L’histoire est un éternel recommencement. L’éditorial qui inaugure l’édition d’avril 1989 du magazine est largement consacré à l’image de la Suisse à l’étranger et aux relations parfois compliquées avec ses voisins. Il revient notamment sur l’histoire de la «Lebanese Connection». Cette affaire qui avait entraîné la chute d’Elisabeth Kopp, première femme élue au Conseil fédéral, «s’inscrit dans une série de fâcheuses compromissions de ce que l’on a coutume d’appeler maintenant le «blanchissage d’argent». Si en Suisse l’affaire ne fait plus la une des journaux […] le mal semble être fait quant à la vieille respectabilité helvétique.»

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Et d’enchaîner avec la non-participation de la Suisse à la Communauté européenne: «Elle entache aussi la valeur sûre qu’a toujours été la Suisse pour les investisseurs ou les importateurs étrangers. Qu’il s’agisse de coopération avec d’autres pays du Marché commun ou d’implantation en Europe, la Suisse et ses entreprises risquent d’être d’office éliminées par ce fait.»

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La couverture de "PME Magazine" d'avril 1989.
© DR

Les relations avec les institutions européennes faisaient également l’objet d’un dossier économique. Il donnait la parole à quatre chefs d’entreprise pour commenter les conséquences de la mise en place du marché unique européen pour la Suisse. «Pour moi, l’échéance de 1992 est essentiellement politique, car sur le plan économique je constate qu’un certain nombre de dispositions utiles ont d’ores et déjà été prises par de nombreuses sociétés helvétiques, disait Marc Marinello, président du groupe Gespac, dont les associés figuraient en couverture (photo ci-dessus). D’une manière générale, je crois donc que la position de la Suisse est confortable.»

Début des natel C

Un article intitulé «Le grand démarrage?» était consacré au développement du réseau des téléphones mobiles Natel C. «Fin 1988, les PTT avaient enregistré exactement 30 768 raccordements», indiquait le journaliste. «Des études de marché optimistes concluent qu’en 1990 160 000 adeptes seront raccordés au réseau mobile. Si cela devait s’avérer juste, les responsables de l’infrastructure, c’est-à-dire les PTT, auraient encore du pain sur la planche.» Trente ans plus tard, la Suisse compte plus de 11 millions d’abonnements au mobile, soit beaucoup plus que le nombre d’habitants…

Le conte de fées de Werner K.Rey prendra fin en 1991. Il sera condamné à 4 ans de prison.

L’invité du numéro était un certain Werner K. Rey. Cet homme d’affaires zougois se trouvait alors à la tête d’Omni Holding, «une organisation puissante, dont les intérêts sont remarquablement divers, puisqu’ils couvrent à la fois les industries de services et de fabrication». L’article raconte que «l’histoire de l’extraordinaire ascension pourrait entrer dans les annales comme le cas d’un self-made du XXe siècle». Le banquier de formation avait défrayé la chronique en rachetant à seulement 33 ans le fabricant de chaussures Bally. «Dans son management […] Rey a démontré qu’il était un homme d’affaires efficace et compétent en matière d’engagements financiers à long terme et non pas – comme certains l’avaient cru – un financier avide de profits rapides.»

Las, le conte de fées prendra fin en 1991: après l’ouverture d’une procédure judiciaire pour fraude, falsification de documents et faillite frauduleuse, Werner K. Rey s’enfuira aux Bahamas. Il sera extradé vers la Suisse en 1996, avant d’être condamné à 4 ans de prison par la justice bernoise.

 


30 ans d’informatique: la révolution permanente

Du lancement du web au smartphone, en passant par le commerce en ligne, le domaine des nouvelles technologies s’est réinventé plusieurs fois.

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Le professeur de l’EPFL Jean-Daniel Nicoud a conçu le micro-ordinateur Smaky dans les années 1970. La souris Logitech est aussi née dans son laboratoire.
© DR

Cybersécurité, stockage de données, logiciels: le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente aujourd’hui 4,5% du produit intérieur brut suisse, pour une valeur ajoutée estimée à 28 milliards de francs. Il englobe autant les filiales de leaders mondiaux tels que Google, Intel ou Hewlett-Packard que des start-up innovantes en matière de blockchain ou de fintech. Retour sur les faits qui ont marqué le secteur ces trois dernières décennies.

1. Naissance du web à Genève
«Vague mais excitante», c’est ainsi que le supérieur de Tim Berners-Lee commente l’idée que ce dernier lui soumet le 12 mars 1989. L’ingénieur britannique, qui travaille au CERN, a rédigé un document sur un «système de gestion de l’information» qui permet de naviguer d’une information à l’autre en cliquant sur des mots-clés. Une idée qui allait mettre en route une mutation du monde sans précédent. «Au départ, il s’agissait d’un projet visant à améliorer le partage des recherches scientifiques menées au sein du CERN, explique Yves Bolognini, directeur du Musée Bolo de l’informatique. Les contributions de Robert Cailliau ont ensuite permis de préciser l’idée, avant sa présentation publique le 6 août 1991.»

Baptisé World Wide Web, le projet de Tim Berners-Lee vient se greffer sur le réseau internet existant, avec ses échanges d’e-mails, partage de fichiers et forums de discussion qui foisonnent depuis déjà plusieurs décennies au sein du milieu académique. «Très vite, on a découvert qu’il était possible de faire du commerce, puisque le logiciel du WWW était diffusé dans le domaine public.» Un site pionnier de commerce en ligne ouvre ses portes en 1992, sous la forme d’une librairie baptisée Book Stacks Unlimited. Le premier paiement sécurisé a pour sa part lieu le 11 août 1994: 12,48 dollars pour un disque du chanteur Sting. «La fin des années 1990 a ensuite été marquée par l’arrivée massive de financement dans l’espoir de faire beaucoup d’argent.»

Une frénésie spéculative qui connaîtra un coup d’arrêt brutal avec l’éclatement de la «bulle internet» au printemps 2001. En Suisse, les sites LeShop.ch et Blacksocks.com font partie des précurseurs qui ont réussi à s’imposer dans le tumulte des débuts du commerce en ligne. Lancé dans le canton de Vaud, le supermarché en ligne Le Shop, lancé en 1997, figure parmi les premiers magasins d’alimentation en ligne du monde.

2. Des souris et des hommes
Parmi les histoires du secteur informatique, l’expansion de Logitech fait partie de celles qui marquent. Fondé en 1981 à Apples (VD), le fabricant de périphériques a enregistré une croissance impressionnante: en 1986, Logitech «était tout heureux d’avoir 323 souris dans les canaux de distribution», raconte Daniel Borel, son fondateur, dans une interview à L’Illustré. L’entreprise affiche aujourd’hui un volume de ventes annuel atteignant 2,57 milliards de francs.

En 1986, on était heureux d’avoir 323 souris dans les canaux de distribution!

Daniel Borel, fondateur de Logitech

Dans l’ombre du visionnaire romand, d’autres entrepreneurs ont aussi contribué à écrire quelques pages de l’informatique helvétique, à l’instar de Jean-Daniel Nicoud. Ce professeur à l’EPFL conçoit le micro-ordinateur Smaky dans les années 1970. «Il s’agissait d’une machine très performante pour l’époque, une des premières à disposer d’un écran graphique», relève Yves Bolognini. Les différentes variantes de l’ordinateur vaudois seront commercialisées par la PME Epsitec jusqu’en 1998. En une vingtaine d’années, 4500 machines seront vendues, principalement aux écoles suisses romandes.

3. L’explosion du mobile

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Le premier iPhone, lancé en 2007. 
© DR

«Merci d’être venus, aujourd’hui nous allons écrire l’histoire ensemble», lançait Steve Jobs vêtu de son traditionnel pull à col roulé noir le 9 janvier 2007, lors de la présentation du premier iPhone. Développé durant deux ans, pour un coût estimé à 150 millions de dollars, le téléphone d’Apple doté d’un écran tactile allait immédiatement rendre obsolètes assistants électroniques de poche et smartphones équipés de stylet et de clavier. «Personne n’avait idée que le téléphone allait se transformer en ordinateur, intégrant toutes les fonctionnalités habituelles», se rappelle Yves Bolognini. Le succès du téléphone est immédiat, suivi l’année suivante du lancement de l’App Store, qui entraînera l’essor du marché des applications mobiles: on estime que plus de 5 millions d’applications pour smartphones sont désormais disponibles sur les différentes plateformes en ligne.

4. La sécurité en ligne de mire
Fortes de la tradition bancaire pluriséculaire de la Suisse, les entreprises helvétiques ont investi dès les débuts de l’informatique le marché des logiciels dédiés aux instituts financiers. Aux côtés du genevois Temenos, leader mondial du marché, on compte aujourd’hui une variété d’acteurs de poids: Avaloq, Finnova, Eri Bancaire.

Avec l’emprise des grands groupes américains sur le domaine technologique, la sécurisation des données est par ailleurs devenue un véritable produit d’exportation. Depuis une décennie, les PME suisses s’affirment sur le marché du cloud computing, servant de coffre-fort digital aux citoyens du monde entier. La société zougoise Siag Secure Infostore a ainsi littéralement installé un centre de données dans un ancien bunker de l’armée suisse, rebaptisé Swiss Fort Knox pour l’occasion. D’autres se spécialisent dans de nouvelles technologies, comme la start-up genevoise ID Quantique, qui se profile sur le marché de la cryptographie quantique, estimée inviolable.


L’informatique suisse en chiffres

  • 19 000 entreprises suisses actives dans les TIC
    200 000 emplois dans l’informatique en Suisse
    236 000 salariés d’ici à 2026

Et par secteur

34,3% Création de logiciels standardisés
30,1% Création de logiciels sur mesure
12,2% Conseil
10,1% Autres
6,9% Fournisseurs de services et de technologies
6,3% Intégrateurs de logiciels


Lausanne, poumon de la Health Valley

Durant ces trente dernières années, les entreprises de la capitale vaudoise se sont fortement
positionnées sur le marché des nouvelles technologies médicales.

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Fondé en 1979, le groupe pharmaceutique Debiopharm a son siège à Lausanne.
© C.Hofmann

Grâce notamment au CHUV et à l’EPFL, la région lausannoise s’est imposée comme un leader mondial dans les secteurs medtechs, biotechs et plus largement la santé, qui représentent aujourd’hui plus de 40 000 emplois. Depuis les années 1990, ce secteur a connu une croissance fulgurante. On comptait ainsi dix nouvelles entreprises créées chaque année à cette période, et plus de 15 par an depuis 2010.

«Lausanne se caractérise par la présence de nombreuses institutions de référence dans les domaines des technologies médicales et des sciences de la vie, résume Andreane Jordan Meier, directrice du Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI). La région a entre autres dû relever le défi de la mise en réseau de ses différents pôles académiques, médicaux et de recherche. La création en 2013 de la plateforme Innovaud, issue d’un partenariat public-privé, a justement contribué à fédérer ces différentes entités et renforcer l’écosystème existant.»

Restructuration industrielle
Parallèlement au développement des medtechs, ce sont les services aux entreprises, la formation et l’éducation qui figurent parmi les autres domaines gagnants de ces trente dernières années. Dans le même temps, le secteur industriel a vu le nombre d’emplois (équivalents plein-temps) passer de 75 200 en 1985 à 68 200 en 2013 au niveau cantonal. Une contraction qui a concerné plus particulièrement les activités à faible valeur ajoutée, la valeur nominale du secondaire ayant progressé à 10,1 milliards à la fin de 2014, contre 7,3 milliards en 1992. La restructuration industrielle a touché de plein fouet l’Ouest lausannois, avec par exemple la disparition du fabricant de collants Iril, le départ de Kodak ou encore la fermeture de l’usine Filtrona, spécialisée dans les filtres à cigarettes. Dernière disparition emblématique: IRL en 2015. La branche de l’impression fait d’ailleurs partie des plus lourdement frappées: les entreprises de ce secteur ne pesaient plus que 1,4% du secondaire vaudois en 2013, contre 3,1% à la fin des années 1990.

De nouveaux défis se présentent à l’horizon. «Premièrement, nous devons veiller à ce que la région reste attractive pour les entreprises, tant pour celles qui y sont déjà présentes que pour celles qui voudraient s’y installer, poursuit Andreane Jordan Meier. Une attractivité qui, pour être conservée, implique de garder et de développer le climat propice à l’innovation dont nous bénéficions, tout en maintenant une politique fiscale favorable à l’implantation de nouveaux acteurs économiques et industriels.» Autre challenge posé à la capitale vaudoise: tenter de rééquilibrer le ratio entre son nombre d’habitants et d’emplois. Car actuellement, en raison de la forte croissance démographique enregistrée dans la région, la population dépasse le nombre de postes à pourvoir dans l’agglomération.


L’informatique suisse en 2049...

Se projeter dans un domaine qui connaît des changements majeurs chaque année s’avère risqué, estime Yves Bolognini: «Prenez l’exemple des Google Glass, ces lunettes de réalité augmentée dont tout le monde disait qu’elles représentaient l’avenir et qui ont disparu aujourd’hui. De la même manière, j’ai de la peine à croire à une forte expansion de la réalité virtuelle.» Pour le directeur du Musée Bolo de l’informatique, le changement majeur se situera au niveau du monde professionnel, avec le développement du télétravail. Yves Pitton, directeur de VTX Telecom, ose lui aussi quelques prédictions: «L’IA va avoir un grand impact dans la vie de tous les jours, les processus de travail ou le traitement des données. Nous parlerons aussi beaucoup moins de l’impact négatif de la technologie sur les emplois. Elle va au contraire permettre à la Suisse de monter encore en puissance.»


«Le cloud est une énorme opportunité pour la Suisse»

VTX Telecom a contribué à élargir l’accès aux nouvelles technologies de la communication en Suisse. Interview de Francis Cobbi et Yves Pitton, cofondateur et directeur de la PME vaudoise.

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De g. à d.: Francis Cobbi et Yves Pitton livrent leur regard sur les bouleversements de la branche.
© B.Cottet

Lorsqu’il crée VTX Telecom en 1986 avec Philippe Roditi et Joseph Toledano, Francis Cobbi veut développer des services liés au Vidéotex, un système de télécommunications permettant l’affichage sur un terminal de pages au graphisme rudimentaire. Trente ans plus tard, l’entreprise basée à Pully (VD) est devenue un acteur majeur des télécommunications en Suisse.

Aviez-vous conscience en 1986 à quel point la branche des télécoms évoluerait en trente ans?
Francis Cobbi: Nous voulions appeler l’entreprise Vidéotex Services lors du lancement. C’est vous dire si nous avions des visées à long terme! L’idée était de nous inspirer de ce que faisaient nos voisins français, précurseurs avec le minitel. En 1988, nous avons eu la chance de travailler avec la radio Couleur 3 pour mettre en place une page intégrant un système de messagerie et de discussions en direct assez révolutionnaire, les prémices du Facebook d’aujourd’hui en quelque sorte. Par la suite, nous avons pu nous développer en créant le premier centre serveur de Suisse et établir des filiales en collaborant avec des acteurs locaux dans différentes régions du pays.

Que vous a inspiré l’invention du World Wide Web?
Francis Cobbi: Je me souviens d’avoir trouvé génial le fait de pouvoir cliquer sur un mot pour changer de site. Mais il s’agissait d’un système extrêmement académique, alors que nous évoluions dans un environnement public et national avec le système Vidéotex, deux mondes parallèles en vérité. Mais dès que nous avons saisi la dimension internationale du web, nous nous sommes dépêchés de mettre en place la technologie, même si cela n’a pas été facile: les protocoles n’étaient pas des plus clairs, les serveurs existaient à peine et il fallait patienter six mois pour obtenir un nouveau routeur.

Le modèle d’affaires lié au web représentait-il aussi un défi
Francis Cobbi: Absolument. Avec le Vidéotex, nous avons pu gagner de l’argent grâce à des services grands publics comme les messageries et les annuaires car ils étaient facturés à la consommation. À l’époque déjà, nous pensions que ce qui possède de la valeur se paie et inversement.
Yves Pitton: On voit d’ailleurs que cette question de la valeur du contenu reste plus que jamais d’actualité, tant au niveau des médias que des données des utilisateurs, qui sont aujourd’hui utilisées pour optimiser la monétisation des grands groupes. La vérité, c’est qu’utiliser un compte Gmail ou Yahoo n’est pas gratuit.

Les années 1990 et 2000 ont été marquées par une lutte des petits opérateurs contre l’abus de position dominante de l’opérateur historique, devenu Swisscom. Comment avez-vous vécu cette période?
Francis Cobbi: C’était une époque difficile car ils sentaient qu’ils commençaient à perdre la main. La question n’est d’ailleurs toujours pas réglée, comme nous l’avons vu l’an dernier avec le rejet de la libéralisation de la fibre optique par le Conseil national. Les enjeux n’ont pas du tout été compris. Le coût pour développer la fibre sur les deux tiers de la Suisse est de moins de 10 milliards. C’est un investissement qui ferait bien plus pour l’économie et la mobilité que de nouvelles routes et lignes de chemins de fer.
Yves Pitton: Je pense qu’en tant qu’acteurs du monde des télécoms nous sommes très émotionnels sur ce sujet, car il nous impacte tous les jours. Mais la problématique concerne de manière plus fondamentale encore le tissu des PME suisses. Nous nous trouvons à un tournant en matière de numérisation, et la Suisse n’est pas dans le peloton de tête.

En 2007, VTX fait partie des premiers à avoir développé de nouvelles offres étendant l’accès à internet à plus haut débit. Aviez-vous idée à quel point cette technologie imprégnerait la vie, tant économique que quotidienne?
Francis Cobbi: Je n’ai pas du tout vu venir le développement actuel de la mobilité, même si en 1994 nous avions créé une filiale appelée SmartPhone (rires).
Yves Pitton: À l’époque, l’évolution technologie restait axée sur une course à la vitesse et à la puissance, avec la fameuse loi de Moore. C’est l’iPhone qui a tout révolutionné. En parlant de téléphonie, il est d’ailleurs intéressant de noter que les deux plus grands acteurs de l’époque, Nokia et Ericsson, ont complètement été éclipsés. On ne parle pas d’un siècle en arrière, mais de seulement une dizaine d’années. Comment continuer à innover et prévoir les services de demain est aussi une vraie thématique pour une PME telle que la nôtre.

Peu d'entreprises suisses actives dans les nouvelles technologies ont réussi à se faire un nom au niveau mondial. Qu'est-ce qu'il faudrait pour qu'une nouvelle start-up helvétique réussisse ce pas?
Yves Pitton: Il y a quelques exemples de réussite, notamment Logitech dans le B2C et le groupe Kudelski dans le B2B. Mais je pense que le fond du problème tient au caractère suisse. Il faut une confiance en soi et une volonté entrepreneuriale hors du commun, ce qui ne se rencontre peut-être pas tous les jours. Il n’y a pas si longtemps, les diplômés des grandes écoles rêvaient d’intégrer l’univers corporate plutôt que de vouloir changer le monde. Aujourd’hui, on voit un foisonnement d’idées et d’innovations qui est admirable, les choses évoluent dans le bon sens. Au niveau des sociétés, il manque encore un cadre régulatoire et fiscal qui permette de faire croître un business, attirer le capital et éviter de tuer dans l’œuf une belle histoire.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune entrepreneur?
Yves Pitton: Il y a pour moi cinq grandes règles. La première: connaître de manière précise ses facteurs de différentiation. Je ne parle pas de blabla marketing, mais ce qui va vraiment faire la différence pour l’utilisateur final. Deuxième point: apprendre à dire non, de manière à choisir les bonnes batailles à mener. Pour nous, c’est à la fois une volonté et une nécessité, car nous n’avons pas les ressources pour tout faire. Troisièmement: 80% des entreprises échouent en raison de problématiques humaines. Cela ne concerne pas seulement l’équipe de management, mais aussi le fait de savoir se laisser challenger par ses conseillers ou son conseil d’administration. Quatrième règle: se focaliser sur les choses où l’on peut faire la différence, tout en gardant une vue d’ensemble de la mécanique de son industrie. Le dernier point peut sembler paradoxal, mais il faut toujours demander de l’argent quand on n’en a pas besoin. Il est toujours compliqué de ne pas tenir le couteau par le manche lors d’une phase de négociation.

VTX se bat contre des géants nationaux. Quelle est la clé pour qu’une PME puisse s'affirmer face à des groupes beaucoup plus grands?
Yves Pitton: La gestion de l’innovation est le plus grand challenge dans les grands groupes, qui présentent en général beaucoup d’inertie. D’autres problèmes se posent au niveau d’une PME, mais nous avons clairement la capacité de fédérer les bonnes idées, et mettre les ressources à disposition pour les concrétiser. Un exemple: nous sommes en train de développer une offre de service destinée aux Suisses de l’étranger. A peine deux mois se sont écoulés entre le moment des premières idées et la finalisation du produit. Vous ne trouverez jamais une telle réactivité dans un groupe traditionnel.

La Suisse s’affirme depuis quelques années sur le marché du stockage de données en ligne, y compris auprès de clients étrangers. Logique? Prévisible?
Yves Pitton: Les deux. Aujourd’hui, le marché est dominé par des acteurs anglo-saxons qui n’ont qu’un seul business model dominant: la gestion des données utilisateurs et l’optimisation de publicités ciblées. Je suis persuadé que nous allons revenir vers des modèles d’affaires basés sur le paiement des services. Il y a une prise de conscience sur ce qui se passe avec nos données. Le fait de vouloir retrouver des partenaires dignes de confiance représente une énorme opportunité pour notre pays, non seulement sur le cloud, mais également dans les services télécoms de manière plus globale. 

Quel sera le visage de l’informatique et des nouvelles technologies dans 30 ans?
Francis Cobbi: Je me remets dans mes chaussures d’il y a trente ans: nous pensions vivre quelques années grâce au Vidéotex. Nous n’aurions jamais pu imaginer vendre dix ans plus tard des communications téléphoniques et des accès à la télévision. Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’internet des objets. Il est certain que cette technologie va influencer nos vies, mais je pense qu’il est impossible de prédire quelle sera la prochaine révolution forte de ces prochaines années.