A priori, rien ne différencie la devanture de la boutique sise au 17, ruelle du Midi, au cœur du centre-ville de Sion, d’un magasin de chaussures traditionnel. Si ce n’est que les pièces exposées ici affichent un niveau de qualité et de finition que la capitale valaisanne n’a peut-être jamais connu. Les cuirs en veau pleine fleur utilisés pour le montage de qualité premium ou super premium proviennent des Tanneries du Puy, propriété du groupe Hermès. La semelle d’usure extérieure bénéficie d’un tannage végétal de douze mois, ce qui lui confère des propriétés de confort et de résistance exceptionnelles.

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Quant au cambrion, cette petite languette stratégiquement insérée entre la première de montage et la semelle extérieure afin de soutenir la cambrure de la voûte plantaire, elle est taillée en bois d’aulne, un luxe que ne s’offrent même plus certaines marques prestigieuses.

Les avantages du numérique

Pour les connaisseurs, ces chaussures soutiennent parfaitement la comparaison en matière de qualité et de finition avec les mythiques Weston à plus de 1000 francs la paire. A la différence près que les prix des Reed Blake, eux, s’échelonnent entre 320 et 550 francs. Quel est le secret de cette nouvelle marque suisse de chaussures «made in Europe», pour offrir un rapport qualité-prix de ce niveau? «Nous pouvons proposer des tarifs plus bas que des marques établies grâce à notre positionnement 100% numérique, pensé dès le départ, répond Pierre-Olivier Haenni, résident de la capitale valaisanne et instigateur du projet. Nous ne devons ni partager notre marge avec un détaillant, ni assumer les coûts très élevés de points de vente physiques, à part le show-room de Sion, qui est aussi le siège de l’entreprise, le bureau et la plateforme logistique.»

Ce quinquagénaire, ami d’enfance d’Antoine Hubert, occupe le poste de Managing Director du groupe Aevis Victoria. Et c’est en parallèle de son activité principale qu’il prépare d’arrache-pied le lancement de sa marque de chaussures depuis 2017. «J’ai toujours été un passionné de chaussures et, pour l’anecdote, je dois préciser que j’ai décidé de lancer ma propre marque après la lecture d’un article dans First (supplément de PME Magazine, ndlr) il y a quelques années. Olivier Toublan, le rédacteur en chef de l’époque, racontait son expérience avec une paire de chaussures très haut de gamme aux pieds. Ce fut un véritable déclic pour moi.»

Pour démarrer son projet, l’entrepreneur cherche rapidement de l’aide. «J’avais besoin d’un spécialiste du numérique et d’une personne connaissant parfaitement le marché de la chaussure. Et ces deux profils devaient occuper, tout comme moi, une autre activité professionnelle, pour limiter les frais.» C’est sur LinkedIn que Pierre-Olivier Haenni déniche les deux profils recherchés. Le premier s’appelle Servais Micolot, il est le cofondateur de la marque de chaussures Howell, qui comptait deux points de vente à Lausanne et à Genève avant leur fermeture en 2015. «J’étais client de cette marque et, un jour, j’ai eu la mauvaise surprise de constater que l’entreprise avait mis la clé sous la porte, se rappelle Pierre-Olivier Haenni. J’étais très déçu.»

Association de compétences

C’est donc logiquement vers Servais Micolot qu’il se tourne. Ce dernier se montre d’abord très sceptique sur le concept. «Je ne voyais pas comment une nouvelle marque suisse pouvait s’imposer sur ce segment haut de gamme dans un marché très concurrentiel, explique-t-il. Et je gardais bien évidemment en tête la difficile décision de fermer Howell, car nous ne pouvions plus nous offrir le luxe de posséder des boutiques. Quant à l’idée de vendre ses chaussures sur le Net, ça me semblait suicidaire à cause du taux de retour de marchandises, qui peut atteindre les 50%.» Mais Pierre-Olivier Haenni a réponse à tout. Il lui explique alors que le seul canal de vente sera bel et bien numérique, mais que les retours de marchandises ne dépasseront pas les 5%.

Par quel miracle? Grâce à un projet révolutionnaire qu’il développe main dans la main avec Jérémy Christillin, un professionnel du numérique, également contacté via LinkedIn. Avec le support de l’Institut de biomécanique de l’Université de Valence, en Espagne, ils ont développé une application inédite permettant au consommateur de scanner son pied en 3D par le biais de trois photos prises avec un smartphone.
«Grâce aux 22 mesures que nous récoltons ainsi, nous connaissons la volumétrie exacte d’un pied et nous savons très précisément quelle pointure est idéale en fonction de la morphologie de chacun. Le client pourra choisir son modèle parmi un assortiment de plus de 60 références déclinées en 17 pointures et demi-pointures, du 38 au 48. Avec ce système, les clients n’ont aucune mauvaise surprise en déballant leur commande.»

Lancement imminent

Cerise sur le gâteau: chaque paire est livrée dans un coffret à tiroir conçu pour offrir une excellente conservation grâce aux aérations prévues. Sans oublier la photo du modèle placée sur le devant du tiroir pour retrouver facilement ses chaussures. Enfin, un kit d’entretien livré avec chaque paire, inséré dans le carton, vient compléter la commande. «Ces détails n’en sont pas, ils participent à l’expérience client et mettent le produit à l’honneur, insiste Servais Micolot. Nous nous sommes beaucoup inspirés de l’horlogerie pour développer cet écrin.»

Ne reste plus aujourd’hui aux trois associés de Reed Blake qu’à convaincre les clients. Deux mille paires de chaussures ont été livrées dans le stock de Sion, le site et l’application sont fin prêts et attendent juste d’être lancés courant février. «Nous avons scruté chaque paire reçue et aucune ne présente le moindre défaut, se réjouit Pierre-Olivier Haenni. Si 1 million de francs ont été investis jusqu’ici dans l’aventure, uniquement sur les fonds propres, l’entreprise peut tenir trois ans avant d’atteindre les chiffres noirs. Je suis persuadé que nous trouverons notre vitesse de croisière bien avant, car les clients sauront reconnaître la qualité du produit que nous proposons. En un mot, nous sommes sereins.»


Une application pour d’autres marques?

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22 mesures du pied sont récoltées par le biais de 3 photos prises par smartphone.
© S.Liphardt/PME Magazine

L’application Reed Blake conçue par Jérémy Christillin pourrait bien devenir un sacré levier de développement pour la jeune entreprise via un droit de licence accordé à d’autres fabricants. «Ce système permet potentiellement à toute marque qui maîtrise sa production de récolter des données très importantes et d’adapter ainsi les formes de chaussures aux différents marchés. Il faut savoir que les pieds européens ne ressemblent pas aux pieds asiatiques, par exemple.» Mais, la principale motivation pour les marques présentes sur internet reste, bien sûr, la perspective de limiter le nombre de retours de marchandise. Sur certains sites, ils atteignent 50% et génèrent des coûts importants, tant en termes financiers qu’écologiques.

 

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Thierry Vial