invendus, une tâche souvent complexe et chronophage. Les produits récupérés sont ensuite vendus dans une enseigne Äss-Bar. Ce travail est mené par les 12 employés très investis, tout comme le sont celles et ceux qui se trouvent à la vente, car leur directeur leur octroie une grande marge de manœuvre, notamment pour ce qui a trait à la prise de décision. «Nous cherchons à appliquer le principe de l’autoresponsabilisation. Les employés décident de beaucoup de choses, ce sont eux qui sont au front. Ils prennent de nombreuses initiatives pour lesquelles je ne suis pas consulté et ça me réjouit: cela montre qu’ils s’approprient le concept et l’entreprise.»

Sofia de Meyer, fondatrice d’Opaline
46 ans, Valais

En 2009, l’aventure Opaline, fondée Sofia de Meyer, débute. Des jus de fruits majoritairement bios et suisses produits à Vétroz (VS). Aujourd’hui, ces boissons sont vendues dans 1700 points de vente en Suisse. 

Sofia de Meyer n’a pas commencé sa carrière dans l’entrepreneuriat mais par un stage dans un cabinet d’avocat, suivi de sept ans dans le droit privé à l’international. Elle revient en Suisse en 2004, bien décidée à opérer une transition. Elle crée alors les Whitepods, des structures d’hébergement légères pour dormir près de la nature. Cinq ans plus tard, elle revend l’entreprise pour se lancer dans l’aventure Opaline: des jus de fruits majoritairement bios et suisses, avec l’ambition de couvrir le marché national.

«Quand je gérais les Whitepods, je trouvais difficile de me fournir en jus de fruits locaux. J’ai commencé à préparer des jus dans ma cuisine, il me semblait important d’être connectée au terrain et de construire à partir de là.» Douze ans plus tard, les boissons Opaline sont disponibles dans plus de 1700 points de vente à travers la Suisse, ainsi que dans un e-shop qui permet la vente directe. Avant la pandémie, 1 million de bouteilles étaient vendues chaque année, puis les ventes ont diminué d’environ 7% en 2021, notamment à cause de la fermeture des restaurants pendant la crise sanitaire.

La démarche d’Opaline se veut éthique à chaque étape: l’usine de production à Vétroz (VS) est dotée d’une ligne de transformation fournie par l’énergie solaire, qui permet de recycler la pulpe des fruits en biogaz. Avec une dizaine d’employés, Opaline fonctionne sur le plan organisationnel en suivant le système de Peter Koenig, une forme de gouvernance où chaque employé peut donner son avis et avoir accès aux informations de l’entreprise en toute transparence.