Dans la mythologie grecque, Terpon est le serviteur d’Aphrodite, la déesse de l’amour. Il est souvent représenté comme un homme aux cheveux longs, en train de jouer de la flûte. Un personnage parfait pour symboliser le projet de Jean-Claude et Valérie Artonne. Le couple installé à Fribourg a fondé sa start-up au printemps 2016. Terpon vend des dispositifs de réalité virtuelle aux «camgirls», qui proposent des shows érotiques privés via internet. 

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Jean-Claude Artonne n’est pas un amateur dans le domaine des nouvelles technologies. Ce Suisse a à son actif plusieurs sociétés spécialisées dans l’immersion visuelle et a l’habitude de développer des systèmes vidéo pointus pour les secteurs de la photographie, de la sécurité, du web ou de l’automobile. En 2012, il dévoile sa caméra à 360 degrés en forme d’œuf, la «Tamaggo», capable de mettre en ligne ses captations de manière autonome. 

Une expertise qui vaut de l’or

Le spécialiste passe alors beaucoup de temps à Montréal, ville d’origine de son épouse Valérie. Il est alors approché par des professionnels de l’industrie du sexe, qui sont nombreux au Québec. La région abrite en effet le siège opérationnel de MindGeek, le leader mondial de la pornographie en ligne. MindGeek est notamment propriétaire de Youporn et PornHub, ainsi que de plusieurs gros studios qui se consacrent au divertissement pour adultes, par opposition au secteur «mainstream», comme Brazzers. Le groupe tentaculaire revendique plus de 115 millions de visiteurs uniques par jour sur l’ensemble de ses sites. 

A Montréal, l’expertise de Jean-Claude Artonne vaut de l’or. «L’industrie de la pornographie a toujours été pionnière dans l’utilisation des nouvelles technologies, rappelle-t-il. La VHS, les DVD, les caméras numériques, puis les plateformes de paiement en ligne… Le secteur est très demandeur. Des études récentes démontrent que 78% des utilisateurs de casques de réalité virtuelle (VR) ont déjà testé ou consommé des contenus pornographiques en VR. En quelques mois, MindGeek a cumulé plus de 60 millions de visites dans sa section VR.»

Reste que le Suisse n’a jamais travaillé pour ce type de clients et se montre prudent. Mais son épouse, qui suit de près les évolutions du projet, l’encourage à ne pas rejeter cette opportunité par excès de moralisme. Ensemble, ils font une étude de marché approfondie et réalisent que l’opportunité est exceptionnelle, notamment sur le marché des «camgirls», qui représente probablement un chiffre d’affaires annuel supérieur à 3 milliards de dollars. Pour ces professionnelles, la réalité virtuelle permet d’offrir un service supplémentaire à leurs clients, en rendant encore plus réaliste le spectacle qu’elles proposent en privé. Même à des milliers de kilomètres de distance, le spectateur peut avoir l’impression de se trouver téléporté dans la chambre du modèle, et que celle-ci lui tend véritablement la main pour qu’il la lui prenne. 

Un million d’investissement

Dans le monde, on compte plusieurs centaines de milliers de «performeurs», en majorité des femmes, dont près de 100 000 vivent exclusivement de leurs spectacles érotiques sur les sites LiveJasmin, Streamate, Cam4 et d’autres. Ces plateformes exercent des contrôles et vérifient que ces femmes sont majeures et consentantes. Elles sont souvent indépendantes, même si un tiers environ exerce dans des locaux dédiés à leur activité.

Les clients, eux, sont des centaines de millions au total, mais entre 3 et 5 millions à payer régulièrement pour ces peep-shows virtuels. Au-delà de la simple fonction masturbatoire, ces fans recherchent surtout un contact humain privilégié et privé avec la femme qu’ils ont choisie. Pour eux, la réalité virtuelle serait donc un plus. Pour faire ses recherches, Jean-Claude Artonne se rend à plusieurs foires spécialisées en Colombie et en Roumanie, où sont installés les plus grands studios de «camgirls». 

Valérie, elle, n’a aucun doute et l’encourage. «Jean-Claude est très amoureux de sa femme, dit-elle avec un sourire dans la voix. Et puis vous savez, le milieu du X n’est plus ce qu’il était. Cela n’a rien d’olé olé… Les gens ont tous des familles, des enfants. Ils font leurs affaires et rentrent chez eux.» Une fois cette barrière psychologique franchie, le couple doit concevoir une caméra VR qui soit d’excellente qualité, tout en étant abordable. Le matériel est dessiné en Inde, les composants sont fabriqués en Chine et les premières pièces sont assemblées à Montréal. Au total, l’investissement se monte à plus d’un million de dollars, des fonds que Jean-Claude et sa femme mettent en majorité personnellement sur la table tant ils sont convaincus. Des partenaires taïwanais comptent aussi parmi leurs soutiens financiers.

Attirer des capitaux en Suisse avec une société active sur le marché du sexe est un challenge

Ces opérations sont à bout touchant: après plusieurs mois de travail, les 1000 premières caméras sont achevées et sont déjà en cours de distribution. Les premiers clients sont des producteurs, qui les utilisent pour tourner les vidéos pornographiques en VR. Aux «camgirls», Terpon propose de louer une caméra pour 30 dollars par mois. «La plupart du temps, quand elles débutent, elles n’ont pas les moyens de dépenser des centaines de dollars pour du matériel, explique Jean-Claude Artonne. La location leur permet d’avoir une caméra de très bonne qualité, sans débourser trop d’argent, un peu comme les contrats conclus auprès des opérateurs téléphoniques pour avoir un smartphone. Et comme la technologie évolue très vite, le produit sera sans cesse amélioré, sans qu’elles n’aient à en racheter un à chaque fois.»

Pour pouvoir accéder à la vidéo en VR, les consommateurs, eux, doivent acheter un casque ou des lunettes spécialisées. Pour cela, Terpon fait confiance aux autres acteurs du marché, comme Oculus, qui lancent peu à peu du matériel meilleur marché. Afin de suivre de près ces évolutions, les Artonne sont aussi sur le point de lancer un magazine grand public consacré à la réalité virtuelle, qui mettra aussi en avant certains produits.

Cap sur les sextoys connectés

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Valérie et Jean-Claude Artonne, Codirigeants, Terpon
© DR

Mais Terpon ne veut pas se limiter aux caméras. Car une fois conquises, les «camgirls» pourraient aussi avoir besoin de jouets sexuels connectés. «Ce marché dépasse déjà probablement les 20 milliards de dollars et connaît une croissance ininterrompue, précise Jean-Claude Artonne. L’un des facteurs est que les sextoys se banalisent. Vous en trouvez même parfois dans les rayons des supermarchés!» Des accessoires que le client pourra activer à distance, une fois qu’il est en tête à tête avec sa «camgirl». Un outil de plus qui crée une sensation d’intimité.

Dans le secteur, ils sont nombreux à observer de très près le projet du couple Artonne, en avance sur son temps. Jean-Claude et Valérie ont de l’ambition: à terme, ils aimeraient faire entrer Terpon en Bourse. Si leur holding reste domiciliée en Suisse, une partie a été transférée au Nevada, aux Etats-Unis, où se déroule la plus importante foire du divertissement pour adultes. «Attirer des capitaux en Suisse avec une société active sur le marché du sexe est un challenge, confie Jean-Claude Artonne. Les Etats-Unis sont plus ouverts, c’est pourquoi nous avons sauté le pas. Même si les Suisses sont, comme dans d’autres pays de culture protestante, de gros consommateurs de contenus pornographiques.»

En 2018, Terpon espère dégager un chiffre d’affaires de plusieurs millions de dollars, ainsi que ses premiers bénéfices. Selon les estimations, un tiers du trafic sur internet serait pornographique. Un homme sur deux déclare regarder ce type de vidéos plusieurs fois par semaine. Jean-Claude et Valérie Artonne, eux, assument parfaitement leur activité auprès de leur famille et de leurs proches. «Nous ne sommes pas des pornographes. Nous nous concentrons sur la technologie. Cela dit, il n’y a pas de honte à travailler dans le marché du sexe, dont le but est d’apporter du plaisir aux gens et du bien-être.»

MM
Marie Maurisse