Comment réformer la loi sur la prévoyance professionnelle? Si la nécessité d’adapter le deuxième pilier à l’évolution sociétale et démographique fait consensus, la manière d’y parvenir ne convainc pas tous les partis. Personne ne sait encore non plus ce qu’il adviendra du projet de réforme de la prévoyance professionnelle présenté en 2020 au Conseil fédéral. Seule certitude: les Suissesses et les Suisses accordent une grande confiance dans le système du deuxième pilier. Mais celui-ci n’a plus connu de grande réforme depuis 2004. 

Pire, la LPP s’est complexifiée pour les assurés: splitting, taux de conversion, déduction de coordination... ils peinent aujourd’hui à s’informer et à comprendre un système compliqué. Sébastien Cottreau est gérant du Fonds interprofessionnel de prévoyance (FIP) au sein du Centre Patronal. Cet actuaire de formation plaide pour une simplification de la prévoyance professionnelle afin de pré- server et de regagner la confiance des assurés dans le deuxième pilier. Interview. 

Expliquez-nous pourquoi la déduction de coordination est une fausse bonne idée?

En 1985, le législateur avait prévu de mettre une déduction de coordination afin de déterminer le salaire assuré auprès de la caisse de pension en tenant compte de la part assurée dans le cadre de l’AVS. Pour rappel, cette déduction s’élève à 7⁄8 de la rente annuelle AVS maximale, aujourd’hui de 25 095 francs. La déduction de coordination était une bonne idée en théorie. Mais dans la pratique, il est compliqué d'expliquer auc assurés qu'un salaire de 50000 francs par exemple ne cotisera que sur une base de 25000 francs. Cette déduction est péjorante pour les personnes à temps partiel et celles en multi-activité. Une personne qui travaille pour 50000 francs dans un autre cotisera sur deux fois 25000 francs alors qu'elle devrait pouvoir le faire sur 75000 francs. On peut donc faire plus simple.

 

Mais par quels mécanismes peut-on simplifier le système et à quel niveau? 

Initialement, la LPP est une assurance complémentaire à l’AVS, avec de forts mécanismes de solidarité. Plus le temps a passé, plus cette solidarité a laissé la place à plus d’individualisation, notamment avec la distinction entre les parts obligatoire et surobligatoire de l’avoir de vieillesse. Avec cette individualisation, nous avons perdu l’essence même de la LPP tout en perdant les assurés qui ne comprennent plus le système. Il est dommage de se focaliser sur des aspects compliqués alors que notre système des trois piliers fonctionne bien. Alors restons dans un système simple et solidaire plutôt que de proposer des produits individuels, ce qui permet aussi de réduire les risques. 

«Notre système de trois piliers fonctionne bien. Alors restons dans un système simple et solidaire plutôt que de proposer des produits individuels.»

Vous êtes notamment en faveur de l’abolition du splitting, c’est-à-dire la distinction entre les parts obligatoire et surobligatoire de l’avoir de vieillesse.
En effet, les caisses de pension peuvent appliquer un taux de conversion différent pour chacune de ces parts. Il est de 6,8% pour la part obligatoire jusqu’à l’âge de la retraite. Le taux de conversion peut chuter jusqu’à 4,0% pour la part surobligatoire. Les assurés ne comprennent pas cette situation. Il faudrait pouvoir appliquer un taux de conversion sur l’entier de l’avoir vieillesse. De la même manière, l’intérêt devrait créditer l’entier de l’avoir. Donc oui, stop au splitting.

 

Aujourd’hui, les projets actuels de réforme proposent une réduction de la déduction de coordination pour limiter la péjoration de la prévoyance des personnes à temps partiel...

Oui, mais ils ne règlent pas le problème. C’est une demi-mesure. Il faut avoir le courage d’abolir la déduction de coordination. La péjoration de la prévoyance des personnes à temps partiel est réduite mais demeure. Ainsi, la compréhension de la prévoyance professionnelle sera meilleure, et de manière encore plus importante si le splitting est abandonné. Il est plus simple de comprendre que l’intérêt s’appliquera sur l’entier de l’avoir vieillesse plutôt que sur une partie. Notre projet de réforme va dans cet état d’esprit là.

 

Justement, depuis 2017, le Centre Patronal est au cœur
d’une task force qui planche sur une réforme de la loi LPP
plus adéquate. Vous avez d’ailleurs publié votre projet en 2021. Comment celui-ci contribue-t-il à simplifier le deuxième pilier?

Le Centre Patronal est au cœur des entreprises vaudoises. Il gère des conventions collectives de travail en pleine application du partenariat social, administre une caisse AVS, gère cinq institutions de prévoyance et leur fortune. Le Centre Patronal connaît ainsi parfaitement les enjeux du marché du travail tout en ayant l’expérience de la prévoyance. Notre projet est donc né de nos expertises dans les différents aspects de la prévoyance. Il est optimal dans sa globalité. Il a surtout le mérite de se concentrer sur la prévoyance obligatoire et de garantir l’objectif de prestations aussi pour les personnes dans les situations les plus fragiles. Au-delà, il faut demeurer libéral et laisser à chaque collectif et à chaque institution de prévoyance la liberté de définir ses prestations et son financement, mais sans appliquer de splitting.

 

Dans leur projet de loi présenté en 2020 et baptisé LPP21,
le Conseil fédéral et les partenaires sociaux proposaient d’abaisser le taux de conversion de 6,8 à 6% d’un seul coup. Cela ne concerne pas la part surobligatoire, qui est libre et où des taux inférieurs à 5% sont déjà pratiqués. Quels seront les impacts de ces changements sur les futures rentes?

Tout d’abord, il faut bien se rappeler que la LPP est une loi-cadre qui instaure notamment des minima en termes de prestations de retraite. Chaque collectif de salariés choisit de se soumettre à un plan de prévoyance qui peut aller au-delà des dispositions légales minimales, dites «LPP obligatoire». Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie et de la baisse des espérances de rendement avec un même capital de retraite, la rente doit donc être plus basse. D’un point de vue actuariel, le calcul de la rente annuelle devrait être effectué avec un taux de 5,2% pour un homme à 65 ans en tenant compte d’une espérance de rendement prudente à long terme (2,0%).

 

Le seuil d’entrée pour cotiser à la LPP est fixé
à 20 000 francs. Un montant parfois difficile à atteindre
dans chaque activité pour les personnes qui en cumulent plusieurs. Ne faudrait-il pas abaisser ce seuil?

En théorie oui, mais cette solution engendrerait une augmentation importante des coûts pour les employeurs et aussi pour les employés pour une activité souvent accessoire. En alternative à l’abaissement du seuil d’entrée, il faudrait pouvoir assurer le cumul des activités lorsqu’il dépasse le seuil d’entrée. En théorie, la LPP le rend déjà possible de manière facultative. La difficulté est que les employeurs doivent alors verser des cotisations à des institutions de prévoyance auxquelles ils ne sont pas affiliés.

 

L’avenir est à la multi-activité et à la démultiplication
des statuts professionnels. Comment la réforme de la LPP peut-elle inclure ces changements de fond sur le marché
du travail?

La suppression de la déduction de coordination répond aux activités à temps partiel en termes d’objectif mais également administrativement. Sans déduction de cotisation, le taux de cotisation peut s’appliquer directement sur le salaire, qu’il soit mensuel ou horaire. Il aurait été encore plus simple d’avoir un taux unique de cotisation quel que soit l’âge. Mais la transition depuis la LPP actuelle aurait été trop ardue et coûteuse. Ensuite, rendre la cotisation obligatoire dès 18 ans permet de constituer son capital plus tôt. Ainsi, en cas d’interruption totale ou partielle de son activité dans un deuxième cycle de vie professionnelle, la prévoyance sera meilleure. De plus, les indépendants sont de plus en plus nombreux, parfois en lien avec une plateforme du type Uber ou Smood. Notre projet propose d’affilier obligatoirement les indépendants. La question des plateformes va au-delà de la LPP. Il faut que la plateforme soit un employeur et cotise aux assurances sociales en tant que tel.

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Martin Auger
Martin Auger