Demain, une entreprise américaine pourrait ouvrir ses portes à côté de chez vous. La phrase peut faire sourire mais elle n’est pas inconcevable, si on en croit les statistiques issues du Greater Geneva Bern area (GGBa), l’agence de promotion économique de Suisse occidentale. Des chiffres qui ne sont pas forcément exhaustifs, plusieurs sociétés s’implantant dans nos régions en passant sous les radars des organes de promotion. Malgré la pandémie, la Suisse confirme donc son attractivité en comparaison internationale. D’ailleurs, certaines structures, à l’instar de Sun Genomics, ont choisi de s’installer en terre fribourgeoise sans même jamais y avoir mis un pied, uniquement à la suite de démarches virtuelles.

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«Il ne faut pas s’arrêter aux chiffres, souligne Thomas Bohn, directeur du GGBa. Il peut y avoir de très grandes structures comme des petites employant une ou deux personnes. La majorité des implantations sont des PME. Pour les start-up, on ne prospecte que celles déjà financées. Mais surtout, on recherche en priorité des sociétés intéressantes pour le tissu économique local. Nous avons affiné notre approche. Nous n’allons plus seulement chercher par pays, mais par type de projet ayant un impact positif pour la Suisse.»

La France reste toutefois en tête des arrivées en Suisse occidentale, avec 28 sociétés l’an dernier. Les Etats-Unis (14) et la Chine (7) suivent. Innovaud observe cette année une augmentation des demandes provenant d’Europe de l’Est, notamment d’Ukraine et de Russie. Les secteurs les plus représentés sont les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’industrie de précision et les sciences de la vie.

Vaud est le champion des implantations étrangères, même si les cantons travaillent en bonne intelligence et qu’une concurrence naturelle se dessine. Chaque région met en place des pôles de compétences. Ainsi, Fribourg et Vaud se profilent dans la foodtech, Neuchâtel et Genève attirent les fintechs, tandis que les sciences de la vie intéressent tout le monde. «A l’échelle internationale, la Suisse romande est un village», résume Lionel Socchi, délégué à la promotion économique du Jura.


Atouts géopolitiques: la Suisse, un pilier stable au cœur de l’Europe

C’est le critère prédominant dans le choix des entreprises, en quête d’un pays tranquille, multilingue et idéalement situé. Certaines quittent même la Silicon Valley pour s’implanter ici.

Et si ce qui nous semble ennuyeux était justement l’un des principaux attraits de la Suisse? Les institutions fonctionnent bien en comparaison internationale. Entreprises et privés évoluent dans un Etat de droit et la paix sociale est arrimée à une forte tradition du consensus helvétique. Le graal pour certains entrepreneurs provenant du Brésil, de Chine et même de France. «La péjoration des conditions-cadres en France et le durcissement du dialogue employeur-employé ont poussé plusieurs entreprises françaises à s’intéresser à la Suisse», observe Lionel Socchi, délégué à la promotion économique du Jura.

Le multilinguisme est aussi un atout. Pour preuve, Teranga Groupe, spécialiste du contrôle pour l’industrie pharmaceutique et cosmétique, vient d’ouvrir une antenne à Microcity. «La Suisse est un marché important pour nous. Neuchâtel, carrefour entre la Suisse romande et la Suisse alémanique, est idéal pour y déployer nos services», explique son CEO, Eric Petat. Même son de cloche chez Ma Cher, commerçant américain de produits design ayant son siège européen à Lausanne.

Certains ont d’abord testé la Silicon Valley, comme Ilya Volkov, CEO de YouHodler, fintech russe active dans la crypto, qui s’est installé aux Etats-Unis avant de lui préférer Lausanne pour y établir le siège de sa société. «Nous avons passé un an dans la Silicon Valley à recueillir des expériences, raconte-t-il sur le blog de la GGBa. J’ai finalement choisi Vaud pour sa situation au centre de l’Europe, ses infrastructures financières réputées et l’excellent soutien offert pour créer une entreprise ici.» Il coordonne désormais l’activité de l’association CryptoValley en Suisse romande et en Europe de l’Ouest.


Yves Froppier, CEO EyrApproach
«Créer une joint-venture plutôt que de recommencer de zéro»

Yves Froppier, CEO d'EyrApproach

© Loris von Siebenthal


«On a créé la société sans se voir en présentiel, en pleine pandémie. C’est une joint-venture (JV) dans l’IT, entre une PME genevoise et une société belge. Les besoins en cybersécurité,
la typologie de sociétés avec des PME/PMI, la culture multilingue et le nombre important d’entreprises internationales en Suisse romande comme en Belgique nous ont fait nous intéresser à la Suisse. Par ailleurs, il est plus facile de créer une joint-venture que de recommencer de zéro sur un nouveau marché. Nous sommes 100 en Belgique et 80 entre Genève, Lausanne et Neuchâtel. Cette implantation permet également de garder les données en Suisse et d’y créer un centre de surveillance, sur le même modèle que nous avons établi en Belgique.»


George Papagiannakis, fondateur ORamaVR
«La culture business helvétique est aussi plus proche»

George Papagiannakis, fondateur de ORamaVR


«Nous hésitions entre la Silicon Valley et Genève. Nous avons choisi la Suisse, car nos partenaires, nos clients et les talents se trouvent en Europe. Ils voulaient notre présence ici. Nous travaillons déjà avec cinq hôpitaux en Suisse, notamment celui de l’Ile à Berne, qui utilisent notre technologie d’apprentissage des gestes médicaux via la réalité virtuelle. La culture business helvétique est aussi plus proche de la grecque – origine de la société – que de l’américaine. J’ai d’ailleurs étudié à Genève en 2006. Les Etats-Unis sont un marché très grand, avec des distances énormes. Nous avons un bureau là-bas pour la vente et nous collaborons avec Stanford, mais nous voulons développer le management, le marketing en Suisse.»


Vincent Colin, directeur commercial Almond
«Genève n’est pas l’extension de la région Rhône-Alpes»

Vincent Colin, directeur commercial d'Almond


«Nous avons souvent des entreprises françaises qui arrivent en Suisse romande en donneuses de leçons, pensant que parce que nous sommes voisins et parlons la même langue, ce sera pareil qu’en France. Elles considèrent souvent la Suisse comme une extension de la région Rhône-Alpes. C’est une grave erreur. Il faut connaître l’écosystème, le marché, les attentes. La démarche d’Almond est de construire une relation basée sur la qualité et la reconnaissance de son expertise. Il faut être patient, bâtir un réseau sur lequel on pourra s’appuyer et se faire conseiller. Et puis il faut aussi comprendre la dimension cantonale quand on approche le marché suisse.»


«La diversité est un catalyseur pour l’innovation»

Les sociétés étrangères s’implantent dans notre pays pour y trouver des compétences et un écosystème de haut vol. La Suisse romande, ses hautes écoles, ses parcs technologiques et incubateurs sont sources de création, mais ne font pas tout. Réactions de Patrick Barbey, directeur d’Innovaud.

Patrick Barbey, directeur d'Innovaud

1. La diversité découlant des nouvelles implantations, propice à l’innovation?
«On sait que la diversité est un catalyseur pour l’innovation. Dans le canton de Vaud, 34% de la population n’est pas suisse, ce qui rassure les sociétés souhaitant s’installer avec des collaborateurs non francophones. Très vite, cependant, celles-ci cherchent également à recruter localement pour faciliter l’intégration. Cela génère quelques ajustements, car le taux de chômage est bas. On a des talents, mais ils ne sont pas toujours disponibles. Parfois aussi les profils sont si spécifiques qu’il faut recruter à l’échelle mondiale, comme pour Destinus, en quête d’ingénieurs en cryo-propulsion. La Suisse est régulièrement classée numéro un dans l’innovation, notamment en raison des dépôts de brevets. Attention cependant à la fin des soutiens en lien avec les bilatérales. C’est inquiétant pour le développement académique et indirectement pour les entreprises. On entend déjà des cas de professeurs de top niveau préférer d’autres pays que la Suisse pour cette raison. Cet environnement propice à l’innovation pourrait s’effriter alors qu’il a été très long à se mettre en place.»

2. L’impact démographique des arrivées de collaborateurs étrangers
«Je n’ai pas de statistiques. Toutefois, l’expérience montre que les sociétés qui se créent peuvent amener 30 à 50% de collaborateurs avec elles. Culturellement, il y a aussi une demande pour intégrer les familles. On les oriente vers des services dédiés, mais ceux-ci sont souvent saturés – d’autant plus avec la situation en Ukraine. Il n’y a actuellement pas de visa facilité pour les employés qualifiés et cela peut retarder des projets. Les démarches peuvent prendre du temps. Ce n’est pas le message idéal à donner aux entreprises. Certains pays, comme Israël et l’Irlande, ont mis en place des visas start-up rapides. Ce type de dispositif est en discussion à Berne. On espère qu’il pourra aboutir rapidement. Ce serait clairement un avantage compétitif pour nous par rapport à d’autres pays européens.»

3. L’arrivée de sociétés étrangères innovantes, un appel d’air pour les investisseurs étrangers
«Il y a plusieurs tendances nouvelles: d’abord celle de créations de start-up avec des investisseurs très solides derrière qui ont de l’expérience. Destinus et 110 Industries en sont deux exemples, avec des projets ambitieux. Ensuite, la dynamique d’implantations suscite l’intérêt d’investisseurs étrangers pour la Suisse. Soit ils investissent dans des sociétés ici, soit dans des fonds sur la place ou encore ils créent leur propre infrastructure en Suisse, comme c’est le cas avec E4 VC. Enfin, on observe la prépondérance des fonds étrangers pour les tours de financement importants. La Suisse est désormais passée dans le radar des investisseurs étrangers qui y voient un potentiel intéressant, tandis que les investisseurs suisses ne se pressent pas (encore) sur ce marché.»


La Suisse sera-t-elle toujours aussi attractive dans dix ans?

Le modèle helvétique n’est pas immuable. Parmi les défis à venir: des accords bilatéraux en berne, la pénurie de main-d’œuvre et la crise énergétique.

  • Relations avec l’Union européenne «C’est un point à surveiller, souligne Thomas Bohn, directeur du GGBa. Avant, nous étions très actifs aux Etats-Unis en présentant la Suisse comme une porte d’entrée vers l’Europe. Ce discours ne fonctionne clairement plus, notamment auprès des medtechs.» Plusieurs pistes alternatives sont envisagées. La création de fonds d’innovation pour soutenir les scale-up suisses est discutée à Berne. Les lignes directrices seront disponibles en janvier 2023. Mais, pour rester attractif pour les chercheurs étrangers, il faudra mettre sur la table des montants significatifs de l’ordre de 10 à 20 milliards.
  • Pénurie de talents La chasse aux talents est ouverte et entraîne une hausse des salaires dans certains secteurs. «C’est une vraie difficulté, le marché est extrêmement tendu partout en Europe», souligne Yves Froppier, CEO d’Eyr-Approach, spécialiste de cyber-sécurité. Pour garder ses entreprises technologiques, la Suisse doit réagir. «Il faut promouvoir le codage comme une compétence essentielle, souligne Arman Gukasyan, CEO de Vizerra. La programmation est partout, que ce soit pour les appareils connectés, les villes intelligentes, la médecine personnalisée ou les réseaux électriques propres. Cela commence par la motivation des enfants à étudier la programmation et la robotique.» Les biotechs et l’industrie de précision peinent également à recruter.
  • Approvisionnement énergétique Le message ne cesse d’être répété. Pour rester attractive et indépendante, la Suisse doit mieux faire sur le plan énergétique et proposer des solutions à ses entreprises. «Nous devons viser une autonomie énergétique, observe le patron du GGBa. On ne doit pas ignorer qu’une restriction énergétique guette. Dans ce sens, des projets autour de l’hydrogène, comme celui de Watt-AnyWhere, sont prometteurs. Nous devons encourager les sociétés qui travaillent sur l’énergie du futur.» Autre exemple dans le stockage de l’énergie: celui de l’entreprise chinoise Sech, implantée dans le canton de Fribourg en 2017.

Quand les centres de décision des sociétés étrangères sont hors de Suisse

Souvent, les organes décisionnels des sociétés étrangères restent dans leur pays d’origine. Le risque est donc plus important de fermer un site suisse en cas de coup dur. Banques, partenaires et collaborateurs s’en inquiètent.

Florence Baldacchino, ex-députée au Grand Conseil neuchâtelois
«Nous exigeons la restitution des allègements fiscaux»

Florence Baldacchino, ex-députée au Grand Conseil neuchâtelois

© S. VERDON


«Le groupe américain Johnson & Johnson a annoncé fin février la délocalisation d’une partie de sa production d’équipements médicaux de Neuchâtel au Costa Rica et au Mexique. Cela représente 320 licenciements. L’Etat de Neuchâtel a offert des cadeaux fiscaux à ces multinationales, mais ne sait pas durcir le ton quand il le faut. Certes, des emplois ont été créés et une partie de la société reste dans le canton, mais il n’y a pas une volonté des autorités de sanctionner lorsque ces entreprises ne jouent pas le jeu et délocalisent, dispersant les équipes dans des filiales ici et là. Le Conseil d’Etat a peur de donner un mauvais signal à d’autres sociétés intéressées à s’implanter. Il craint le dégât d’image, alors que le canton souffre déjà de décroissance démographique. Pourtant, on trouve à Neuchâtel l’exemple inverse avec Takeda, qui vient d’investir 200 millions de francs dans une nouvelle ligne de production. Depuis dix-sept ans, elle crée des emplois et de la valeur dans la région, cela malgré les changements de propriétaires américains (Baxter, Shire) puis japonais (Takeda). Pour Johnson & Johnson, nous exigeons la restitution des allègements fiscaux et autres aides dont l’entreprise a bénéficié ces dernières années.»


Jerry Krattiger, directeur de la promotion économique du canton de Fribourg (PromFR)
«Politique et promotion ont un rôle préemptif à jouer»

Jerry Krattiger PromFr by STEMUTZ, bluefactory, 05.08.2020

Jerry Krattiger, directeur de la promotion économiquedu canton de Fribourg (PromFR)

© Stephane Schmutz


«Nous avons eu deux rachats importants dans le canton de Fribourg: Villars Maître Chocolatier par la société française Savencia Fromage & Dairy et Saia-Burgess par le groupe chinois Johnson Electric. Il y a souvent un préavis négatif par rapport aux investisseurs étrangers et notamment asiatiques. Toutefois, dans le cas de Johnson Electric à Morat, ils ont construit une entreprise modèle avec de très hautes compétences. Certaines craintes sont parfois justifiées. Pour la fermeture récente d’Erie-Electroverre à Romont (filiale de l’américain Epredia), l’évolution du marché a joué un rôle prépondérant. Les départs peuvent aussi se faire avec des sociétés suisses ou pour ailleurs en Suisse. Ça a été le cas de Tupperware, qui évoquait des raisons purement fiscales. J’étais très fâché, d’autant que l’avantage n’était pas démontré. Politique et promotion économique ont un rôle préemptif à jouer. Nous avons par exemple travaillé avec une société internationale dans les sciences de la vie qui avait des projets de croissance à l’étranger. Le soutien pour la mise en place d’une structure modulaire pour produire dans le canton a convaincu cette entreprise de poursuivre son développement à Fribourg.»


Un jeu d’équilibre pour s’intégrer dans le tissu économique local

S’implanter dans une région qui n’est pas la sienne, c’est aussi se confronter à des réactions plus ou moins positives. Difficultés, bonnes pratiques, opportunités d’affaires, un équilibre savant est à trouver.

«Notre but n’est pas d’implanter à tout prix n’importe quelle entreprise n’importe où. Notre démarche est avant tout qualitative», tient à rappeler le Service de l’économie du canton de Neuchâtel. Fribourg va même plus loin et déclare ne pas accompagner les démarches d’une société pouvant entrer en concurrence avec plusieurs autres entreprises sur place. Un accord tacite. Une chose est sûre: on soigne les liens antérieurs. En effet, les partenariats noués de longue date poussent souvent à venir dans une région. Exemple en Valais avec Lonza et le groupe américain Kodiak Sciences, qui a inauguré son centre de bioconjugaison à Viège cette année, créant 12 postes chez Kodiak et 70 chez Lonza.

Les obstacles existent aussi. «D’un côté, on essaie d’attirer des entreprises étrangères, mais, de l’autre, on se heurte à des mesures administratives problématiques, telles que les autorisations de travail pour les pays hors Europe. Cela manque de cohérence, souligne Lionel Socchi, délégué à la promotion économique jurassienne. Pourtant, ces communautés créent une richesse et apportent leur carnet d’adresses. Pour le tissu local, ce sont des opportunités d’affaires et des pistes ouvertes vers l’étranger.» Son homologue fribourgeois pointe les difficultés pour ouvrir un compte bancaire lorsqu’on est Américain, notamment: «La compliance bancaire est devenue un calvaire. Ouvrir un compte nécessite de lourdes démarches.»

«Chaque société apporte un savoir--faire qui profite à l’écosystème local, appuie Thomas Bohn. La taille n’est pas une référence pour évaluer l’impact. Prenez l’implantation de Google à Zurich, ils étaient cinq au début et, dix-sept ans plus tard, ils sont 5000 et c’est le plus grand centre R&D de Google hors des Etats-Unis. Leur arrivée a généré ensuite des cursus de formation et des start-up, ainsi que des collaborations avec des partenaires. Ces effets microéconomiques sur le long terme nous intéressent et sont à l’origine de notre démarche.»

Impact également sur l’emploi direct et indirect. Les projections de créations d’emplois se veulent objectives. Dans le cas de Fribourg, la réalité a même dépassé les attentes: +2,3% entre 2016 et 2021. Jerry Krattiger s’en réjouit: «La promotion économique exogène est directement liée à l’endogène. On a souvent une vision faussée d’un service qui court le monde, mais 70% des activités visent à soutenir le tissu local. Le dynamisme des extensions et des implantations a généré par exemple dans le canton, en 2021, 1000 emplois toutes sociétés confondues.»

«On privilégie les projets pérennes et on ne voit plus de sociétés boîtes aux lettres», ajoute Lionel Socchi. Pourtant, sur le terrain et notamment dans certains incubateurs romands et parcs technologiques, on peine à remplir l’espace et il n’est pas rare de voir des start-up pilotées depuis l’étranger. Effet covid, se dépêche-t-on de répondre.

Services et sous-traitants profitent aussi de ces nouveaux venus. Tornos, dans le Jura bernois, collabore avec plusieurs pharmas pour les systèmes de production. L’américain Tiffin Metal Products, qui assemble des équipements de manutention, se fournit en composants auprès de tôleries dans le canton de Fribourg.

De son côté, le hongrois ImpactScope a ciblé un tissu économique précis et choisi Genève pour décarboner l’industrie de la crypto. Sean Murphy, son cofondateur, a très vite lancé les collaborations. «La Suisse a l’une des meilleures réglementations pour la blockchain et les cryptomonnaies en Europe. Genève est la capitale mondiale des organisations internationales consacrées au développement durable. C’était une évidence pour nous de nous installer ici», rapporte-t-il au GGBa.

Proposant un service de niche de gestion de l’obsolescence des équipements électroniques, PLSWISS, filiale du groupe français Cofiem Electronics, s’interrogeait sur la réaction du marché romand. Son modèle de reconditionnement des machines industrielles allait-il séduire les entreprises? «L’absence de concurrence a certainement un côté positif, mais signifie aussi que nous avons dû beaucoup travailler pour convaincre et changer les habitudes», note Jérémie Bichet, responsable commercial de PLSWISS. Profitant de la pénurie chez les fabricants, il collabore désormais avec les industries dans l’agroalimentaire, l’horlogerie et la pharma, implantant sa démarche d’économie circulaire.


Le Valais, la Mecque du renouvelable
WhatAnyWhere: Depuis 2021 à Energypolis, à Sion

WaattAnyWhere: Depuis 2021 à Energypolis, à Sion

L’énergie du futur se dessine peut-être à Energypolis, à Sion, où la start-up WattAnyWhere a été créée en 2021 par deux Français spécialisés dans la pile à combustible convertissant l’éthanol renouvelable en électricité. «Le Valais, qui a une expertise dans le domaine des énergies renouvelables, a rapidement été identifié comme un lieu stratégique pour notre développement», explique Alexandre Laybros, cofondateur de l’entreprise. Son associé est resté à Paris pour démarcher en France des groupes comme Vinci et gérer les relations avec la région de Belfort, où des tests sont menés. La triangulation fonctionne et la société vient d’être récompensée aux Trophées CCIFS du commerce France Suisse.

«Notre technologie intéresse les compagnies d’électricité en Suisse. C’est la démonstration que le tissu industriel ici est prêt à s’associer avec des start-up et à les soutenir, mentionne le CEO. La France a une politique très différente et des blocages arrivent rapidement. En Valais, le pôle Energypolis, via la fondation The Ark, a été très réactif et nous a aidés à trouver des financements après seulement quelques mois d’incubation.» A noter que, si la start-up quittait le pays avant fin 2023, elle devrait rembourser les aides reçues.

Le coût de la vie en Suisse n’a pas effrayé WattAnyWhere. Comme d’autres sociétés venues en Romandie, la jeune pousse fait le constat que l’écart n’est, au final, pas si grand. «La Suisse est chère, mais les charges sociales sont beaucoup moins importantes qu’en France, ajoute-t-il. Pareil pour les perspectives d’imposition, qui sont plutôt favorables en Suisse. Le coût total est donc raisonnable.»


A Fribourg pour être à proximité des partenaires
Cofiem Electronics: Depuis 2018 à Marly avec sa filiale PLSWISS

Jérémie Bichet

Cofiem Electronics: Depuis 2018 à Marly avec sa filiale PLSWISS

© Charly Rappo

C’est une opération séduction rondement menée par le Greater Geneva Berne area (GBBa) qui a attiré le groupe lyonnais Cofiem Electronics à Marly, dans le canton de Fribourg. C’était en 2018. Cette implantation en terres fribourgeoises a permis la création de PLSWISS, filiale de Cofiem Electronics. Pour rappel, les deux sociétés sont actives dans la réparation et la fourniture d’équipements électroniques industriels obsolètes. Un concept méconnu en Suisse. D’où les appels du pied du GBBa.

Le Lyonnais Jérémie Bichet s’en souvient bien: «Les acteurs suisses nous ont rapidement convaincus. Nous travaillions déjà depuis la France avec une cinquantaine d’entreprises suisses actives dans la chimie et l’horlogerie. Faire de l’import-export, c’est une chose. Etre sur place, c’est plus dynamique. Depuis notre arrivée, la croissance est fulgurante. Le fait d’être en Suisse nous permet d’être à proximité des partenaires locaux.» PLSWISS fait le choix de sortir des grandes villes romandes: «On nous a présenté un projet au Marly Innovation Center. Il nous a tout de suite séduits. On peut grossir rapidement, prendre des locaux et du stock sans devoir déménager. Et cela tout en gardant un haut niveau de service. De plus, on reste central en Suisse romande.»

Jérémie Bichet souligne l’accompagnement constant reçu sur le plan commercial et personnel afin de réussir son implantation: «Nous avons une fiduciaire en Suisse qui nous a beaucoup aidés pour toutes les démarches de départ. Le GBBa nous a aussi beaucoup épaulés. J’ai donc trouvé l’implantation très facile.» Après quatre ans d’une vie heureuse à Marly, Jérémie Bichet et PLSWISS préparent déjà un niveau saut: le marché alémanique.


La conquête de l’Europe depuis le canton de Vaud
Yum! Brands: Depuis 2021 à Lausanne pour ses restaurants KFC

Yum! Brands: Depuis 2021 à Lausanne pour ses restaurants KFC

© Carsten Kuhn

Le groupe américain Yum! Brands et ses filiales exploitent un système de plus de 53 000 restaurants rapides dans 155 pays et territoires – KFC, Taco Bell, Pizza Hut et Habit Burger Grill. Depuis le mois de juillet 2021, le leader du poulet KFC (26 000 restaurants dans plus de 145 pays) a installé son siège à Lausanne pour son marché d’Europe occidentale. La raison est simple: «L’Europe est le troisième plus grand marché de restaurants du monde», souligne Nathalie Choudet, responsable de la transformation et des ressources humaines en Europe, KFC, Yum! Brands.

Afin de renforcer les capacités de l’unité commerciale d’Europe de l’Ouest, «il a été décidé de créer un siège européen unique pour superviser le développement de la proposition de franchise KFC et les opérations de l’entreprise KFC dans toute l’Europe (à l’exception du Royaume-Uni). Le groupe a choisi le canton de Vaud «sur la base d’une étude complète comprenant l’évaluation de différents facteurs en comparaison avec une liste d’autres juridictions. Les résultats montrent que le canton de Vaud est le mieux adapté à la nouvelle activité européenne, avec un score élevé dans tous les domaines. Notamment de par sa situation, la qualité de ses talents locaux, la diversité de la main-d’œuvre et son niveau global de développement économique.»

KFC Europe a déjà recruté ou transféré près de 34 personnes depuis septembre 2021. Son objectif d’ici à fin 2022 est d’atteindre une cinquantaine de collaborateurs, dont la moitié de locaux.


Vers la fin des allègements fiscaux?

Historiquement, beaucoup d’entreprises étrangères s’implantaient sur sol suisse pour des raisons fiscales. Ce n’est plus l’argument premier aujourd’hui et l’harmonisation proposée par l’OCDE va encore changer la donne.

Tous les cantons n’adoptent pas la même ligne en matière d’allègements fiscaux. Vaud et Neuchâtel sont les plus généreux pour les entreprises. A Genève, le ton se durcit, avec le rapport «Stop aux allègements fiscaux en faveur des entreprises actives dans les domaines du négoce et de la finance» présenté au Grand Conseil en octobre dernier. Ailleurs aussi. «Il est difficile d’accorder un allègement à une entreprise et pas à une autre. Ce n’est pas gérable», note Lionel Socchi pour le Jura.

A Fribourg, un travail de fond a été entamé pour réduire le nombre de «cadeaux» aux entreprises. En 2014, 58 entreprises bénéficiaient d’allègements. Ce chiffre est progressivement descendu à 20 en 2021, soit près de deux tiers de moins en sept ans. Par ailleurs, «le montant global des soutiens financiers directs s’élève à 2,2 millions de francs au maximum, cela étalé sur plusieurs années», relève le rapport 2021. En 2019 par exemple, le canton a renoncé à 15,6 millions de francs de rentrées fiscales. Toutefois, les entreprises ayant bénéficié d’allègements ont contribué à des recettes fiscales nettes d’un peu plus de 21 millions de francs. Un calcul délicat mais important.

«Notre politique consiste à proposer une fiscalité attractive pour toutes les sociétés. La réforme fiscale du canton, avec un abaissement pour tous de 20 à 13,72%, va dans ce sens, rappelle Jerry Krattiger, directeur de PromFR. Les sociétés s’implantent pour nos écoles et nos compétences. L’aspect fiscal reste secondaire. Il est d’ailleurs à noter que je n’ai jamais dû actionner l’instrument du «claw-back» pour demander une restitution des allègements fiscaux.» Un outil utilisé en 2012 dans le canton de Vaud pour le géant minier brésilien Vale, qui avait dû restituer 212 millions de francs d’impôts et qui est aujourd’hui demandé dans le cas de Johnson & Johnson.

Le constat  «S’il n’y avait que l’intérêt de la fiscalité avantageuse, les entreprises iraient s’établir à Dubaï, par exemple. Les compétences et la stabilité politique sont nos atouts», estime Thomas Bohn.

«En France, pour prendre cet exemple, le gouvernement peut tout à coup décider d’un impôt rétroactif sur les entreprises», poursuit-il. Reste que, avec l’harmonisation fiscale à 15% proposée par l’OCDE pour les entreprises de plus de 750 000 francs de chiffre d’affaires, un équilibrage pourrait toutefois s’opérer. «Les différences entre cantons vont être nivelées et la Suisse romande pourrait être gagnante par rapport à la Suisse centrale, estime Patrick Barbey, directeur d’Innovaud. Maintenant, tout n’est pas clair du côté des super-déductions possibles ou du chiffre d’affaires.»