Cardis Sotheby’s International Realty vient de lancer une nouvelle offre destinée aux propriétaires immobiliers qui désirent vendre leur bien. L’originalité de la démarche? Elle s’adresse à des clients désireux de vendre leur objet… tout seul. Pour un «prix d’ami» forfaitaire de 500 francs, ces derniers peuvent utiliser une plateforme facilitant la création d’une annonce de vente qui sera publiée ensuite sur le site internet du groupe lausannois ainsi que sur les principales plateformes de ventes immobilières telles que Homegate ou ImmoScout24.

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Et s’ils ne trouvent pas preneur, libre à eux de solliciter ensuite l’aide d’un courtier professionnel de l’agence qui ponctionnera alors 2% de commission sur le prix de vente – ce qui représente environ 30% de moins que les tarifs habituels, la commission étant traditionnellement comprise entre 3 et 5%. Ce nouveau service s'appelle «Partenaire Particulier». Un nom familier à ceux qui ont connu les années 80 et le tube de ce groupe français, qui portait le même nom, et qui essayait assez médiocrement de surfer sur la vague new wave anglaise. Les paroles de leur chanson disaient alors: «J’en ai assez de ce carcan, qui m’enferme dans toutes ses règles, il me dit de rester dans la norme, mais l’on finit par s’y ennuyer…».

L’arrivée des «disrupters»

Faut-il y voir la volonté du groupe Cardis Sotheby’s de «sortir de son carcan» et d’abandonner ses commissions de courtage d’un autre temps? Ceci alors même que les prix du marché ont doublé, voire triplé dans certaines régions de Suisse ces vingt dernières années, gonflant du même coup les commissions des professionnels dont le travail est pourtant resté strictement identique! Plus prosaïquement, il s’agit plutôt de l’arrivée des nouveaux entrants sur le marché qui force le groupe Cardis à réagir.

Car depuis trois ans, des «disrupteurs» tels Kiiz ou Neho proposent des forfaits de courtage fixes à 9500 francs pour la vente d’un bien immobilier, quel que soit son prix. D’abord observé avec un petit rire en coin par les dinosaures du secteur, ces start-up ont rapidement trouvé leur place sur le marché. Neho s’est ainsi imposée dans plus de quinze villes suisses et réalise plus de 1400 transactions immobilières par an, soit deux fois plus que Cardis Sotheby’s qui progresse pourtant chaque année sur une base très régulière depuis vingt ans.

«L’arrivée de ces nouveaux acteurs nous a poussé à la réflexion, reconnaît Philippe Cardis, administrateur-délégué de Cardis Sotheby’s. Aucun secteur économique aujourd’hui ne peut lutter contre la technologie.» Mais, la genèse de son nouveau projet est autre, affirme-t-il. «Nous avons simplement pris conscience que chacun peut facilement vendre une voiture de manière autonome sur internet ou acheter un billet d’avion. Alors, pourquoi ne pas les aider à en faire autant pour une maison ou un appartement?»

Si l’idée semble originale, Philippe Cardis peine pourtant à convaincre les professionnels du secteur et les critiques fusent de toutes parts. A l’image de Christophe Aumenier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI) qui n’a pas hésité à prendre la plume suite au lancement de «Partenaire Particulier». «La CGI conseille aux propriétaires de bien identifier les prestations de courtage proposées par certaines acteurs qui se disent disruptifs et bon marché. Nous les invitons à être attentifs aux contrats proposés… L’interrogation est de savoir s’il s’agit vraiment d’une publicité conforme à la réalité et si la rémunération proposée forfaitairement de 500 francs couvre toutes les prestations nécessaires pour finaliser une vente», écrit-il.

«Une digue qui tombe»

 «Cette nouvelle offre sent l'attrape-gogo à plein nez, s’insurge Marc Comina, cofondateur de Kiiz. On fait miroiter des prestations fantômes pour ferrer des propriétaires auxquels on commence par demander 500 francs, mais qu’on finira par ponctionner 2% de commission. Je ne crois pas que les gens seront assez sots pour mordre à cet hameçon. La compétition entre les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants doit se faire sur la qualité des prestations, pas sur un marketing à la limite de l'illégalité. Jugez plutôt: Kiiz offre un service global, de l'estimation du bien jusqu'à la signature chez le notaire, en passant par la création du dossier de vente avec photos et vidéos professionnelles comprises, visites et négociation, pour 9500 francs tout compris, payables uniquement en cas de vente.»

D’autres professionnels du secteur pointent du doigt le flou dans la rédaction du contrat lié à ce nouveau service. Dans l’article 11, il est stipulé que dans le cas où un «’acheteur Cardis’ se porterait acquéreur durant le contrat ou dans les douze mois suivant la fin de ce dernier, le propriétaire s’engage à rémunérer Cardis par une commission de courtage fixée à 2% (….)». Mais quelle est la définition d’un «acheteur Cardis»? Est-ce qu’il suffit d’être enregistré dans une base de données de l’entreprise pour être considéré comme tel? «La réponse est clairement non, affirme Philippe Cardis. Pour être considéré comme un ‘acheteur Cardis’, le courtier doit lui-même présenter au propriétaire un futur acquéreur et organiser une visite du bien.» Le lancement de ce nouveau service est très récent et si certains points ne sont pas suffisamment clairs, nous nous empresserons de les corriger.»

Que les contours de ce service soient clairs ou non, justifiés ou pas, là n’est finalement pas la question. «Au départ, il y a un constat simple, analyse Marc Comina, cofondateur de Kiiz: une commission de courtage de 3% à 5% est scandaleusement trop élevée par rapport aux prestations fournies. La disruption consiste à offrir des prestations au moins équivalentes et souvent supérieures pour un forfait très avantageux. Avec d'autres nouveaux entrants, nous avons fait le pari que le marché était mûr pour une transformation en profondeur. Le service proposé par Cardis Sotheby's prouve que nous avions raison. C'est une digue qui tombe. C'est l'enterrement définitif de la commission à 3%. C'est l'aveu que le courtage traditionnel doit se réinventer ou disparaître.»

Le Covid-19 accélère la numérisation

Un constat partagé par Patrick Delarive, cofondateur de Neho. «Je pense que les agences immobilières n’ont pas d’autre choix que de s’adapter car la numérisation de la société touche tous les secteurs, y compris le courtage. Et la crise du Covid-19 ne fait que renforcer cette tendance. Nous étions les premiers à attaquer le courtage traditionnel et nous atteignons aujourd’hui un taux de conversion des mandats de 80%, ce qui prouve que notre formule est la bonne.»

Pour Philippe Cardis, ce nouveau service ne condamne en rien le courtage à 3%. «Les besoins des clients ne sont pas tous les mêmes, il faut de la diversité. Entre 2018 et 2019, le nombre de transaction dans le groupe est passé de 500 à 600 pour une valeur totale des ventes de 700 millions, assure-t-il, les clients sont là et ils n’ont aucun problème à payer le prix juste pour nos services». Pour le dirigeant, les modèles de Neho et Kiiz sont certes novateurs mais ils restent complémentaires à des services traditionnels. Dans ces conditions, pourquoi casser les prix de 30%? «Nous nous positionnons sur un segment – celui du client qui veut vendre seul – que personne n’avait occupé jusqu’ici. Et de fait, notre implication est moins grande que sur une vente traditionnelle, d’où la commission plus faible. L’innovation fait partie de notre ADN depuis toujours. Nous avons été les premiers à convaincre les autres agences de travailler en réseau. En mai dernier, nous avons lancé le premier salon immobilier numérique dédié exclusivement aux promotions immobilières. Un véritable succès: nous avons réalisé quarante réservations par ce biais.» 

Prochaines cibles, le luxe et les promotions

Certains observateurs estiment que les start-up du courtage et leurs forfaits de vente à prix cassés sur tout le territoire helvétique pourraient parvenir à grignoter plus de 30% du marché pour les objets immobiliers de moins de deux millions de francs dans les 18 prochains mois. Marc Comina va plus loin: «Aujourd'hui, le marché est complètement éclaté, avec des milliers de courtiers, dont le plus gros ne possède pas plus de 1% des parts du marché suisse. Grâce aux nouveaux entrants, il va y avoir consolidation. Une nuée de petites et moyennes structures vont disparaître, remplacées par la montée en puissance d'une poignée de gros acteurs qui, d'ici 3 à 5 ans, tiendront 30 à 40% du marché. Le tout pour le plus grand bénéfice des consommateurs qui payeront un prix juste pour des prestations de très haute qualité.»

Mais qu’en est-il du marché du luxe et de la promotion? «Je ne me fais aucun souci pour le segment du luxe et de la vente d’appartements sur plan. Dans ces deux cas, le modèle low cost proposé par ce type d’entreprise ne correspond pas à ces besoins très spécifiques», répond Philippe Cardis. Un avis que ne partagent pas Patrick Delarive et son équipe de chez Neho, qui préparent d’arrache-pied deux nouvelles offres all-inclusive précisément développées pour ces deux segments qui seront lancées cet automne. «Prenez l’exemple d’une promotion avec un total d’appartements à vendre pour 20 millions de francs, précise le cofondateur de Neho. Aujourd’hui, le promoteur paiera entre 600 000 et 650 000 de commissions à son courtier. Grâce à notre nouvelle offre, la commission pour cette même promotion ne dépassera pas les 100 000 à 150 000 francs, tout compris».

On le voit, la rentrée de septembre s’annonce d’ores et déjà tendue sur le marché de l’immobilier. Pour les agences traditionnelles, il s’agira de trouver des réponses rapides face aux initiatives agressives de leurs nouveaux concurrents. Et même si Philippe Cardis et son équipe sont sous le feu de la critique avec «Partenaire Particulier», ils ont au moins le mérite d’avoir tenté quelque chose, contrairement à d’autres concurrents historiques du secteur. La bataille ne fait que commencer.

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Thierry Vial