«En préambule, je dois vous faire un aveu. Quand un certain Jacques Plante a pris contact avec moi, à la fin des années 1980, j’ai tout de suite pensé au légendaire gardien de hockey sur glace des Canadiens de Montréal, six fois vainqueur de la Coupe Stanley et premier portier de l’histoire de la NHL à porter un masque. Je savais qu’il résidait à Genève et je me suis dit: «Tiens, peut-être cherche-t-il une résidence secondaire ou un coin tranquille en Valais pour passer ses vieux jours.»

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Mais un ami m’a fait remarquer que ce Jacques Plante là était décédé quelques années auparavant. J’ai donc rappelé son homonyme avec beaucoup de curiosité et pas mal de scepticisme. A l’autre bout du fil, je suis tombé sur une personne courtoise et sympathique, un Français, déjà installé en Suisse. Rendez-vous fut pris avec, à l’ordre du jour, le potentiel achat de deux appartements à Martigny. Nous nous sommes rencontrés assez longuement. Dans la discussion, il m’a confié être le parolier de Charles Aznavour, d’Edith Piaf, d’Yves Montand, d’Eddy Mitchell et de bien d’autres chanteurs et chanteuses squattant le top 50 francophone. J’ai d’abord cru à un gag.

Quelque temps plus tard, j’ai constaté que l’histoire était sérieuse puisque affaire fut faite. Monsieur Plante devint donc propriétaire à Martigny avec Colette, sa troisième épouse, dans le bâtiment que j’occupais avec ma famille et où j’avais mes bureaux. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. La première, c’est que l’autre trois-pièces et demie qu’il avait acheté, Jacques Plante le destina à son énorme collection de papillons, sa grande passion à côté de la musique: 183 000 spécimens, issus de toute la planète, dont il fit don au Muséum d’histoire naturelle de Genève et à son pendant new-yorkais quelques années avant sa mort, en 2003.

Personne ne l’a jamais vraiment su, car Jacques Plante était quelqu’un de particulièrement discret. Il fuyait les médias comme la peste. Un jour, il m’appelle et m’invite à prendre un verre. Après avoir parlé de choses et d’autres, il me confia être contaminé par le démon du jeu et dépenser des fortunes dans les casinos. A cet instant, je compris pourquoi il m’appelait parfois au milieu de la nuit en me disant: «Christian, un gros chèque va m’arriver, vends-moi un appartement demain, sinon j’ai peur de dilapider l’argent.»

Mais le plus important n’est pas là. Avant de prendre congé, il salua notre amitié, avant de lâcher: «Si j’ai choisi la Suisse, c’est notamment pour des facilités fiscales et parce qu’il est très compliqué d’avoir plusieurs familles. Tu as toujours pensé que je gagnais beaucoup d’argent grâce aux royalties des chansons que j’avais écrites. Mais, à vrai dire, des apports extrêmement importants me sont parvenus des droits pour l’Europe des œuvres de Frank Sinatra et de Paul Anka que j’ai achetés dans les années 1950. Et ces droits-là, j’aimerais te les céder.»

J’ai été très surpris et un brin incrédule face à pareil geste. A tel point que je n’ai pas osé lui demander à quels montants ces droits correspondaient en moyenne. Je l’ai appris au cours des quatre ou cinq ans qui ont suivi, pendant lesquels j’ai reçu plusieurs centaines de milliers de francs par année. A cette époque, j’étais un jeune promoteur bardé d’engagements. Inutile de vous dire que cet incroyable cadeau tombé du ciel a mis pas mal de beurre dans mes épinards…»


«Giovanni Agnelli a lancé ma carrière»

Un entrepreneur peut en cacher un autre. Christian Constantin nous raconte comment feu le copropriétaire du groupe Fiat lui a servi de tremplin. Epatant.

«Pour être tout à fait précis, je devrais dire un entrepreneur peut en cacher deux autres. Car l’année en question, 1977, celle de mes vingt ans, je partageais ma vie professionnelle entre les cages de Neuchâtel-Xamax et le bureau de génie civil du président du club, feu Gilbert Facchinetti. Gilbert m’avait confié la direction de la succursale de Ins, Anet en français, qui se situe juste sur la frontière linguistique mais côté bernois. Pourquoi Berne? Parce que pour participer à la construction de l’autoroute, l’entreprise devait impérativement posséder un bureau en Suisse alémanique. Je passais donc une partie de mes journées à négocier des travaux avec les services fédéraux conduisant le projet. En parallèle, j’avais un œil sur le futur tracé de l’autoroute A9, qui  traverse aujourd’hui une bonne partie du Valais. Le tronçon qui mène à l’embranchement de la route du Grand-Saint-Bernard et de la Forclaz en particulier, appelé aussi le contournement de Martigny.

A cette époque, deux projets se disputaient les bonnes grâces des décideurs. Celui du pied du Mont Chemin, par le tunnel, qui fut finalement choisi et un viaduc du style de celui menant au tunnel de Glion, entre Villeneuve et Montreux, enjambant le hameau de la Bâtiaz. Des projets diamétralement différents mais qui avaient un dénominateur commun: ils s’échouaient les deux à Martigny-Croix. C’est à ce moment-là qu’a germé dans ma tête l’idée de construire à cet endroit l’hôtel qui est devenu la Porte d’Octodure. Mon premier projet de promoteur.

Problème. Je n’avais pas le premier franc pour acheter l’hectare de terrain nécessaire à cet édifice tout de même assez imposant. De plus, si le propriétaire d’une des deux parcelles qui m’étaient nécessaire m’accordait des facilités, l’autre me semblait quasi inaccessible. Et pour cause, sur le terrain trônaient grand garage Fiat et une station-service Agip appartenant au groupe Fiat, à Turin. Que faire? Je me suis dit que le plus sûr moyen d’avoir une petite chance de réaliser l’opération dans un délai acceptable était de contacter le big boss de Fiat, Giovanni Agnelli, accessoirement propriétaire et président de la Juventus de Turin. Mais comment? Par le foot. Ça tombait bien, j’étais moi-même joueur et grand fan de la Juve.

Ni une, ni deux, je «descends» à Turin comme on dit en Valais, voir un match qui se disputait à ce moment-là au vieux Stadio Communale et je me paie une place proche de la tribune présidentielle, où Giovanni Agnelli et son frère s’installaient. Mon plan était simple: à la mi-temps, je n’avais qu’une barrière à enjamber pour accéder au président. Ce que j’ai fait. A la fin des années 70, les loges et les gros bras qui les gardent n’existaient pas encore, Dieu merci. Ensuite, j’ai été au culot. Je me suis présenté et j’ai annoncé la couleur. Très gentiment, Monsieur Agnelli m’a donné les coordonnées de son assistante et m’a demandé de la contacter pour prendre rendez-vous. Ce que je me suis empressé de faire à mon retour à Martigny. 

Voilà comment je me suis retrouvé quelques semaines plus tard dans le bureau de l’un des patrons les plus respectés d’Europe. Restait néanmoins le plus important: négocier la parcelle. Une mission d’autant plus compliquée que le groupe envisageait d’installer les locaux et le parc de Fiat Suisse à cet endroit stratégique pour lui, au pied du Saint-Bernard. Un projet qui, par chance pour moi, fut rapidement abandonné. Dès lors, Giovanni Agnelli se montra très ouvert. Je lui soumis alors l’idée de m’accorder un droit d’emption, assorti d’une caution à définir. Dans ma tête, je pensais à 20 000 francs, ce qui était déjà énorme pour moi. Mais il me lança: «combien pouvez-vous mettre?» Zéro, lui répondis-je du tac au tac. Il fut visiblement surpris par ma réponse et me fixa droit dans les yeux.

Sur le coup, j’ai compris que je venais de flinguer la petite chance que j’avais de le convaincre. Ou plutôt, j’ai cru comprendre. Car après quelques secondes, de réflexion, il s’approcha, me mit une main sur l’épaule et me dit à peu près ceci: «Ecoutez jeune homme, vous m’êtes sympathique et votre projet me paraît tout à fait réaliste. Je ne vous demande pas un rond et vous accorde le temps nécessaire à ficeler l’opération après quoi, vous me recontactez et nous procédons à la vente.» Je n’en croyais ni mes yeux, ni mes oreilles. Tout se passa ainsi et la Porte d’Octodure fut inaugurée en 1985. Grâce, un peu, à Gilbert Facchinetti et beaucoup à Giovanni Agnelli…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz