Vous allez faire venir les Rolling Stones à Berne pour un nouveau concert en juin. Pour vous, est-ce une manière de boucler la boucle?

Oui, j'ai organisé 15 des 16 concerts suisses des Stones. Ils se produiront le 17 juin au Wankdorf à Berne, en face de la Festhalle où ils ont déjà joué en 1973. Ce sera probablement aussi la dernière fois qu'ils se produiront en Suisse. Mike Jagger aura 80 ans l'année prochaine. Lui-même ne peut le cacher, la santé est essentielle. Et un membre du groupe original manque déjà à l'appel: le batteur Charlie Watts. 

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Les Stones ne sont pas spécialement connus pour leur hygiène de vie...

Mike Jagger est en pleine forme. Pourtant, dans leur jeunesse, les Stones ont tout essayé. On ne réalisait pas à l'époque les dangers que représentaient les drogues. Ils ont atteint le point de bascule et compris qu'ils devaient changer quelque chose à leur style de vie. Ils ont même presque arrêté de fumer. Aujourd'hui, ils ont toujours autant de plaisir à faire de la musique. On l'a déjà remarqué en 2017, lorsqu'ils sont venus pour la dernière fois à Zurich. C’était un concert génial. 

Qui restera le plus longtemps en activité, vous ou Mick Jagger?

C'est une question difficile. Nous allons probablement nous arrêter en même temps.

Mais vous n'avez que 73 ans. Mick Jagger aura 80 ans l'année prochaine…

J'ai déjà dit plusieurs fois que j'arrêtais. La première fois, c'était en 2012. Et puis j'ai continué. La prochaine décision sera définitive. Je n'ai déjà plus que quelques activités opérationnelles isolées, je me concentre sur mon rôle de Senior Advisor chez Gadget (lire encadré).

Vous connaissez mieux que quiconque le monde de la musique en Suisse: dites-nous à quoi ressemblera l'été des festivals 2022.

C'est clair, l'été sera surchargé. Et la surabondance n'est jamais une bonne chose. Beaucoup de retard s'est accumulé. Certains soirs, on pourra compter jusqu'à dix concerts à Zurich. Avec Gadget, nous rattrapons aussi les dates que nous avons dû repousser en 2020: Eric Clapton, Pearl Jam, Queen et bien d'autres. La question est la suivante: dans cette situation économique incertaine, les gens ont-ils une envie illimitée de dépenser de l'argent pour des concerts? Il est probable qu'ils soient nombreux à devoir y renoncer. En outre, les priorités ont certainement changé durant la pandémie. La famille a pris plus d'importance, tout comme les fêtes chez les amis dans les appartements. Cela aura aussi une influence.

En d'autres termes, il y aura des perdants parmi les organisateurs.

Je pense que oui.

Faites-vous aussi partie des perdants?

Pour certaines manifestations, nous serons satisfaits si nous atteignons l’équilibre. Nous devons nous attendre à des pertes, j'espère bien sûr qu'elles ne seront pas trop importantes.

Allez-vous subir une perte avec les Rolling Stones?

Non, ce serait triste. Et pour moi, personnellement, ce serait une défaite. Pour la Suisse aussi, de mon point de vue. Ce serait un constat d'échec.

A quel point avez-vous souffert de la pandémie?

L'Etat nous a rapidement indemnisé à hauteur de 80%. J’adresse un grand remerciement aux cantons et à la Confédération. 

Mais vous avez aussi perdu de l'argent.

L'entreprise Gadget, où j'apporte mes relations et mes connaissances en tant que Senior Advisor, a perdu de l'argent. Les aides de l'État ne couvraient que 80% des coûts. Ceci dit, sans ce soutien, il n'y aurait plus d'organisateurs.

A-t-on assisté à un assainissement dans le secteur?

Jusqu’à présent, comme l'argent a afflué, il n'y a pas eu d'assainissement. Peut-être que cela viendra. Pour l'instant, les affaires fonctionnent normalement comme avant la pandémie. Il n'y a plus d'aides publiques. Je trouve cela très bien. Mais le virus n'a pas disparu. Cet été, il ne nous posera pas de problèmes, mais à l'automne, la prochaine vague pourrait déferler. La protection étatique se terminera à la fin de l'année. Je continuerai à m'engager politiquement, en tant que porte-parole du secteur, pour que les aides soient prolongées.

N'y a-t-il pas trop d'organisateurs de concerts?

Je ne souhaite pas me prononcer sur ce point. C'est une question d'équité.

Aujourd'hui, les grands acteurs internationaux dominent parmi les grands organisateurs.

Cette internationalisation a changé notre activité. Les deux grands acteurs internationaux sont Live Nation et AEG. Ils achètent et s'assurent des tournées entières d'artistes. Par exemple, Live Nation a sous contrat les Red Hot Chili Peppers, U2, Coldplay et bien d'autres. Les groupes doivent ensuite récupérer les avances. De ce fait, le business s'est beaucoup transformé. Le prix des billets a augmenté et continue de croître. J'avais moi-même un contrat avec Live Nation, mais j'ai opté pour CTS Eventim à Hambourg, dont je connais depuis longtemps le CEO, Klaus-Peter Schulenberg, avec lequel j'entretiens une relation d'amitié.

Auparavant, vous étiez celui qui tirait les ficelles dans la branche musicale suisse: vous aviez les contacts et pouviez attirer les grands de la branche en Suisse. Avez-vous été évincé par de grands groupes internationaux?

Il y a toujours des artistes loyaux: les Rolling Stones, AC/DC, Bruce Springsteen, Bryan Adams, Zucchero et bien d'autres. Nous entretenons avec beaucoup d'entre eux des relations et des amitiés de longue date. Ils continuent à nous soutenir.

En d'autres termes, les connexions sont toujours précieuses.

Elles ont beaucoup de valeur. Il faut entretenir son réseau. C'est un travail intense, mais cela paie. Il faut savoir donner et recevoir.

Les grands groupes ne veulent-ils pas, avant tout, optimiser leur tournée?

Coldplay, par exemple, a longtemps travaillé avec nous. Puis, ils ont reçu une offre globale attrayante. La fidélité s'est pulvérisée. Lorsque je me renseigne sur la tournée d'un artiste, il peut arriver que l’on me dise soudain: «Sorry, we have signed with Live Nation». J'ai appris à gérer cela. Je n'oublierai cependant pas la carte de rétablissement que Coldplay m'a apportée sur mon lit d'hôpital après un accident de vélo. J'aime toujours autant faire mon travail. Si, en juin, 40'000 personnes veulent voir les Rolling Stones faire encore du rock sur scène après soixante ans, ce sera une énorme satisfaction.

Peut-on comparer les nouvelles stars aux légendes du passé, comme les Rolling Stones?

Autrefois, les groupes passaient par les clubs pour atteindre les grandes scènes, en passant par différents niveaux. Aujourd'hui, grâce aux médias sociaux, une star se hisse comme une comète au sommet. C’est le cas d’Olivia Rodriguez par exemple. Elle a 18 ans et vend 3500 billets en cinq minutes. Savoir si on la connaîtra encore dans trente ans est une autre affaire. 

Le business est devenu extrêmement réactif.

Oui, et il y a beaucoup plus d'argent impliqué. Les garanties augmentent, les marges diminuent et les risques s’accentuent. Autrefois, les musiciens gagnaient de l'argent avec des disques, puis avec des CD. Les tournées servaient uniquement à commercialiser les albums. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les prix ont donc augmenté en conséquence.

Justement, un billet pour le concert des Rolling Stones en juin coûte au moins 170 francs. Est-ce un seuil limite?

Il faut comparer les Stones à une finale de la Ligue des champions. On peut assister à un match nul ennuyeux ou à une partie riche en buts. Et à moins de 500 francs le billet, il est difficile de trouver un ticket. Pour les Stones à Berne, deux heures de musique live attendent le public, tube après tube, soixante ans d'histoire de la musique. Pour 500 francs maximum. Nous appliquons les mêmes tarifs que lors du dernier concert suisse des Rolling Stones en 2017. Par rapport à l'Allemagne, nous sommes même moins chers. Je ne comprends pas pourquoi les prix sont toujours remis en question dans la culture musicale populaire.

Où se situe le seuil limite?

C'est le public qui décide. Si je regarde les prix des concerts des Stones à Las Vegas, il ne semble pas y en avoir.

La capacité à Berne est inférieure à celle de 2017 à Zurich. Vous gagnez donc moins.

Proportionnellement, nous gagnons moins, oui. Mais nous souhaitons toujours jouer dans la Ligue des champions en matière de culture. Nous ferons tout pour ne pas descendre en ligue B. Si nous ne jouons pas le jeu, les fans suisses devront se rendre à Milan ou à Londres pour assister à des spectacles. En tant qu'organisateur, j'ai une certaine fierté, nous voulons faire venir les stars en Suisse.

Les Rolling Stones seraient-ils une sorte de service public?

Non, les Rolling Stones sont un morceau d'histoire de la musique. Des générations différentes assisteront au concert, des familles entières, des petits enfants aux grands-parents. Pour la société Gadget abc Entertainment et pour la Suisse, c'est génial que les Rolling Stones fassent une halte à Berne. Ainsi, nous pouvons encore figurer culturellement sur la carte de l'Europe.

A propos de vieilles légendes: Abba se produit à nouveau sur scène. Mais seulement virtuellement, sous forme d'hologrammes sur une scène à Londres. Êtes-vous triste de ne pas avoir pu les faire venir en Suisse avec ce spectacle?

Chez nous, cela n'aurait pas marché. Nous voulions organiser un concert à Zurich au cours duquel Roy Orbison serait monté sur scène en hologramme. Les critiques ont fusé et l'événement a dû être annulé en raison de mauvaises ventes. Étonnamment, un spectacle similaire avait fonctionné dans les années 1990 avec Elvis Presley. Elvis jouait sur l'écran, son groupe original était sur scène. 6000 personnes ont assisté au spectacle au Hallenstadion. A la fin, des visiteurs se sont précipités devant la scène avec des roses, tellement cela semblait réel.
 
Les événements virtuels ne sont-ils pas l'avenir selon vous? Il y a déjà des concerts dans le métavers.

J'aurais aimé présenter Whitney Houston et sa voix inoubliable sur scène de cette manière, mais elle n'est malheureusement plus en vie. Après la tentative avec Roy Orbison, je ne souhaite plus toucher à ce genre d'expériences. De telles productions sont coûteuses, la technique est compliquée. Des spectacles d'une telle ampleur devraient occuper les salles pendant plusieurs jours, et nous n'avons pas une demande suffisante pour cela. Pour le spectacle d'Abba à Londres, on a construit une salle spéciale. Chez nous, une telle démarche est impensable. On ne peut pas remplacer la musique en live.
 

Le doyen de la branche événementielle

André Béchir est probablement l'organisateur d'événements le plus connu de Suisse. Au cours des cinquante dernières années, le Zurichois a fait venir d'innombrables stars de la musique et du divertissement pour se produire dans le pays. Le pivot de sa carrière a été l'agence de concerts Good News, qu’il a développée à partir des années 1970 pour en faire la plus importante agence événementielle de Suisse. Après s'être séparé de l'œuvre de sa vie, il a fondé la société abc Production, l'actuel Gadget abc Entertainment Group. A l’âge de 73 ans, il y travaille encore comme Senior Advisor.