Injection de botox dans les lèvres et les pommettes ou optimisation de la ligne du nez? C’est l’affaire d’un rendez-vous durant la pause de midi dans un centre esthétique, à côté du bureau. Plus besoin d’aller bien loin pour trouver de telles cliniques qui, dans les centres-villes, sont maintenant plus nombreuses que les boulangeries. A Genève comme à Lausanne, on décompte plus d’une vingtaine de ces enseignes avec pignon sur rue. A Sion ou à Neuchâtel, elles sont une bonne demi-douzaine. Et leur nombre continue à croître.

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Ce printemps, la première antenne romande de Beauty2Go a ouvert dans la capitale vaudoise, au-dessus du magasin joaillier Bucherer, qui loue un étage au groupe zurichois. Fondée en 2017, la chaîne compte une quarantaine de collaborateurs au total, dont une douzaine de médecins. L’enseigne exploite quatre autres succursales alémaniques (Berne, Saint-Gall, Lucerne et Winterthour).

Selon l’OFS, le nombre d’instituts de beauté (chiffres non restreints aux cliniques esthétiques qui emploient des médecins) a fait un bond de 40% entre 2011 et 2020 pour s’établir à quelque 11 500 unités en Suisse. Professeur à la Haute Ecole de gestion Arc, Nicolas Babey décrypte: «L’explosion de l’e-commerce, très vive durant la pandémie de covid, ainsi qu’une spirale spéculative qui a fait grimper le prix des surfaces commerciales ont asphyxié les commerçants traditionnels. Les arcades libérées sont maintenant occupées par des prestataires de services préservés de la concurrence d’internet.» Parmi ces nouvelles vitrines, des comptoirs de torréfacteurs, des réparateurs de vélos et beaucoup de studios d’esthétique.

Phénomène boosté par la pandémie

«Les soins de beauté sont passés par un boom autour de l’année 2020. Ce souci soudain de l’apparence s’explique sans doute par le fait que les gens étaient beaucoup en visioconférence et qu’ils passaient énormément de temps sur les réseaux sociaux. Les restrictions de voyages et de sorties ont en même temps libéré des budgets pour ce type de prestations», analyse Fabrice Pfulg.

Directeur des cliniques Entourage à Lausanne et à Verbier, ainsi que de Laclinic à Montreux, il préside l’Association des centres de médecine esthétique suisses (ACMES). La création de cette alliance entre 14 établissements, en 2021, entérine l’euphorie du secteur à la sortie des restrictions liées à la pandémie.

«Dans le sillage du covid, l’essor a été fulgurant. La médecine esthétique est passée par une vague de démocratisation», confirme Rachel Polla. Fille du médecin genevois spécialiste des techniques anti-âge Luigi Polla, elle a ouvert en 2017 la première boutique Forever à Lausanne, qui sera suivie par une autre à Nyon en 2021. C’est que, depuis une quinzaine d’années, la gamme de prestations courantes d’un «beauty doc» s’étend bien au-delà du lissage de rides. Popularisé sur les réseaux sociaux par des stars et des influenceuses, le recours à des produits injectables s’est complètement banalisé.

Prix cassés?  Attention  aux arnaques

Popularisé sur les réseaux sociaux par des stars et des influenceuses, le recours à des produits injectables s’est complètement banalisé.

© Getty Images

Succès auprès des plus jeunes

Ce type de traitement permet de remodeler le visage par des procédés peu invasifs, sans anesthésie ni scalpel. Particulièrement populaire auprès du jeune public, cette nouveauté a rafraîchi la clientèle. «D’une moyenne d’âge de 42 ans, nous sommes passés à une moyenne de 36 ans, témoigne Rachel Polla. Les demandes émanant de jeunes patients se concentrent essentiellement sur l’acné et le traitement des cicatrices d’acné, l’épilation, le détatouage, ainsi que les injections pour rendre les lèvres plus pulpeuses.»

La banalisation des soins esthétiques fait que les cliniques se sont détournées de l’anonymat offert par les zones résidentielles pour privilégier les zones de chalandise. Fondé en 2007, le groupe Matignon rassemble aujourd’hui dix cliniques en Suisse romande et a récemment fait le saut vers la région alémanique avec des centres à Zurich et à Zoug. L’entreprise chapeaute aussi cinq capsules au sein des grands magasins Manor. Sous un même toit, la clientèle peut faire son shopping en produits cosmétiques et, au passage, bénéficier de prestations esthétiques.

Directrice et médecin-chef du groupe vaudois, Patricia Delarive détaille: «Avec ces capsules, nous souhaitons nous rapprocher de la population. De nombreuses personnes s’intéressent à ce domaine mais n’osent pas prendre rendez-vous directement avec un médecin. Dans nos capsules, elles peuvent poser des questions à nos équipes spécialisées et faire leur choix.»

Avec des prestations dont l’effet s’estompe en quelques mois, le secteur s’assure une clientèle fidèle. Patricia Delarive dévoile: «En moyenne, sur l’ensemble de nos sites, nos patients viennent trois fois par an et dépensent 300 à 400 francs à chaque fois. Les injections restent la demande la plus fréquente. Les prestations qui améliorent la qualité de la peau prennent toutefois de plus en plus de place. La mode des résultats spectaculaires est passée. La clientèle souhaite maintenant une apparence la plus naturelle possible.»

Secteur touché par l'inflation

Associée avec son frère Patrick, Alexandra Lüönd affiche de son côté de grandes ambitions pour Beauty2Go. Forte de quelque 22 000 clients, sa firme est aujourd’hui considérée comme le plus gros acheteur de botox et d’acide hyaluronique de toute la Suisse, rapporte Bilanz. Ces deux substances constituent les piliers des traitements actuels. Les entrepreneurs comptent maintenant étendre leur réseau à toute la Suisse romande.

En 2022, Alexandra Lüönd a parallèlement élargi ses activités en se lançant dans le microblading sous la marque Brows & Brows, avec l’ouverture d’une première boutique à Winterthour (ZH). Ce traitement de maquillage permanent consiste à graver les sourcils dans la peau, à l’aide de teinture et d’un minuscule couteau.

Cependant, l’âge d’or des cliniques esthétiques semble d’ores et déjà révolu. La demande s’est normalisée, selon Fabrice Pfulg. On constate même un léger tassement, corrobore Rachel Polla. Un ralentissement qui s’explique en partie par l’inflation qui rogne le pouvoir d’achat des consommateurs depuis plus d’une année déjà. Les professionnels de la branche s’attendent à une consolidation débouchant sur la polarisation de l’offre. Les petites enseignes peinant à rationaliser les coûts et à rentabiliser de très chères surfaces commerciales sont promises à une présence éphémère. A terme, il devrait rester, d’un côté, les grandes chaînes de cliniques capables d’optimiser leurs marges et, de l’autre, les acteurs du créneau haut de gamme, offrant une personnalisation des services au prix fort.

Prix cassés? Attention aux arnaques

En Suisse, les injections de botox et d’acide hyaluronique doivent légalement être effectuées par un médecin pour la première substance et se faire sous le contrôle d’un médecin diplômé pour la seconde. En outre, la loi n’autorise les interventions esthétiques sur des mineurs qu’avec l’accord des parents. Or on trouve les produits nécessaires à ces traitements très facilement sur internet. Certains s’improvisent donc praticiens alors qu’ils n’ont pas les compétences ou les autorisations requises, travaillant au noir dans des locaux qui ne répondent pas aux normes d’hygiène, par exemple chez des esthéticiennes ou des coiffeurs. Chez un prestataire en règle, le coût de l’injection débute entre 400 et 500 francs. Seuls des arnaqueurs sont en mesure de casser les prix.

Président de l’ACMES, Fabrice Pfulg regrette: «Les bases légales existent. Mais la législation est complexe, car les règles applicables sont réparties dans différentes lois en fonction du type de traitement, des produits et de la technologie utilisés.» En raison d’une répression des fraudes encore embryonnaire, le patient a tout intérêt à redoubler de vigilance quant à la conformité des prestations.

Carré blanc
Mary Vakaridis