On parle souvent du Vietnam comme d’une alternative intéressante à la Chine: salaires deux à trois fois inférieurs, main-d’œuvre bien formée… Mais dans les usines de l’entreprise VinFast, ce sont les 12 000 robots de l’entreprise suédo-suisse ABB qui font le job. Car pour produire des voitures électriques susceptibles de rivaliser avec les Tesla, Hyundai ou VW, il faut pouvoir compter sur une qualité irréprochable. Que seules les machines peuvent assurer.

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Nous ne nous attendions pas à pareille débauche de technologies. Construit en un temps record au milieu des rizières près du port de Hai Phong, ce nouveau complexe industriel s’étend sur 335 hectares avec l’objectif d’y produire à terme quelque 950 000 voitures par an. Exclusivement électriques. Du SUV haut de gamme à la mini-voiture type Smart, pour un prix de vente de 10 000 à 12 000 dollars, annoncée pour la fin 2024.

Usine moderne

Lorsque nous visitons l’usine ultramoderne du groupe VinFast, début juin, la production tourne autour de 4000 unités par mois. Le marché domestique reste pour l’heure le principal débouché – on compte actuellement 23 voitures pour 1000 habitants. Dans les rues chaotiques de Hanoï et de Saïgon, les taxis verts de la compagnie lancée par VinFast offrent la meilleure des publicités à une marque qui se présente aussi comme un champion de la transition énergétique. Mais c’est à l’étranger, aux Etats-Unis et en Europe, que VinFast veut désormais s’imposer pour profiter du boom global de la mobilité électrique.

Une délégation de parlementaires suisses a d’ailleurs visité fin juin l’usine VinFast dans le cadre d’un voyage au Vietnam et à Singapour. L’occasion de prendre conscience de l’extraordinaire décollage industriel du pays et de redonner de l’élan aux négociations sur un traité de libre-échange avec l’AELE entamées il y a plusieurs années déjà (lire encadré).

Présence suisse

Outre l’accord de libre-échange en discussion depuis plusieurs années, la délégation parlementaire menée fin juin par le président du Conseil national Martin Candinas évoquera au plus haut niveau les relations économiques bilatérales entre la Suisse et le Vietnam. Notamment le programme de soutien du Seco pour une meilleure intégration des PME vietnamiennes dans les chaînes de valeur. Un programme de 70 millions de francs sur quatre ans qui comprend aussi un soutien à la formation des cadres bancaires, notamment. Les entreprises suisses sont très actives au Vietnam, mais pas toujours de manière visible. Les lignes de production VinFast offrent justement une bonne illustration de cette présence avec les presses Bühler, Sika et le bal des robots ABB.

Positionnement audacieux

Le pari automobile de Vingroup est audacieux. Il révèle les aspirations d’un pays qui se positionne désormais non plus seulement comme l’un des principaux producteurs mondiaux de baskets et de t-shirts, mais aussi comme un acteur de la tech avec qui il faut compter. Ainsi, c’est au Vietnam que se trouve la plus grande usine de smartphones du monde, celle de Samsung, qui compte quelque 60 000 salariés. Et des entreprises informatiques telles que la lausannoise ELCA y sont actives depuis longtemps.

Le Vietnam est aussi l’un des pays où le solaire a crû le plus rapidement ces dernières années. Il compte désormais pour 11% du mix énergétique national et contribue à diminuer l’importance du charbon (encore 50% de la production d’électricité). Comme les records vont souvent de pair, l’économie a enregistré l’an passé un taux de croissance de 8%. Le plus élevé de tous les pays asiatiques.

Mais trêve de statistiques. On sait combien il est difficile de percer sur le marché automobile. Et même si la révolution électrique du secteur entraîne une vaste redistribution des cartes, les concurrents américains, japonais, coréens et chinois conservent quelques longueurs d’avance. Quelles sont alors les chances de réussite du nouveau venu?

En moins de deux ans, la marque vietnamienne a développé cinq modèles différents en ayant recours aux meilleurs fournisseurs de composants et en mobilisant les spécialistes les plus pointus du secteur – plus de 40 nationalités différentes sont actuellement représentées chez VinFast au Vietnam.

Question de fierté nationale

«On doit réinventer la manière dont on développe et produit les voitures», explique, euphorique, l’Australien Benjamin Stewart, un vétéran de General Motors. Avec quels atouts? «Il ne s’agit pas seulement de réaliser la vision de Pham Nhat Vuong, le patron et fondateur de Vingroup, mais celle d’un pays tout entier.» Entendez: le pouvoir vietnamien est à 150% derrière l’expansion de VinFast. Et en fait une question de fierté nationale.

L’histoire personnelle de Pham Nhat Vuong n’en est pas moins instructive. Né à Hanoï en 1968, ce fort en maths a étudié la géologie à Moscou avant de déménager à Kharkiv, en Ukraine, où il ouvre un restaurant vietnamien puis une usine de nouilles et de soupes instantanées. Il la vendra à Nestlé pour 150 millions de dollars. De retour au pays, il bâtit, grâce à ce pactole, le premier conglomérat privé du pays actif dans le commerce de détail, la santé, l’électronique, les loisirs, le tourisme et l’immobilier, Vingroup. Et si sa fortune a diminué de moitié depuis 2021, selon le magazine Forbes, il reste, avec 4,4 milliards de dollars, la personne la plus riche du Vietnam.

A la périphérie de la capitale, les nouvelles cités Ocean Park 1 et Ocean Park 2, c’est Vingroup. Avec, pas loin, la Vin-University, l’institut de formation privé le plus cher du pays. Les tours et les grands hôtels en bordure de la baie de Halong, c’est Vingroup, encore lui. On pourrait continuer la liste des activités qui lui assurent la traction financière nécessaire pour pénétrer un secteur particulièrement gourmand en capitaux, l’automobile.

Depuis 2017, Pham Nhat Vuong a investi plus de 8 milliards de dollars dans cette aventure. Il annonçait récemment avoir mis 1 milliard de sa poche sur les 2,5 milliards de dollars destinés à la construction d’une usine de batteries en Caroline du Nord. «Le patron de Vingroup a d’immenses moyens financiers. Et beaucoup, beaucoup de courage», note, mi-figue, mi-raisin, un observateur averti de Vingroup, coté à la bourse vietnamienne et bientôt à celle de New York.

Concurrence le marché établi

En s’attaquant en priorité au marché américain, VinFast n’a en effet pas choisi la facilité. Mais qui y pénètre avec succès réussit ensuite partout dans le monde, c’est le calcul. En Californie, la marque vietnamienne a certes dû rappeler des véhicules. «Mais la bonne nouvelle, explique l’ingénieur Ben Stewart, c’est qu’il s’agit de bugs de logiciels. Et pas de hardware avec les enjeux de tenue de route et de sécurité qui pourraient aller avec.»

VinFast s’attaque à l’Europe en septembre, avec notamment  les modèles de classe supérieure VF9 et VF8, dessinés par Pininfarina. Sur la photo, la CEO du groupe, Thi Thu Thuy.

VinFast s’attaque à l’Europe en septembre, avec notamment les modèles de classe supérieure VF9 et VF8, dessinés par Pininfarina. Sur la photo, la CEO du groupe, Thi Thu Thuy.

© DR

En Europe, la marque vietnamienne commence par la France, l’Allemagne et les Pays-Bas. Livraison des premières commandes en septembre. Dessinés par Pininfarina, vendus respectivement 99 590 et 59 390 euros, les modèles de classe supérieure VF9 et VF8 en jettent. Sans être un spécialiste, l’auteur de ces lignes, qui a essayé les deux modèles à Hai Phong, peut en témoigner: la motorisation, la conduite et les équipements de ces véhicules sont à la hauteur de leur silhouette. Difficile, en revanche, de vérifier si l’autonomie annoncée par le constructeur (jusqu’à 594 kilomètres) se confirme.

Ce qui est sûr: la trajectoire de VinFast, comme celle de l’économie vietnamienne en général, ne sera pas rectiligne. Le pays, qui a bien géré la pandémie, a profité de la fermeture de la Chine. Un avantage en train de s’éroder. Comme le reste de l’économie mondiale, il est confronté à une conjoncture incertaine. Sur le plan domestique, les excès immobiliers, qui s’observent à l’œil nu, mettent une pression grandissante sur le système bancaire et, par ricochet, sur le gouvernement.

La croisade contre la corruption lancée par Nguyen Phu Truong, le secrétaire général du Parti communiste, très inspiré par Xi Jinping, a aussi pour effet d’inhiber l’investissement. Et de ralentir une économie qui devrait tout de même enregistrer un taux de croissance de 6,3% cette année. Avec ses 100 millions d’habitants, ce pays offre de fait tous les possibles. L’aventure VinFast et ses SUV élégamment carrossés auront valeur de test. Mais le chemin parcouru est d’ores et déjà impressionnant. Good morning, Vietnam!

Weisses Viereck
Alain Jeannet