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Classement 2024 des finances des communes

Finances publiques: le grand plongeon des villes romandes

Avec leurs comptes 2024, les cantons ont entamé une plongée vers les difficultés. Pour les villes – en particulier romandes –, c’est déjà le grand plouf. En deux ans, le résultat de la championne (Zurich en 2024) a chuté de presque quatre dixièmes, de 5,55 à 5,18. Lausanne, Neuchâtel, Fribourg et La Chaux-de-Fonds sont au fond du bac. Seule Delémont surnage et surprend.

Pierre Ballay

La Chaux-de-Fonds

Même les forces naturelles s’allient pour peser encore plus et maintenir sous l’eau les finances chaux-de-fonnières. Les coûts de la tempête du 24 juillet 2023 n’aident pas à remettre à flot la barque des finances de la cité horlogère.

Valentin Flauraud/Keystone

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C’est une vieille leçon de l’analyse des finances publiques: lorsque la conjoncture s’enrhume, les villes prennent froid beaucoup plus brutalement et plus fortement que les cantons. Elles sont en effet infiniment plus sensibles aux perturbations et aux turbulences car, contrairement aux cantons, elles n’ont pas la soupape de sécurité qui consiste à reporter des charges plus bas.

Un quatuor extra-ordinaire

En même temps, l’exercice 2024 met en évidence un phénomène aussi rare que particulier. Alors que trois quarts des cités du panel sous revue voient leur note finale se péjorer, et souvent massivement, un quatuor de villes parvient à améliorer sa situation. Classées selon l’ampleur de leur redressement, ce sont: Delémont (+2,06 points), Frauenfeld (+1,38), Winterthour (+1,04) et, plus modestement, Sion (+0,28). Pour sa part, Coire reste stable (+0,02).

«C’est en partie dû à l’impact politique à l’échelon local généré par un (très) mauvais résultat. L’année suivante, rebondir rapidement devient un impératif», constate le professeur Nils Soguel de l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap), instigateur du Comparatif des finances publiques.

Plus vite à contre-courant

Mais ce n’est pas la seule raison: en tant que municipalités, les villes sont plus proches de la population et la taille de leur ménage financier est, en principe, plus réduite que celle des cantons. «En plus, la population n’aime pas les chiffres rouges», relève le professeur de l’Université de Lausanne (Unil). Les variations se perçoivent dès lors plus rapidement et plus fortement, ce qui conduit les édiles à chercher très vite des correctifs.

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«Ce contexte particulier pousse assez naturellement les villes à pratiquer une forme d’anticipation des risques», ajoute Nils Soguel. Par ailleurs, dans les communes, les taxes constituent une part souvent significative des revenus. «Or, rappelle le directeur de l’Idheap, les services autofinancés (déchets, eaux potables et usées) doivent – par définition – couvrir leurs coûts. Dès lors, les municipalités n’ont d’autre choix que de réagir lorsque l’équilibre n’est plus atteint.»

Delémont sort la tête de l'eau

Comme Bellinzone, Bienne, Winterthour et Zurich, Delémont a, en 2024, mieux maîtrisé ses dépenses de fonctionnement et les a même réduites. Conjuguée avec une sous-estimation des recettes fiscales, cette donnée propulse la cité jurassienne vers le haut du classement.

Tous ces éléments concourent à expliquer le formidable rejaillissement de Delémont: plus que bonne dernière du classement 2023, la capitale jurassienne – à l’instar de son canton – opère une remontée rarement vue. Avec sa note moyenne de 5,08, elle est même la meilleure ville romande, avec un 5e rang final.

Un quatuor alémanique nage en tête

Le haut du classement 2024 est dominé par Zurich, championne avec une note moyenne de 5,18, d’une goutte devant trois cités de banlieue, Köniz (BE – 5,17), Emmen (LU – 5,15) et Winterthour (ZH – 5,15).

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A y regarder de plus près, force est de constater que Zurich ne nage pas dans les mêmes ondes que les autres villes. Son administration en est bien consciente, qui enrichit le cahier du comparatif publié par l’Idheap de quelques constats bien sentis: en 2024, la ville a encaissé 585,6 millions de francs supplémentaires!

Zurich dans d'autres courants

Les causes principales: «Les recettes fiscales élevées, l’augmentation des taxes récupérées sur ordures, eau potable et usée, l’évolution positive du cours des actions de l’aéroport et la baisse des dépenses de personnel et de matériel.» En outre, comme la plupart des métropoles régionales telles Berne mais aussi Lausanne où les SI sont une véritable vache à lait, Zurich intègre dans ses comptes communaux son hôpital, ses transports publics, sa centrale électrique, etc., «qui nécessitent des investissements importants».

«Certes, ces entités sont gourmandes en investissements, reconnaît le professeur Soguel, mais elles génèrent aussi des revenus conséquents qui, de surcroît, augmentent très fortement quand, par exemple, les prix de l’électricité partent à la hausse!»

Genève surnage

Au 6e rang du classement final, Genève (4,98) maintient très bien sa tête hors de l’eau. Pourtant, avec sa tendance à laisser filer les dépenses courantes (pas loin de 3% par rapport à l’année précédente, Ind. 5) et, surtout, avec sa propension à laisser jaillir ses engagements supplémentaires (+8%, Ind. 3), la Cité de Calvin devrait plutôt plonger.

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Mais, même si sa dette brute coule dans des profondeurs abyssales (125,6%, Ind. 10), la situation nette de la ville de Genève reste plus que favorable (-176,3%, Ind. 9), grâce à un immense patrimoine financier qui dépasse l’endettement brut.

Sion et Bienne entre deux eaux

Respectivement 7e et 8e, Sion (4,93 de moyenne) et Bienne (4,89) évoluent dans des courants contraires. Le chef-lieu valaisan remonte plutôt la pente, malgré des dépenses courantes pas trop bien maîtrisées et des investissements (trop) importants. En revanche, ses taux d’endettement net sont bien à flot.

Pour la cité seelandaise, les remous viennent en priorité d’engagements supplémentaires importants et d’une dette brute (Ind. 10) qui tire les chiffres concernés vers le fond.

Dans les tréfonds du classement

Au fond du classement, plusieurs cités romandes ont même plongé en dessous de Bellinzone et de Coire qui, précédemment, se distinguaient en nageant comme des fers à repasser. Désormais, ce sont Lausanne (17e, 3,70 de note moyenne), Neuchâtel (18e, 3,60) et Fribourg (19e, 3,56) qui pataugent en eaux troubles.

Curieuse explication

Le cahier du Comparatif des finances cantonales et communales publié par l’Idheap donne à chaque collectivité la possibilité d’apporter des commentaires ou des précisions sur ses résultats de l’année sous revue. Dans ce cadre, la ville de Neuchâtel fournit une explication plus que curieuse: «Année de transition avec la nouvelle période administrative 2024-2028 et l’entrée en fonction des nouvelles autorités. L’objectif reste d’atteindre l’équilibre sur la durée et de consolider les prestations au service de la population.» On pourrait en conclure qu’en ville de Neuchâtel les élus sortants lèvent le pied au moment de quitter leur fonction alors que les nouveaux ne sont pas encore très efficients…

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Si la cité olympique et l’ancien chef-lieu prussien ont été assez coutumiers du fait, la coulée magistrale de Fribourg est plus surprenante. En un exercice, la ville des Zähringen est passée de l’excellence (5,36 de note finale en 2023) à l’insuffisance caractérisée. La faute déjà à une petite surestimation des recettes fiscales (Ind. 7).

Fribourg coule à pic

Une autre dimension illustre très clairement cette plongée aussi soudaine qu’apocalyptique: la couverture des charges (Ind. 1). En effet, sur une année, Fribourg est passée d’une opulence trop clinquante en 2023 (116%) qui aurait presque pu réclamer des baisses d’impôts à une insuffisance déjà marquée (98,1%).

Sanction immédiate, la ville aux couleurs noir et blanc voit son degré d’autofinancement passer dans le rouge. A même pas 29%, il n’y a que Neuchâtel (25%) qui signe un plus mauvais résultat. En outre, Fribourg a encore accru son effort d’investissement (Ind. 6) et met ainsi en péril ses équilibres budgétaires.

La capitale du haut tout en bas

Enfin, La Chaux-de-Fonds (20e, 3,37) s’enfonce dans des tréfonds dramatiques. Même si tous les indicateurs n’ont pas plongé, il faut reconnaître que la cité horlogère persiste dans les bas-fonds. Même les forces naturelles s’allient pour peser encore plus et maintenir sous l’eau les finances chaux-de-fonnières: les coûts de la tempête du 24 juillet 2023 n’aident pas à remettre à flot la barque des finances de La Tchaux.

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5,08
La note finale de Delémont, qui traduit sa fulgurante remontée (de 3,02 en 2023) et lui octroie un 5e rang, le meilleur classement des villes romandes.

-1,8
La baisse de moyenne de la ville de Fribourg: après un 5,36 proche du podium en 2023, sa note s’effondre à 3,56, soit l’avant-dernier rang.

331,7%
Le rapport de l’endettement net de la ville de Lausanne et ses revenus fiscaux: les Grecs de la Suisse sont dans la cité olympique…

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