«On ne peut pas gérer ce que l’on ne maîtrise pas.» L’adage est fribourgeois, gruérien même, et bientôt sarinois, mais l’auteur est Valaisan, Christian Tissières, dirigeant de Mestel, fabricant de bracelets de montres en polymères et élastomère basé à Broc, en Gruyère – et dès l’an prochain à Rossens, district de la Sarine.

L’entreprise suit cet adage à la lettre depuis quelque temps, depuis toujours en réalité, avant même l’arrivée de Christian Tissières, en 2015. C’est d’ailleurs plus qu’un adage, une ligne directrice, stratégique, qui a guidé plus d’une décennie de transformation, au cours de laquelle Mestel est passé de sous-traitant exécutant, nouveau venu sur la spécialité du bracelet de montre en matière synthétique, à partenaire industriel complet, totalement intégré, avec ses propres capacités de recherche et de développement, deux sites de production (un en Italie, près de Gênes, et un en Suisse) et deux pôles de compétences (la chimie des polymères en Italie et l’usinage des moules en Suisse).

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Une PME rayonnante

De quoi profiter pleinement de la dynamique actuelle du marché – et peut-être même l’amplifier. En quelques années, la petite entreprise locale de quelques dizaines d’employés est devenue une PME rayonnante de 200 collaborateurs, «le chiffre d’affaires a doublé», «des parts de marché ont été prises à la concurrence» et Mestel a changé de ligue, passant d’une «entreprise un peu vieillotte et poussiéreuse», selon les termes de Christian Tissières, à une «société reconnue, innovante et verticalisée», explique José Brandulas, dirigeant du holding PQH, propriétaire de Mestel.

Mestel a adopté une nouvelle attitude, en embarquant le bracelet de montre dans un programme dense d’innovation.

Le résultat n’a pas tardé à dépasser les attentes et il a fallu s’équiper pour la croissance: le site italien a été refait à neuf en 2017 et une nouvelle unité de production est en cours de construction en Suisse, à Rossens (FR). L’inauguration est calée pour l’été prochain, mais la mise en service aurait déjà eu lieu si le covid n’avait pas grippé le calendrier et, en regardant ses projections, Christian Tissières craint que les capacités supplémentaires projetées (augmentation des capacités d’environ 30%) ne soient d’ores et déjà insuffisantes.

L’ascension de Mestel n’est bien entendu pas venue seule. L’entreprise est un satellite d’une autre industrie en plein essor: l’horlogerie, qui, en deux mots, a connu en quelques années une montée en gamme fulgurante, en produisant toujours moins de montres, mais toujours plus chères. Paradoxe de luxe, le bracelet en plastique fait partie des comburants. Le terme «plastique» est d’ailleurs réducteur pour ces bracelets anoblis par leur technicité, formes, couleurs, textures, finitions, sophistications mécaniques, etc. La preuve, toutes les grandes marques globales en ont vitaminé leur catalogue, de Hublot à Patek Philippe. Avec un point d’inflexion en 2015 et l’arrivée de Rolex sur le bracelet élastomère – baptisé Oysterflex en référence à son bracelet acier institutionnel, Oyster.

Ecologique et créatif

Le bracelet caoutchouc est aujourd’hui au centre de plusieurs tendances fortes, de la conscience environnementale (proposer des alternatives au cuir) à la vogue de la haute horlogerie extrême (façon Richard Mille), qui a ouvert les vannes de la créativité.

Mestel est précisément équipé pour être à la convergence de ces tendances, pour y répondre et même aller un pas plus loin. Comment? Grâce à une gestion arborescente de l’innovation et à une maîtrise toujours plus étendue des savoir-faire. Le point de départ est la fusion de la science des matériaux venue d’Italie et le génie micromécanique construit en Suisse autour de la fabrication de moules techniques de précision.

Cette base (chimie et micromécanique) a servi de plateforme d’innovation et d’autres technologies sont venues s’y greffer. Une en particulier: l’usinage additif. Les inserts métalliques, traditionnellement usinés à la fraiseuse cinq axes, sont réalisés ici à l’imprimante 3D, avec des avantages directs (gain de temps, de réactivité et de maîtrise des coûts) et des bénéfices indirects encore plus déterminants: la construction de savoir-faire en interne, l’innovation, etc.

Ce qui n’était donc qu’une bande de matière synthétique molle et noire il y a une décennie est ainsi devenu un champ d’inventivité à part entière. Mestel n’est pas étranger à cette révolution de niche – et la niche est étroite: pour qui souhaiterait sourcer ses bracelets en Suisse et innover, il n’y aura guère que deux adresses, le neuchâtelois Biwi et le fribourgeois Mestel. Confirmation lors du dernier salon de la microtechnique EPHJ à Genève, où le stand Mestel ne désemplissait pas. «Un carnage!» image Christian Tissières. «Nous n’avons pas arrêté une minute. Même moi j’ai dû rester sur place», appuie José Brandulas.

Tout avait pourtant commencé dans le calme, par une diversification lancée courant 2008. Le groupe PQH, alors dirigé par Maurice Pasquier, créateur et principal actionnaire, possède l’entreprise Plaspaq, à Broc, un mouliste spécialisé dans l’injection de plastique. L’option choisie est d’ouvrir l’activité à l’injection de caoutchouc, avec d’emblée l’objectif de devenir «un nouvel acteur du bracelet de montre en Suisse». Plaspaq débarque sur la spécialité «comme un cheveu sur la soupe», gagne un ou deux projets, fait l’apprentissage du caoutchouc et s’équipe peu à peu. La chose se sait, et c’est alors qu’un fabricant italien se rapproche, Mestel, société familiale dont le propriétaire cherche à remettre. PQH saisit l’occasion, prend une première participation en 2011, l’acquisition totale est engagée.

Savoir-faire et haute précision

Le processus de transformation est lui aussi engagé, explique José Brandulas: «La matière plus les moules… nous avons compris les synergies potentielles.» L’entité fribourgeoise monte en puissance, la vente est structurée à partir de la Suisse, l’intégration des savoir-faire, l’innovation et le développement commercial mènent à la fusion, toute l’activité est réunie sous la marque Mestel: «Une société unique, un mindset unique.»

Ce que l’histoire raconte, mais qui ne peut pas s’écrire, c’est que Mestel a tout de suite emprunté la voie royale, gagnant une à une les marques les plus influentes du sérail horloger. La réputation de Mestel a depuis traversé le globe, jusqu’en Asie. Mais on n’en dira pas plus, car être partenaire industriel et force de proposition ne donne toujours pas le droit de nommer ses clients. Une exception toutefois: Panerai (groupe Richemont), qui a pris le parti d’indiquer la source de ses bracelets en polymères recyclés – une invention Mestel, brandée Reeber.

Pour gagner encore en visibilité, la direction de Mestel a franchi une étape supplémentaire: développer son propre bracelet, interchangeable et adaptable à n’importe quelle montre. Une étape clé dans la transformation du modèle d’affaires, de sous-traitant à partenaire. Un pilier de la nouvelle culture d’entreprise centrée sur l’innovation. Sans doute un futur succès commercial. En interne, on lui a déjà trouvé un surnom, «Carnage»!

Démonstrateur de verticalisation

«Utilisation des capacités à 100%. Délai de six à neuf mois sur les nouveaux projets.» Christian Tissières, directeur de Mestel, résume en deux phrases les effets du changement opéré au sein de l’entreprise en moins d’une décennie, à partir de la fusion de la chimie des polymères et de la microtechnique au service des moules d’injection.

Les réalisations témoignent des effets de cette verticalisation: plus de techniques, plus d’esthétique. Jusqu’au point où Mestel a dépassé la perception que le marché (l’horlogerie haut de gamme) a de l’entreprise. Christian Tissières: «Ils nous prennent pour des exécutants.» La direction a donc lancé son propre brief: un bracelet universel et interchangeable, surnommé en interne «Carnage» (photo: le bracelet muni d’un système interchangeable Mestel).

Avec «Carnage», Mestel se place au niveau de sa clientèle; ce bracelet maison – une année et demie de développement – sert à la fois de démonstrateur et de levier commercial. Le principe essentiel tient dans le système de fixation à la montre, ingénieux et réalisable à l’échelle industrielle. Un concentré de savoir-faire, matière, moules, impression titane 3D. Impensable sans l’interaction permanente des concepteurs, mécaniciens et opérateurs.

le bracelet muni d’un système interchangeable Mestel

Le bracelet muni d’un système interchangeable Mestel.

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Weisses Viereck
Stéphane Gachet