L’art c’est beau et cela peut rapporter gros. Voilà un adage un peu réducteur pour les puristes mais dont la pertinence reste entière. Si le marché des œuvres d’art a toujours existé, notamment par le biais des ventes aux enchères dont la Suisse romande est un acteur historique au niveau mondial, les spécialistes anticipent une accélération dans ce domaine ces prochains mois.

«Ces dernières années, le marché de l’art haut de gamme s’est démarqué par son dynamisme; il connaît une croissance tant du point de vue du nombre de transactions réalisées que des valorisations atteintes. C’est un fait: la demande mondiale pour l’art ne cesse d’augmenter. Si les collectionneurs passionnés, les fashionistas et autres faiseurs de tendances occupent toujours une place prépondérante sur le marché, l’art est de plus en plus perçu comme un pur investissement par différents types d’acteurs», détaille Xavier Ledru de la cellule Corporate Advisory & Structuring de la Banque Reyl. Et la Suisse romande, quelle est sa place potentielle dans ce mouvement? «Cette activité a un potentiel certain en Suisse, pays de collectionneurs et de gestion de fortune. Un grand nombre d’œuvres d’art de valeur sont en effet entreposées dans des ports francs pour des raisons patrimoniales.» 

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Une classe d’actifs à part entière

Certains observateurs n’hésitent donc pas à qualifier l’art de classe d’actifs à part entière et cette perception de plus en plus répandue fait écho à un besoin accru de diversification des portefeuilles. «L’économie joue un rôle dans le monde de l’art et cela a toujours été le cas. L’art est une industrie en croissance avec un besoin d’attirer une large base de nouveaux acheteurs, à différents niveaux de prix; 2017 a d’ailleurs été une année record pour les ventes aux enchères», considère Paul Donovan, économiste en chef pour la gestion globale de patrimoine à UBS. Dans la grande banque, une cellule spéciale nommée Art Competence Center offre des services de conseil sur mesure, objectifs et indépendants, pour toutes les questions liées à l’art. «Nous assistons les clients pour l’achat et la vente d’œuvres d’art, pour la constitution et la gestion de leur collection privée, ainsi que pour la planification successorale», confirme le porte-parole romand, Jean-Raphaël Fontannaz.

«De fait, dans l’ensemble, ceux qui ont investi dans l’art, les voitures anciennes ou les montres de collection, ont incontestablement bénéficié de tendances de marché favorables au cours des dernières années», confirme encore l’analyste de chez Reyl. Corollaire de cette tendance, on assiste à l’apparition de nombreux vecteurs pour investir ou gagner de l’argent par ce biais original. Jusqu’à présent, les particuliers ou familles achetaient directement des œuvres d’art pour leur valeur d’investissement, ce qui a généré le besoin d’une approche plus dynamique et sophistiquée de la gestion du patrimoine artistique. De nouveaux acteurs et produits d’investissement ont donc vu le jour pour répondre aux différents besoins des clients dans le domaine de l’art.

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Xavier Ledru, de la Banque Reyl
© DR

En Suisse romande en particulier, une nouvelle offre, l’art lending, gagne en popularité et offre aux investisseurs un instrument obligataire garanti par des œuvres d’art. Le fonds Carlyle et la banque privée genevoise Pictet ont ainsi créé la société financière Athena Art Finance il y a plusieurs mois. Ces acteurs majeurs proposent un service de prêts destinés aux propriétaires d’œuvres d’art afin de leur permettre d’utiliser ce patrimoine comme de l’endettement personnel. Lors du lancement, Carlyle affirmait avoir investi en partenariat avec Pictet 280 millions de dollars dans Athena. «Compte tenu de la croissance du marché de l’art, le financement de l’art est de plus en plus utilisé comme une source de capital flexible par les collectionneurs et les professionnels du domaine. Depuis son lancement, Athena est devenu l’un des principaux spécialistes indépendants du secteur», confirme Andrea Danese, CEO d’Athena Art Finance.

Depuis, cette proposition a le vent en poupe auprès des collectionneurs qui devraient s’y intéresser de plus en plus. «Ce genre de produits, déjà assez développé aux Etats-Unis où il représente un marché estimé à environ 19 milliards de dollars, reste relativement nouveau en Europe. Ce constat est d’autant plus surprenant que le continent européen est le plus grand marché de l’art au monde en termes de ventes générées par les enchères, de ventes privées et de marchands d’art. Le développement de l’art lending, qui n’est pas encore bien connu des collectionneurs d’art européens, pourrait donc présenter un potentiel considérable», anticipe Xavier Ledru. Preuve en est, de nouvelles initiatives ont récemment été mises en place par différents acteurs afin d’étendre ce service au marché européen. Mais comment ce marché fonctionne-t-il exactement?

La pratique du prêt sur œuvres d’art est relativement simple: les emprunteurs reçoivent des liquidités dont le montant est déterminé en fonction de la valeur de leurs œuvres d’art qu’ils nantissent à titre de garantie. Le financement accordé à l’emprunteur est donc basé, en tout ou en partie, sur la valeur estimée de l’œuvre d’art, qui elle-même dépend de l’artiste et du marché de l’art. En cas de défaut, le prêteur peut prendre possession de l’œuvre d’art et la vendre pour rembourser l’encours du prêt. Afin de refinancer leurs prêts, certains intervenants placent des titres adossés à des œuvres d’art sur le marché et permettent à des particuliers, des family offices ou d’autres gérants d’investir indirectement dans des prêts sur œuvres d’art qui leur permettent de percevoir des rendements confortables.

Comment fonctionne l’«art lending»?

«Ce produit constitue une alternative intéressante à la vente de l’œuvre d’art car il n’implique pas de frais de transaction importants ni d’impôt sur les plus-values, tout en permettant au collectionneur de conserver la propriété de son œuvre. Il permet également d’éviter toute éventuelle publicité négative autour de la vente d’un actif de grande valeur par l’intermédiaire d’une maison de ventes aux enchères qui pourrait attirer l’attention du public et soulever des questions sur la stabilité financière du vendeur», note ensuite Xavier Ledru.

En Suisse, de nombreux collectionneurs ou propriétaires d’œuvres d’art pourraient être intéressés par ce service. En règle générale le montant minimum d’une œuvre est de 100 000 francs mais le montant minimum d’un prêt est de 1 million. Petit bémol, malgré l’intérêt grandissant pour le marché de l’art, un certain nombre de difficultés restent à surmonter avant de se lancer dans des prêts garantis par des œuvres d’art. Des problématiques liées à la propriété ou à la contrefaçon apparaissent de plus en plus souvent depuis quelque temps. Il est donc indispensable pour les acteurs du marché qui souhaitent intervenir dans l’art lending de pouvoir effectuer une analyse détaillée des valorisations et de la due diligence.

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Edouard Bolleter