Après deux années déficitaires – 2,9 millions en 2021 et 21,5 millions en 2022 –, Cremo n’a pas été en mesure de redresser la barre en 2023.

C’est exact. Les actionnaires en ont été informés en juin déjà. Bien que la situation reste tendue, les choses devraient s’améliorer en 2024. Après plusieurs exercices dans les chiffres rouges, il faudra deux à trois ans pour remettre Cremo sur de meilleurs rails. On ne retourne pas si simplement une entreprise de cette ampleur. Je suis confiant. J’ai constaté un fort potentiel de progression dans tous les secteurs touchant à notre cœur de métier qui est l’achat, la transformation et la valorisation du lait.

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Parlons chiffres pour être concrets, si vous êtes d’accord…

Le résultat fait l’objet d’une consolidation et doit encore être affiné avec les chiffres de décembre. Ce que je peux dire, c’est qu’à fin novembre le chiffre d’affaires était en hausse de 1,5%.

Alors que l’industrie alimentaire en général traverse de belles années, comment expliquer cette spirale négative?

Ces dernières années, la société a privilégié la croissance du volume et s’est développée de manière un peu désordonnée. Des secteurs d’activité se sont déployés sans une réflexion approfondie de leur rentabilité. L’analyse de nos ventes cumulées en 2023 l’atteste: 55% de l’assortiment génère 98,2% de notre chiffre d’affaires. Précisément, sur nos 440 produits actifs lors de l’exercice écoulé (plus de 700 en 2022), environ 200 ne génèrent que 1,8% du chiffre d’affaires. Cela demande une analyse scrupuleuse. Certains d’entre eux mériteront peut-être d’être développés, d’autres abandonnés ou fabriqués via des synergies avec des partenaires efficaces. D’autres points ont aussi pesé sur les résultats. Je pense à la numérisation. Nous avons beaucoup trop d’interventions humaines et papier qui entraînent une grosse lourdeur administrative.

Quelle stratégie allez-vous adopter pour redresser la barre?

Dans le marché réactif d’aujourd’hui, où le consommateur est volatil, nous devons élever le niveau avec une stratégie de valorisation des marques et des produits pour améliorer nos marges. Nous allons par exemple investir dans notre beurrerie ou dans le marketing pour l’une de nos pépites, Lattesso, notre gamme de cafés froids qui a connu une croissance de 7,2% en 2023 et que de gros concurrents aimeraient nous acheter. Malgré ces bonnes nouvelles, notre modèle d’affaires doit être changé, c’est incontestable. Nous ne pouvons plus tout faire. L’heure est venue de nous concentrer sur le core business, de sélectionner l’assortiment, de réduire sa complexité, d’organiser la supply chain et d’optimiser les processus de travail. En résumé, d’investir là où cela a du sens.

Le programme d’économies estimé à 23 millions de francs inclut-il de nouvelles fermetures de sites après celles de Steffisburg, de Lucens et de Lyss ces trois dernières années?

Non. Les sites de Sierre, du Mont-sur-Lausanne et de Villars-sur-Glâne ne sont pas en danger. Nous avons un intérêt stratégique de les garder, notamment pour l’apport de lait de qualité. En revanche, il est vrai qu’en fonction de l’analyse de notre assortiment certaines lignes pourraient être arrêtées alors que d’autres vont être installées.

Pas de plan de licenciement massif non plus?

Non. Notre personnel est trop précieux. Le développement de marques nous amène au contraire à augmenter l’effectif, qui passera de 730 à 750 personnes avec le renforcement des services marketing, vente, gestion de la qualité et informatique. A nous de nous développer de manière intelligente en atténuant l’impact sur l’emploi. Dès le 1er mai 2024, nous externaliserons nos transports auprès de deux sociétés professionnelles dans le domaine. Galliker Transport gérera les transports nationaux de Cremo Villars-sur-Glâne et Le Mont-sur-Lausanne et Traveco Transporte, les transports nationaux et régionaux de Rhône Logistics à Sierre. Les 53 personnes touchées seront engagées par les repreneurs aux mêmes conditions que Cremo. Selon nos calculs, changer et moderniser notre parc véhicules, devenu vétuste, nécessiterait un investissement estimé entre 5,8 et 14 millions de francs selon la politique de transports choisie.

Depuis le début de ses problèmes, Cremo brandit les millions de ses fonds propres pour rassurer son personnel et ses partenaires. Vous entonnez le même discours?

Nos fonds propres culminent en effet à plus de 100 millions de francs et vont nous permettre de redresser la situation. Mais ce n’est pas une raison pour les gaspiller.

Cremo est-il malgré tout en danger ou, qui sait, à vendre?

Je le répète depuis mon arrivée: Cremo n’est pas à vendre. Non seulement l’indépendance fait partie de son ADN mais la société a du potentiel d’amélioration, de développement, un grand savoir-faire, un beau portefeuille produits et une excellente source d’approvisionnement de matière première grâce à nos 1135 producteurs de lait qui sont aussi nos actionnaires. Tous les ingrédients sont réunis pour réussir la transformation de l’entreprise.

Cette transformation, appelée CAP 27 en raison du centenaire de la société en 2027, a identifié 52 projets dans son plan. Cet énorme chantier est-il objectivement réalisable?

Sans hésiter, oui. Et il durera au-delà de 2027, car c’est un programme d’amélioration continue de notre manière de travailler et de notre organisation générale. Ces 52 projets montrent à quel point Cremo a un fort potentiel d’amélioration.

A Fribourg, la nomination en février 2023 de l’ancien conseiller d’Etat Georges Godel au poste de président du conseil d’administration de Cremo a été diversement accueillie. Des élus de gauche lui reprochent notamment une gestion du Département des finances pas toujours irréprochable…

S’agissant de Cremo, ces critiques n’ont aucun fondement. J’ai déjà eu l’occasion de côtoyer Georges Godel lorsque je dirigeais Fromage Gruyère et j’ai toujours eu beaucoup de respect pour son engagement. Aujourd’hui que nous sommes quotidiennement en contact, je peux témoigner de sa motivation, de sa force de travail et de son énorme attachement à la société.

Vous avez quitté la «cool direction» de Fromage Gruyère pour reprendre la barre d’un paquebot chahuté. Pas de regret?

Aucun. J’adorais mon job chez Fromage Gruyère et j’étais en effet dans une zone de confort incroyable. Ici, je vois le potentiel et l’énorme défi à relever. Je n’ai jamais ressenti une telle énergie et une telle motivation pour un travail, malgré la difficulté, les problèmes et les longues journées. Si je devais avoir un regret, cela aurait été d’avoir manqué cette opportunité. Il y a une citation de Georges Clemenceau que je me répète souvent: «Il n’y a qu’une seule façon d’échouer, c’est d’abandonner avant d’avoir réussi.»

Les dates clés

2007
Entrée en vigueur le 1er juin de cette année du libre-échange dans le domaine de l'agriculture entre la Suisse et l’UE. Depuis lors, le fromage peut être commercialisé sans droits de douane.

2009
Le 30 avril sonne le glas des contingentements de lait. Depuis, la filière est sous pression et les effets de cette libéralisation se font encore ressentir aujourd’hui.

2023
Pour la première fois de son histoire, la Suisse pourrait avoir importé plus de fromages qu’elle n’en exporte. Sur les cinq premiers mois de 2023, 28 000 tonnes ont été exportées tandis que 30 500 ont été importées.

Le chemin de croix du fromage suisse

Production locale en baisse, exportations en berne et produits importés bon marché qui séduisent toujours plus les consommateurs: les fromagers suisses sont dans la tourmente. Découvrez notre dossier: