«C’est l’une de mes caractéristiques: quand j’aime quelque chose, je veux tout savoir, tout comprendre à son sujet. Cela a commencé par la médecine dentaire, sentier sur lequel m’a emmené mon père. Puis a suivi l’aviation. Avec, à la clé, la licence professionnelle. Autre penchant d’inspiration familiale, le plaisir de la table. Ado déjà, j’adorais déguster un bon repas, un bon whisky, un bon vin. «Molto ma non troppo», comme disent nos amis italiens. Dans ma quête de connaissance, je suis allé jusqu’à planter une vigne et à la travailler de A à Z pour comprendre comment un pied en bois produit un nectar tournoyant dans un verre.

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Enfin, à l’âge de 24 ans, a surgi le plaisir suprême: fumer un bon cigare. Révélation étonnante pour le non-fumeur que j’ai toujours été. Mais la première émotion passée, je me suis vite rendu compte que trouver cigare à son goût n’était pas chose aisée. De guerre lasse, je me suis donc mis en tête d’en créer un répondant à mes attentes. Un projet un brin prétentieux qui m’a fatalement conduit à Cuba, au Costa Rica et en République dominicaine. Deux ans. C’est le temps qu’il a fallu pour obtenir «l’objet» de mes rêves. Je me délectais de ce caprice certes coûteux mais si exquis lorsqu’un magasin de la place m’a appelé pour passer commande. Puis un deuxième et un troisième. J’ai fini par craquer. Comprenez: dépasser l’étape du plaisir entre amis pour me lancer dans la production.

Un défi que j’ai choisi de relever en Républicaine dominicaine, pays du cigare par excellence. Trouver un site dimensionné à ma bourse, des producteurs de tabac répondant à mes critères de qualité, des machines adaptées et des artisans et ouvriers capables de produire un cigare premium dans une région où la culture et l’approche du travail n’ont qu’un lointain rapport avec les nôtres fut une mission herculéenne. Mais, avec l’appui d’un ami de longue date, des années de patience, une bonne dose d’obstination et autant de résilience face à ceux qui me traitaient de fou ainsi qu’une douzaine d’allers et retours par année, je suis arrivé au bout de mes peines en décembre dernier.

Aujourd’hui, ma petite usine nichée dans la zone franche de Gurabo, banlieue de Santiago – considérée comme la capitale mondiale du cigare –, a une capacité de production annuelle de 500 000 Tres Hermanos. Les 12 employés y fabriquent neuf modules différents, à la main, avec des feuilles de tabac rigoureusement sélectionnées. Les ventes démarrent gentiment en Suisse romande, mais c’est surtout sur notre boutique de Puerto Plata, où accostent les paquebots chargés de touristes, que nous misons. Avec, à l’appui, une belle publicité tombée du ciel: la victoire de notre module Lancero, face à sept marques prestigieuses, acquise lors d’une dégustation à l’aveugle organisée par un magazine spécialisé alémanique. Un succès qui m’a donné des ailes et l’idée d’associer un autre plaisir à celui du cigare: un bon rhum artisanal dominicain. Mais ça, c’est une autre histoire...»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz