«Pour cette rubrique, on m’a demandé d’étaler des chiffres et de parler pognon. Alors finissons-en. Vingt-cinq ans après sa création, le 27 juin 1997, la Brasserie des Franches-Montagnes, rapidement «acronymisée» BFM, brasse 500 000 litres de cervoise par année et occupe 25 équivalents plein-temps. Animateurs(-trices) de notre bar punk ouvert 7/7 inclus. Une vache à lait pour les propriétaires, pensez-vous (je dis «les» parce qu’un partenaire financier zurichois m’accompagne dans l’aventure). Ça pourrait. Sauf que nous avons toujours réinvesti nos dividendes dans l’entreprise. De plus, le covid nous a filé une énorme claque. On a eu des aides bien sûr. Qui ont couvert 30% de nos pertes. Et si le prêt covid nous a soulagés, il nous a aussi endettés. Pour bien comprendre, il faut savoir que nous avons inauguré notre nouvelle brasserie toute mignonne à 9 millions de francs en automne 2019 et que 60% de notre volume est vendu en fûts. Moralité, avec les troquets, les restos et les hôtels fermés, vous imaginez aisément le tableau.

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Cela étant, je ne me plains pas. A 48 ans, j’ai une maison, une ferme--immeuble de six appartements que j’ai héritée de ma mère, deux «cabrios» vintage et les moyens de m’offrir de belles vacances. Malgré tout, il m’arrive de penser que peu de chefs d’entreprise bosseraient autant que moi pour ça. Pas grave. Mon jackpot est ailleurs. Entre l’argent et l’ambiance du tonnerre qui règne au sein de la boîte, j’ai choisi. Le team a une foi et une énergie qui soulèvent des montagnes, on a les têtes pleines de projets et, bonus, je me marre! Qui dit mieux? Cerise sur le gâteau, BFM est devenue une marque et jouit d’une réputation enviable et enviée non seulement en Suisse mais dans les 20 pays où elle est présente. A commencer par les Etats-Unis, où nous avons eu l’honneur du New York Times, et le Japon.

Petite fierté personnelle, j’ai présenté nos produits en japonais. Le fruit de quatre ans de cours privés. Bref. Les affaires roulent. Il faut dire que nous œuvrons dans un environnement idéal. Si on comparait naguère le Jura à une réserve d’Indiens, les choses ont désormais bien changé. L’image d’exotisme que dégage le canton et l’incroyable dynamisme dont fait preuve le district des Franches-Montagnes sont de grands atouts. Concernant nos produits, notons que nous n’avons jamais produit la bière que les gens veulent. On a créé des goûts. A la fin des années 1990, personne ne savait par exemple ce qu’était une bière blanche, excepté dans une ou deux régions belges. Il y a également notre Abbaye de Saint Bon-Chien, du nom de feu mon chat, qui cartonne aux States.

Grâce à son goût, pas à du marketing, que je considère comme étant l’art de mentir sur ce qu’on n’est pas. Nous, on préfère notre com. Simple, directe et, si possible, rigolote pour notre communauté. Car BFM en est une. On le voit au nombre de t-shirts qu’on vend et à la croissance exponentielle des fans de la marque. De l’or en barre. Comme furent naguère les petits sous venus de la Promotion économique du canton et les 50 000 balles tombées du ciel via le concours de téléréalité intitulé Le rêve de vos 20 ans. Merci la TSR d’avoir choisi BFM plutôt qu’une école au Botswana! Cela m’a permis de bricoler une première cuve en cuivre dans une ancienne cuve à fromage avec un copain soudeur. C’était au temps où on ne tapait pas encore sur Google pour en trouver une d’occase ou à 80 000 balles, en Chine. Un bon temps qui dure, qui dure…»

Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz