Du jamais-vu depuis la crise financière de 2008: le taux d’inflation en Suisse atteint le niveau record de 2,5% en avril 2022. Une évolution qui s’explique notamment par la flambée des prix de l’énergie et la cherté des facteurs de production, précise la dernière enquête du centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ (KOF).

Ce renchérissement pourrait perdurer en raison d’une situation économique particulièrement incertaine. Après les deux années de pandémie qui ont bouleversé les carnets de commandes, la conjoncture est fragilisée par la guerre en Ukraine, mais aussi par les mesures sanitaires chinoises qui paralysent les chaînes d’approvisionnement. Le renchérissement affecte d’ailleurs aussi les taux d’intérêt, notamment hypothécaires. Les secteurs de l’immobilier et de la construction subissent ainsi la retenue des investisseurs.

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Tous les prix ont pris l'ascenseur

Toutes les entreprises sont touchées par l’inflation, et particulièrement les petites et moyennes entreprises. «L’incertitude est difficile à gérer pour les PME, explique Jean-Marie Ayer, économiste et directeur de l’Institut des PME à la Haute Ecole de gestion (HEG) de Fribourg. On ignore encore combien de temps cette situation va continuer, si elle va se résorber ou s’aggraver et dans combien de temps. Or les PME, parce que ce sont de plus petites structures, ont moins de ressources à disposition pour la planification à très long terme que les grosses structures.»

Les prix ont tous pris l’ascenseur, en particulier ceux des transports, constate Stany Fardel, CEO de Texner, entreprise spécialisée dans la création de vêtements promotionnels. «Comme l’approvisionnement depuis l’Asie est compliqué depuis le début de la pandémie, nous avons rapatrié une partie de nos productions en Europe, mais ici aussi les livraisons sont de plus en plus coûteuses.» Pour l’économiste Jean-Marie Ayer, «il sera difficile à court terme pour les PME de trouver de nouvelles chaînes d’approvisionnement. Toutefois, ces crises à répétition vont certainement pousser les entreprises à diversifier leurs fournisseurs, à ajouter des partenaires européens à leurs circuits chinois.»

Le coût des matières premières constitue également une nouvelle difficulté pour les PME. «Concernant les tissus, les prix ont augmenté en moyenne de 15 à 20%, observe le CEO de Texner. Celui du polyester, par exemple, fibre synthétique dérivée du pétrole, a augmenté de près de 40% sur les trois derniers mois.» L’entreprise de 35 employés basée à Granges, en Valais, fabrique depuis 2006 ses vêtements en Pologne, puis les personnalise en Suisse. Elle avait déjà été fortement impactée par le covid, enregistrant pour la première année de la pandémie une perte de 80% de son chiffre d’affaires.

«Nous n’avons pas encore modifié nos prix de vente finaux, mais si ces alourdissements perdurent, nous n’aurons plus le choix»

 

L’entrepreneur redoute de perdre ses clients s’il augmente ses prix, mais craint que l’instabilité économique et la hausse du coût des matières premières ne continuent durant des mois, voire des années. Il a donc décidé de faire du stock de tissu, «ce qui nous permettra de maintenir nos prix un certain temps».

Capacité à  planifier

Pour Jean-Marie Ayer, l’avantage comparatif d’une PME se fera en effet sur sa capacité à planifier. «Elle doit maintenir ses commandes actuelles à court terme et négocier dès maintenant ses prix et contrats pour l’avenir, avec ses clients comme avec ses fournisseurs, afin de s’assurer une certaine pérennité, et ce, malgré la versatilité des prix actuels.» Il est conseillé aux entreprises de s’engager sur des tarifs potentiellement plus hauts ou plus bas à l’avenir, quitte à prendre le risque de faire de mauvais paris. Cela leur permet de garantir leur activité à long terme, même en cas d’une dégradation additionnelle de l’économie.

La guerre en Ukraine a particulièrement impacté le secteur de l’énergie et donc du transport. Clément Friderici, directeur de Friderici Special, entreprise de transport de marchandises, doit désormais adapter ses prix chaque semaine. «Nous modifions de manière hebdomadaire nos tarifs en fonction de l’indice carburant publié chaque jour par l’Association suisse des transports routiers (Astag). Auparavant, ces ajustements étaient mensuels, mais, aujourd’hui, ce n’est plus possible, la hausse est trop rapide et trop importante. Le coût de consommation de nos camions aux 100 litres a augmenté d’environ 60% depuis le début de la guerre en Ukraine.»

La Suisse relativement épargnée

L’entreprise familiale de 130 employés basée à Orbe (VD) déplore en outre des frais supplémentaires indirects. «Le prix des pneumatiques a augmenté d’environ 20%. Les compléments obligatoires au carburant comme l’AdBlue sont passés de 40 centimes à 1,4 franc le litre. Les retards de livraison de nos nouveaux camions font que nous devons entretenir de vieux véhicules plus longtemps, ce qui est particulièrement coûteux.» Le transporteur a donc décidé d’adopter une plus grande flexibilité dans ses contrats: les prix sont désormais établis pour dix jours, puis réévalués, alors qu’ils étaient auparavant fixés pour trois mois.

Face à l’inflation, les entreprises peuvent également optimiser leurs coûts. «Elles doivent réduire leurs charges, numériser leurs processus, maximiser leurs recettes et leurs marges, conseille Jean-Marie Ayer, de l’Institut des PME. Mais la plupart des PME ont déjà fait ces adaptations pour survivre à la crise du covid et à la cherté du franc suisse.» Quant à changer de modèle d’affaires, «c’est une idée attrayante et ambitieuse, mais la période de crise économique actuelle n’est pas vraiment propice à de telles prises de risque pour une PME déjà établie». L’entreprise Friderici Special a notamment commencé à diversifier son parc de véhicules avec des camions électriques, mais attend désormais que la crise se calme pour poursuivre les investissements dans ce projet.

Reste que, malgré les difficultés économiques globales et ses 2,5% d’inflation, la Suisse semble plutôt épargnée en comparaison internationale. Aux Etats-Unis, l’inflation se situe à 8,3%, en Allemagne à plus de 7% et au Royaume-Uni à 6,2%. Les économistes de Credit Suisse font d’ailleurs preuve d’optimisme en tablant, dans leur dernier rapport, sur une croissance du PIB de 2,5% en 2022.

AM
Audrey Magat