«J’ai exercé toute ma vie le métier d’opticien, que j’ai quitté il y a quelques mois pour battre en retraite. Ce qui fait dire à certains de mes amis taquins que j’ai l’œil pour repérer les bonnes affaires. Peut-être. Ce n’est pas ce qui m’a motivé. Les gens qui ont des passions le savent, l’argent est un moyen de les assouvir, pas une finalité. Outre mon métier, j’en ai eu deux: les vieux vins de prestige et les montres.

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La première est née très tôt. Petit-fils et fils de propriétaire encaveur, enfant, j’étais plus souvent dans les vignes que sur un terrain de foot. Mais mon véritable coup de foudre, c’est à l’âge de 20 ans, en 1975, que je l’ai eu. A la seconde où, dans un cours de dégustation, on nous a servi un Château Mouton Rothschild 1972. Cette expérience a marqué le point de départ de ma passion, dévorante, pour les grands vins de Bordeaux et d’ailleurs.

Dès lors, j’ai arrêté ma collection de Swatch, qui plafonne à une cinquantaine de pièces. Toutes mes économies – ou presque – passaient dans les crus mythiques, qu’on pouvait encore se procurer à des prix accessibles avant l’année 2000. En primeur en particulier. Entendez: les grands «châteaux», Petrus, Margaux, Haut-Brion ou Mouton et Lafite Rothschild, etc. Comme les spécialistes qualifiaient le millésime 1982 de très prometteur, j’en ai acheté pour à peu près 60 000 francs. Des bouteilles coûtant entre 58 et 64 francs la pièce. Une belle inspiration puisque, au milieu des années 1990, je les ai revendues entre 580 et 650 francs l’unité. Pourquoi? Pour financer un rêve que je voulais absolument réaliser.

Car un événement a fait ressurgir en moi ma passion pour les montres: l’invention de la roue sans moyeu par le génial constructeur de voitures et de motos résidant à Grandson, Franco Sbarro. En découvrant cette roue vide, je me suis en effet mis en tête de créer une montre avec la même caractéristique. M. Sbarro m’ayant donné son feu vert, je me suis attelé à ce projet, qui m’a pris trois ans et coûté pas mal d’argent. Des sacrifices récompensés en l’an 2000, lorsque nous avons mis sur le marché 1000 pièces numérotées à la technologie unique, vendues entre 2500 et 3500 francs la pièce.

J’en suis spécialement fier puisqu’elle a convaincu des personnalités telles que Jean-Paul Belmondo, Pierre Cardin, le roi Juan Carlos et, plus récemment, le skieur Loïc Meillard, passionné d’horlogerie lui aussi. Avec un peu de chance, ma Sbarro aurait même pu se retrouver au bras de James Bond si Jean-Claude Biver, boss d’Omega à l’époque, n’avait pas été contraint de renoncer pour des raisons commerciales. Globalement, l’opération a été une réussite puisque j’ai récupéré mes billes et même un peu plus. Ce qui m’a permis d’élargir ma collection de vins, que j’évalue à un bon millier de bouteilles aujourd’hui. Parmi elles, quelques perles comme cette bouteille de madère ayant appartenu à Napoléon ou une autre retrouvée dans l’épave d’un navire danois ayant coulé en 1735 existant à 18 exemplaires. Des spiritueux aussi, un armagnac daté de 1811, de très vieux cognacs…

Cela étant, mes coups de cœur vont toujours pour les vieux vins de Bordeaux. Cheval Blanc, Romanée-Conti, en plus de ceux déjà cités, avec une affection particulière pour le Château d’Yquem, dont je possède une septantaine de millésimes, à partir de 1811. De fines gouttes que j’aime partager avec d’autres passionnés. Mais au chalet, rien ne vaut toutefois un bon fendant et une raclette…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz