S’il est un secteur qui a été profondément affecté par la crise du Covid-19, c’est bien celui des clubs et des discothèques, périodiquement fermés durant deux ans et soumis aux mesures sanitaires les plus strictes. Une sombre période sur laquelle Olivier Fatton et Igor Blaska, les deux dirigeants du MAD, n’ont guère le temps de s’appesantir aujourd’hui. «2022 sera certainement la meilleure année de toute notre histoire», lancent-ils. Les plus jeunes, privés de lieux de socialisation et de fêtes durant de longs mois, sont avides de se retrouver sur les dancefloors. Mais là n’est pas la seule composante de l’excellente santé financière du club en cet exercice post-pandémique.

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«Un aspect positif dans l’arrêt total de nos activités a été de nous avoir laissé le temps de prendre du recul, ou de la hauteur, chose impossible lorsque l’on est constamment la tête dans le guidon», note Olivier Fatton. Un temps long qui a permis aux deux codirecteurs de se recentrer, «de revenir aux fondamentaux» et de s’alléger par la même occasion de certaines charges. «Des soirées ou des activités historiques qui ne marchaient plus aussi bien mais que nous maintenions pour des questions d’habitude, eh bien, nous les avons arrêtées. On repart d’une feuille blanche», poursuit Igor Blaska.

Engouement pour les soirées d'entreprise

D’autres activités ont pris, elles, leur envol. Comme les soirées d’entreprise, que le MAD organise depuis une dizaine d’années, que ce soit au sein de ses murs dans le quartier du Flon, à Lausanne, ou dans les locaux des sociétés, le plus souvent de grands établissements tels que la BCV, le CHUV, l’Hôpital Riviera Chablais ou Nestlé. Des events «all inclusive» (restauration, personnel, DJ, etc.) pouvant rassembler de 50 à 1600 personnes – voire une fête d’entreprise de 4000 collaborateurs en septembre – très demandés, dont les recettes pourraient s’élever à 20% du chiffre d’affaires du MAD cette année (contre 10 à 15% auparavant). «Après deux ans de soirées de boîte annulées, les entreprises n’attendent plus les mois de novembre ou de décembre pour organiser une fête», constatent les deux codirecteurs.

Sentir l’air du temps, se réajuster, se renouveler. A observer le binôme formé par Olivier Fatton et Igor Blaska, on comprend que les restrictions covid, aussi difficiles aient-elles été à surmonter, ne sont pas les seules à avoir forgé une philosophie de management qui semble s’être solidifiée à l’épreuve du temps. Les deux Neuchâtelois, 48 ans, se connaissent depuis l’âge de 14 ans, à une époque où les deux ados passionnés de musique électronique s’essayaient aux platines du Râteau Ivre, un bar pour les jeunes soutenu par l’association Drop IN, puis du Casino de la Rotonde. «Dans les années 1990, tous les noctambules romands, voire de la Suisse entière, venaient à Neuchâtel pour ses rave parties», se remémorent-ils.

En 1995, Monique et Pascal Duffard, qui ont ouvert le MAD à Lausanne dix ans auparavant (le couple faisait partie du collectif qui avait fondé en 1976 le Moulin à Danses à Genève), commencent à travailler avec les deux jeunes DJ. «A l’époque, le MAD était plus orienté spectacles, concerts, théâtre et one man show. Nous y avons insufflé notre culture électronique», note Olivier Fatton. Au fil des ans, les responsabilités des deux Neuchâtelois s’étoffent, tout comme leurs parts dans la société. «Comme nous n’avions pas d’argent, nous avons conclu un arrangement avec Monique et Pascal pour que ce différentiel soit déduit de nos salaires, et ce, durant plusieurs années», poursuit Igor Blaska.

A leurs débuts, aucun business plan

Après la reprise de la Voile d’Or, au bord du lac Léman, et l’ouverture du pub King Size, également au Flon, des affaires que les quatre partenaires ont montées ensemble, décision est prise d’échanger leurs actions. Ainsi, depuis plus de dix ans, Olivier Fatton et Igor Blaska détiennent 100% du capital de la SA. Aujourd’hui, les deux hommes sont à la tête d’un club qui compte 6000 membres, mais aussi d’un hôtel, le MAD House, ouvert en 2018, d’un MAD Café (2019), d’un petit hôtel en Thaïlande et de plusieurs immeubles dans la région lausannoise. Ce qui représente 70 employés fixes, à 100%, et quelque 300 personnes à temps partiel (en moyenne à 60%), qui sont, il faut le souligner, tous restés fidèles au poste.

«Durant les restrictions covid, nous n’avons pas licencié de collaborateurs et nous avons constamment gardé le lien avec eux, tout comme avec nos membres. Certains ont pu travailler à d’autres postes, comme à l’hôtel, ou dans la restauration lorsque nous avons obtenu une licence de restaurant. Dès lors, le jour des réouvertures des boîtes de nuit, comme en juillet 2021, tout a pu se remettre en place très vite.» Une gestion de la crise chapeautée par Olivier Fatton, apprentissage de technicien-électronicien, et Igor Blaska, apprentissage de dessinateur en bâtiment, dont pourraient prendre exemple bien des diplômés de hautes écoles de business! «Aucun de nous deux n’a jamais travaillé dans ces métiers, rigolent-ils. On a terminé ces formations pour rassurer nos parents.»

A ses débuts, le binôme avoue n’avoir jamais établi aucun budget, ni de business plan. «Tout était géré à travers la trésorerie. Bien sûr, on s’est parfois plantés, mais jamais au point d’en arriver à ne plus payer les salaires.» Il y a une quinzaine d’années, l’organisation s’est structurée, professionnalisée. Des managers ont été nommés; 14 pour le MAD, cinq pour le MAD House. Et pour rester à l’écoute de l’air du temps, essentiel dans l’univers du clubbing, les deux dirigeants ont su s’entourer de petits comités de jeunes très pointus dans différents styles musicaux. «Le chaudron est vieux, mais les ingrédients sont frais», image Igor Blaska. Ce qui permet au club lausannois de maintenir une renommée qui dépasse les frontières helvétiques, le MAD venant d’être classé en 52e position du top 100 des meilleurs clubs du monde par DJ Mag, une référence dans le domaine.

Autre clé pour comprendre cette résilience face aux crises successives que peut connaître toute entreprise: un binôme de CEO qui travaillent ensemble depuis près de trente ans – et qui mangent tous les jours ensemble à midi. Leur recette, pour rester dans l’analogie culinaire? «On n’est jamais d’accord sur rien», s’amuse Igor Blaska. «Nous avons très souvent des visions différentes, on en débat, nuance Olivier Fatton. Mais nous ne lançons jamais un projet auquel nous n’adhérons pas entièrement tous les deux. Il n’y a pas d’ego entre nous et c’est le message que nous essayons de faire passer à nos managers: on ne cherche pas à ce qu’on nous dise à quel point nous avons des idées géniales, mais à oser nous contredire, à faire part d’un point de vue différent et à réfléchir à ce qui est bon pour la boîte et non pour flatter nos ego.»

 

 

Le MAD en chiffres
  • Fondation: 1985
  • Nombre de membres: 6000. Deux mille personnes en moyenne passent au MAD le samedi.
  • Fréquentation: plus de 350 000 personnes fréquentent les établissements du groupe chaque année (hors covid).
  • Nombre d’employés: 70 employés fixes à 100%, 300 personnes à temps partiel (en moyenne à 60%).
  • Chiffre d'affaires: Certainement une année record en 2022. En termes de chiffre d’affaires (aux alentours de 15 millions de francs) et de bénéfice.
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Elisabeth Kim