«On me classe parmi les 300 personnes les plus riches du pays. C’est gratifiant. D’autant plus que rien ne me destinait à me retrouver dans ce cercle. Je suis né et j’ai grandi au Domaine du Daley, au-dessus de Lutry, que dirige mon fils Cyril aujourd’hui. Mon père y travaillait comme ouvrier vigneron. La vie était rudimentaire. Nous n’avions ni voiture, ni télévision. Juste un petit poste de radio. Je faisais deux allers-retours quotidiens à vélo pour aller à l’école, à Lutry. A côté, j’élevais des lapins. Quand l’un d’entre eux finissait dans la casserole familiale, mon père me donnait 10 francs. Mon premier acte commercial si je puis dire.

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Puis, à tout juste 50 ans, à la suite de tracasseries syndicales, papa s’est fait licencier par Bujard Vins, propriétaire du domaine à l’époque. Nous avons déménagé à Lausanne. Ma maman tenait un kiosque à l’avenue de Cour, où l’acteur Yul Brynner venait acheter ses cigares. Mon père s’est recyclé en ouvrier métallurgiste et vendait des postes TV le soir et le week-end pour arrondir ses fins de mois. Après l’école, j’enfilais ma casquette de garçon de courses pour la pharmacie-droguerie Kupper, au Maupas. Cela a été mon premier contact avec le secteur qui occupera toute ma vie. Le déclencheur, puisque, dans la foulée, j’ai fait un apprentissage de droguiste à la Droguerie du Soleil, que j’ai finalisé à l’Ecole suisse de droguerie, à Neuchâtel. C’est le souvenir de mon apprentissage qui m’a inspiré le nom de Sun Store.

Ensuite, je suis devenu représentant. Ce qui m’a permis de faire la connaissance du propriétaire de la Droguerie du Rhône, à Sion. Il voulait que je lui rachète son affaire. A la même période s’ouvrait le centre Migros Métropole, à quelques centaines de mètres de là. Je lui ai dit: «Fais-moi rentrer au Métropole et je te rachète ta droguerie.» Sitôt dit, sitôt fait. Nous sommes devenus les gérants des deux surfaces de 60 m² chacune. Je dis «nous» parce qu’entre-temps je m’étais associé avec Roland Bugnet. Ensemble nous avons créé Sun Store. Sion a marqué le début de l’aventure. Le hic, c’est que nous n’avions pas d’argent. Heureusement, mon père nous a cautionnés pour 20 000 francs.

Puis nous avons postulé pour ouvrir une pharmacie à Avry Centre, mais les autorités fribourgeoises s’y sont opposées sous prétexte que sans diplôme de pharmacien nous ne pouvions pas détenir une surface dédiée au domaine. Nous avons recouru et le Tribunal fédéral nous a donné raison. Pour la petite histoire, je me suis retrouvé six fois devant les juges de Mon-Repos durant ma carrière. J’en suis à chaque fois ressorti en vainqueur. Bref!

Dès lors, nous avons ouvert des surfaces un peu partout en Suisse romande, avant de déborder sur la Suisse alémanique et le Tessin. En tout, 109 magasins, 1780 employés, dont une majorité est restée jusqu’à la retraite, et 300 apprentis formés chaque année. Les clients trouvaient de tout chez nous. Ce qu’ils ne trouvaient pas en Suisse, nous l’importions de l’étranger. Au milieu des années 1990, j’ai racheté la part de mon associé. De 100 millions, notre chiffre d’affaires a passé à 500 millions de francs l’année où j’ai vendu, en 2009. J’en étais très fier.

Car au-delà de la réussite financière, je crois pouvoir dire que Sun Store a contribué à dépoussiérer l’image désuète qui collait au métier de pharmacien. Gondoles sur roulettes, variété de l’assortiment, surfaces de vente décuplées, voire plus, comme à Sierre, où elle fait 650 m², etc. Aujourd’hui, quand je vois ce que Galenica a fait de la chaîne, je suis un peu triste...»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz