Pour Farmy comme pour d’autres entreprises, le covid a été à la fois une chance et une malédiction. Explosion des ventes, défis logistiques herculéens, augmentation rapide des effectifs puis atterrissage en catastrophe sitôt le pic de la pandémie passé. «Imaginez, entre 2019 et 2022, notre chiffre d’affaires a été multiplié par trois», explique Dominique Locher, qui a repris en avril dernier la présidence de l’entreprise de vente en ligne de produits alimentaires frais, souvent bios et de la région: légumes, fruits, produits laitiers, viandes, vins, bières, boulangerie…

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L’an passé, après cette phase de croissance stratosphérique, le marché dans son ensemble n’a en effet augmenté que de 3,1%. Et si les géants comme Migros et Coop ont pu amortir le choc, le défi s’est révélé autrement plus compliqué pour l’équipe de Farmy qui dépend, elle, intégralement du commerce en ligne. Les consommateurs ont largement renoué avec leurs habitudes d’avant la pandémie; en outre, l’éclatement de la guerre en Ukraine a provoqué un retour de l’inflation qui pèse lourd sur le pouvoir d’achat, mais aussi sur l’appétence au risque des investisseurs, en particulier dans la tech.

Mesures d'économies

Pour Farmy, ce retournement s’est soldé par le retrait impromptu d’un grand investisseur en été 2022 qui s’était engagé à investir 30 millions de francs dans le développement de l’entreprise basée à Zurich. Un sale coup! «Nous venions de signer un bail pour un nouvel entrepôt, nous avions des projets d’expansion ambitieux. Et du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés avec des caisses presque vides et contraints de réduire nos coûts de moitié.» Des mesures d’économies qui se soldent, il y a un an, par le licenciement de 30% des effectifs de l’entreprise. Elle emploie désormais 160 salariés, dont 67 employés à temps plein – les autres sont des temporaires qui effectuent les livraisons et emballent les marchandises. «Un crève-cœur. Mais un passage obligé pour éviter la fermeture», dit Dominique Locher.

C’est à cette époque que les co-CEO et cofondateurs de l’entreprise, Roman Hartmann et Tobias Schubert, proposent à Dominique Locher de reprendre la présidence de Farmy. Celui qui a été jusque-là membre du conseil et un investisseur, modeste, dans la société lancée en 2014 accepte la mission. «Dominique compte parmi les meilleurs experts du commerce alimentaire en ligne en Europe, explique Roman Hartmann. Il nous apporte une expérience précieuse à un moment crucial de notre histoire.» (Lire encadré.)

Au service des consommateur et des producteurs 

«Plus que jamais, nous voulons faire valoir notre ADN», explique Dominique Locher. Voilà la stratégie. Farmy est née de l’idée de proposer une nourriture saine, de connecter les consommateurs avec les marchés à la ferme, d’offrir aux producteurs régionaux de taille petite ou moyenne un canal de distribution numérique auquel ils n’ont pas facilement accès. Ils sont actuellement au nombre de 1200 dans toute la Suisse: agriculteurs, artisans boulangers, bouchers, fromagers, brasseurs, vignerons… Le site joue la transparence totale sur l’identité de ses fournisseurs qui proposent pour la plupart des produits frais – la moitié de l’assortiment est labellisé bio. Les prix? Ils sont comparables à ceux de la grande distribution pour des produits équivalents.

«Nous n’avons pas d’intermédiaires pour les produits provenant d’agriculteurs suisses, de bouchers, de boulangers, etc., explique Dominique Locher, parce que nous visons une fraîcheur maximale et une livraison rapide. Ce qui nous permet, dans le même temps, d’offrir des conditions intéressantes à la fois aux consommateur et aux producteurs que nous traitons avec respect et sans faire continuellement pression sur les prix.» Ce que confirme Jean-Pierre Ducret, dont le domaine familial de 100 hectares à Ecublens fournit directement Farmy en pommes de terre et en oignons, notamment. Pour l’agriculteur, le site en ligne représente entre 7 et 8% de son chiffre d’affaires. «Ce qui me permet d’encore diversifier mes débouchés. C’est précieux!»

Preuves à l’appui, Farmy se targue d’être exemplaire en matière de durabilité. «L’an passé, nous avons en effet obtenu la fameuse certification B Corp avec un score supérieur à la moyenne (103,6 points)», ajoute le co-CEO Tobias Schubert. Un motif de fierté, même s’il faut rappeler qu’en matière de respect des critères ESG rien n’est jamais acquis et qu’il faut s’améliorer constamment pour pouvoir répondre, tous les trois ans, aux exigences de B Lab, l’organe responsable. Tout en améliorant ses résultats financiers. Car n’est vraiment durable qu’une entreprise qui survit et se développe, on tend parfois à oublier cette évidence.

Mouvement de solidarité

Pour permettre à ses clients de faire l’intégralité de leurs courses auprès de Farmy, l’assortiment a été complété par des produits sélectionnés auprès des grandes marques traditionnelles, outre Alnatura: la mayonnaise Thomy, les chips Zweifel, le sel régénérant pour lave-vaisselle Neosal, les rasoirs Gilette. Une contribution aussi à l’augmentation de la valeur du panier moyen qui est passé en quatre mois de 120 à 150 francs. Un signe encourageant: le site de Zurich enregistre d’ores et déjà des bénéfices opérationnels.

Il faut dire que l’équipe de Farmy a pu compter sur ce qu’elle nomme sa «communauté» pour sortir de l’ornière. En octobre passé, l’entreprise lançait avec succès une opération de crowdinvesting. Cette initiative lui a permis de lever 4 millions de francs auprès de quelque 2000 clients et fournisseurs. «Nous avons été surpris par l’ampleur de ce mouvement de solidarité», confie Dominique Locher. Cet attachement a constitué un argument de poids pour convaincre les investisseurs déjà engagés et quelques nouveaux venus de réinjecter des fonds dans l’aventure. Fin juin, le trio Hartmann-Schubert-Locher a pu annoncer la levée de 10,5 millions de francs.

Pour atteindre la rentabilité en 2025, l’objectif est de passer de 30 à 50 millions de chiffre d’affaires, tout en peaufinant encore l’efficacité de l’entreprise.

Potentiel en Suisse

Le succès de l’opération dépend aussi des tendances de fond du marché, analyse Dominique Locher. Si dans l’électronique, par exemple, le online représente déjà la moitié du total des ventes, dans le commerce alimentaire, on en est encore à des chiffres ridicules. Moins de 3% en Suisse, 4% en moyenne européenne. Des pays comme la France (10-11%) ou l’Angleterre (15%), sans parler de la Corée du Sud (25%), semblent indiquer la voie. Ce qui fait dire à ce pionnier du commerce en ligne: «A l’origine, personne ne croyait au online pour l’achat de vêtements. Voyez le résultat. Il ne fait aucun doute que l’alimentation va suivre une évolution comparable. Le potentiel de croissance est immense.» Et de conclure: «Le local est le nouveau bio, l’avenir appartient aux produits frais et sains, le tout commandé en quelques clics et livré à domicile!» Farmy n’a pas dit son dernier mot.

De Nestlé à LeSchop et Farmy

Souriant, jamais à court de nouvelles idées, Dominique Locher passe pour un vieux briscard du secteur. Après ses études à l’Université de Saint-Gall, il a travaillé cinq ans chez Nestlé, en Asie, notamment au Sri Lanka, à vendre Nescafé, Maggi, Milo… jusque dans les campagnes les plus reculées. Il a rejoint l’équipe de base de LeShop.ch (photo) en 2000. Responsable vente et marketing du premier site d’e-commerce en Suisse, repris intégralement par Migros en 2010, il y occupera le poste de directeur général pendant cinq ans, jusqu’à son départ en 2017.  Il aligne depuis les mandats de conseiller, principalement à l’étranger, auprès de Migros Turquie, d’Alnatura, l’un des distributeurs et producteurs phares du bio en Allemagne, d’Ozon en Russie ou encore de Toters au Liban, entre autres engagements. En Suisse, on le retrouve au conseil d’administration de Léguriviera ou de la cave Fin Bec en Valais. Dominique Locher est également administrateur de la Swiss Retail Federation, l’association suisse des commerces de détail.

LeShop.ch
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