Avec plus de 4 millions d’engins répertoriés sur son territoire, la Suisse compte une des plus hautes densités de vélos par habitant du monde. Pourtant, près de 1 million de ces bicyclettes sont inutilisées et seulement 6% de la population se sert de ce mode de transport pour se rendre au travail ou à l’école, selon l’association Pro Vélo Suisse. Une proportion qui fait pâle figure comparé aux pays du Nord: à Copenhague, 40% des citoyens circulent quotidiennement à vélo. «La Suisse manque cruellement d’infrastructures favorisant la mobilité douce en comparaison avec le Danemark ou les Pays-Bas, explique Martin Platter, porte-parole de Vélosuisse, la faîtière des fournisseurs de vélos. Il faudra encore attendre plusieurs années avant d’avoir de véritables voies cyclables. Mais la prise de conscience est là.» Référence au succès de l’initiative populaire pour la promotion des pistes cyclables, qui a été acceptée par 73,6% des votants en septembre dernier.

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Un plébiscite qui se reflète aussi sur le plan économique. En 2017, plus de 338 000 vélos ont été vendus en Suisse, soit une augmentation de 4,2% en comparaison annuelle. Le segment des cycles avec assistance électrique a dopé les ventes, avec 90 000 unités vendues (+16,3%). «La topographie montagneuse d’une majorité des villes suisses contribue à augmenter l’attractivité de ces modèles», poursuit Martin Platter.

Culture plus ancrée en Suisse alémanique
Deux tiers des bicyclettes ont été vendues dans les régions germanophones contre environ un quart en Suisse romande et 7% au Tessin. «En Suisse alémanique, la culture du vélo est ancrée dans le quotidien des gens, ce qui favorise la vente de modèles urbains», détaille Fabien Plotnikowa, cofondateur du groupe FMI, propriétaire de l’enseigne Veloland. Cette différence s’observe aussi dans le classement des villes possédant les meilleures infrastructures pour les cyclistes établi par Pro Vélo Suisse. Les villes suisses alémaniques comme Berthoud (BE), Winterthour et Bâle figurent sur le podium tandis que Genève, Lausanne et Fribourg ferment la course.

Autre phénomène: l’augmentation du budget moyen consacré à l’achat d’un nouvel engin. «Les clients acquièrent désormais plus volontiers des modèles entre 2500 et 3000 francs», dit Romain Marandet, cofondateur de l’enseigne Cyclable. Le propriétaire de Veloland souligne pour sa part une différence entre les régions linguistiques: «Les Suisses alémaniques paieront facilement 200 à 500 francs de plus que les Romands pour s’équiper.»

Le marché est mature. D'ici deux à trois ans, il y aura un ralentissement de la croissance.

Fabien Plotnikowa, cofondateur de Veloland

La Suisse compte environ 1700 magasins liés à l’économie du vélo, y compris ceux des grands groupes comme le français Decathlon ou Migros. Cette dernière a inauguré en 2017 sa filiale Bike World by SportXX, avec quatre succursales établies en Suisse alémanique. «Les ventes de vélos sont globalement stables chez nous sur l’ensemble des modèles, mais elles affichent une croissance à deux chiffres dans le secteur des vélos électriques», indique Anne-Catherine Berrut, du service de communication du géant orange. Sans donner de date précise, Migros indique que des points de ventes Bike World by SportXX ouvriront bientôt en Suisse romande.

Se détacher du peloton
De nouvelles enseignes de taille plus modeste tirent aussi leur épingle du jeu. C’est le cas de Veloland, fondée en 2008. Présente à Genève, à Lausanne et à Conthey (VS), la société a vendu plus de 6000 vélos en 2018, dont un tiers dotés d’une assistance électrique. «Les vedettes de l’année dernière sont de loin les modèles Stromer et la gamme urbaine du fabricant allemand Kalkhoff», précise le cofondateur Fabien Plotnikowa.

Affichant un taux de croissance à deux chiffres, l’entreprise prévoit d’ouvrir deux nouvelles succursales, à Fribourg en mars et à Neuchâtel en mai. L’entreprise compte actuellement 70 salariés, et Fabien Plotnikowa et son associé Emmanuel Sanchez prévoient de recruter une vingtaine de nouveaux collaborateurs. «Pour l’heure, les marges sont saines et nous permettent d’investir dans les infrastructures, le personnel et les produits. Mais nous devons rester attentifs à l’évolution des offres concurrentes.» Car certains commerces pratiquent déjà le déstockage. «Le marché est mature, mais d’ici à deux ou trois ans, il y aura un ralentissement de la croissance. Certains points de vente en souffriront.»

Martin Platter, de Vélosuisse, s’attend lui aussi à un ajustement du marché. «Les commerces hautement spécialisés et se démarquant au niveau du style et de l’ambiance seront gagnants. Tout comme les petits magasins s’appuyant sur une clientèle fidèle.»

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Les modèles électriques Stromer sont très prisés des Suisses.
© Stromer

Les magasins Cyclable, installés à Genève et à Lausanne, misent ainsi sur la vente de vélos urbains et électriques. L’enseigne, qui compte six salariés, a vendu plus de 2000 unités depuis quatre ans. Les modèles des fabricants allemands Kalkhoff (vendus entre 500 et 4000 francs) et Winora (prix moyen: 2500 francs) sont les plus plébiscités par la clientèle. La PME s’est aussi lancée dans la vente de bicyclettes destinées aux services de livraison et dans la maintenance de flottes d’entreprises. Parmi sa clientèle professionnelle, Cyclable fournit par exemple des sociétés de travaux publics ou la municipalité de Nyon. «Nous évoluons sur un marché très concurrentiel avec de gros, mais aussi de très petits acteurs intéressants, explique Romain Marandet, codirecteur. Mais nous parvenons à dégager des marges suffisantes pour des investissements.»

La bonne santé actuelle du marché sourit également aux structures spécialisées dans la réparation, comme la coopérative genevoise Péclôt 13. «Depuis quelque temps, il y a énormément de nouveaux venus qui s’ajoutent à nos habitués, observe Thibault Descloitres, membre de la structure depuis quatre ans. Il s’agit majoritairement de personnes qui ont cessé d’utiliser leur voiture pour aller au travail.» Le jeune homme estime que l’inauguration récente d’une nouvelle voie de mobilité douce de 5 kilomètres à Genève a contribué à cet engouement. Affichant un chiffre d’affaires en hausse, la coopérative se focalise aujourd’hui sur ses trois ateliers existants. «Mais si cette tendance se poursuit, il faudra peut-être penser à s’agrandir.»

Vogue des «cafés-vélos»
Autre développement récent: les «cafés-vélos», qui combinent bar de quartier et atelier de réparation. Ce concept est né à Londres il y a une dizaine d’années, avant de s’exporter vers des villes comme Copenhague ou Amsterdam. La Suisse n’échappe pas à cette mode. Depuis 2016, le magasin La Pédale à Lausanne, spécialisé dans la vente des vélos pliables anglais Brompton, abrite un atelier, un point de vente et un petit café d’une dizaine de places. «Nous avons voulu développer une ambiance à l’anglaise, de manière à vendre des vélos tout en partageant une boisson non alcoolisée avec nos clients», détaille le cofondateur Pierre Dormal.

Une orientation qui connaît un certain succès: l’an dernier, la boutique a vendu plus de 150 modèles Brompton, dont les prix débutent à environ 1200 francs. «Nous avons vendu le même nombre de vélos qu’en 2017, mais mieux équipés.» Pour se développer, le directeur compte se lancer dans la vente de la variante électrique de Brompton. «Avec le Brexit, les dates de disponibilités sont encore floues. Mais dès qu’il sera arrivé, ce modèle électrique nous assurera 20% de ventes supplémentaires.»


Stromer, en route vers le succès

Après plusieurs années difficiles, la marque bernoise spécialisée dans les modèles électriques haut de gamme a vendu plus de 10 000 vélos en 2018 et enregistré pour la première fois des bénéfices.

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Stromer, d’une start-up prometteuse à une marque aujourd’hui bien établie.
© Stromer

Les ventes de vélos avec assistance électrique sont en forte hausse. Un contexte réjouissant pour les fabricants spécialisés comme l’entreprise bernoise Stromer, fondée en 2009. L’an dernier, elle a enregistré des bénéfices pour la première fois de son histoire. Stromer a ainsi vendu environ 10 000 cycles au niveau mondial, particulièrement en Belgique et aux Pays-Bas. Un tiers de son chiffre d’affaires est par ailleurs réalisé sur le marché helvétique. «Ces résultats satisfaisants sont dus aux fructueuses mesures de restructurations et à la popularité du vélo électrique», dit Marco Schneider, responsable de la communication de Stromer.

En 2019, la société, qui emploie entre 50 et 60 collaborateurs, table également sur une croissance des ventes, à hauteur de 20%, visant un total de 12 000 vélos vendus. Basée à Oberwangen (BE), la marque a longtemps eu de la peine à passer du statut de start-up prometteuse à celui d’entreprise établie. Après un détour dans le giron du groupe suisse BMC en 2013, elle entame il y a deux ans un important processus de réorganisation, marqué par l’arrivée de nouveaux investisseurs. Stromer utilise alors son usine bernoise comme magasin central et s’appuie sur un réseau étendu de partenaires qui proposent des concept stores de la marque.

Une nouvelle stratégie qui s’avère gagnante. «Nous voulons capitaliser sur le savoir-faire suisse et la confiance des utilisateurs dans nos produits haut de gamme», poursuit Marco Schneider. Les modèles les plus sophistiqués de la marque sont vendus près de 10 000 francs. «Nous continuerons de produire localement les vélos afin de maintenir un contrôle sur les coûts et un lien étroit avec les fournisseurs.»
Le fabricant de vélos avec assistance électrique a annoncé l’ouverture prochaine d’un premier concept store à Paris.


Des vélos-cargos dans la ville

Permettant de transporter jusqu’à 100 kilos, les vélos-cargos sont toujours plus nombreux sur les routes. Un réseau de partage de ces véhicules s’étend désormais dans une cinquantaine de villes suisses.

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On peut également louer des vélos-cargos via Carvelo2go.
© B.Schweizer

Qu’ils soient équipés de deux ou de trois roues, les vélos-cargos commencent à se faire une place dans le paysage urbain. Ils se distinguent par un grand bac noir situé à l’avant ou à l’arrière et permettent de circuler avec des enfants, de faciliter les livraisons ou de transporter jusqu’à 100 kg de matériel. En 2017, environ 400 véhicules de ce type se sont vendus en Suisse. De l’avis de l’association Pro Velo, «il s’agit d’une belle surprise, puisque ce type de vélo a le potentiel de remplacer le trafic automobile».

Autre moteur de cet engouement pour ces véhicules: le réseau de partage Carvelo2go. Cette initiative emmenée par le Touring Club Suisse et le fonds de soutien Engagement Migros propose un service similaire à la solution de partage de voitures Mobility. Depuis son lancement en 2015, le nombre d’utilisateurs a doublé chaque année pour atteindre un total de 10 791 fin 2018. Environ 250 vélos-cargos sont répartis dans les 53 villes et communes qui participent au projet. Pour Romain Marandet, codirecteur du magasin Cyclable, le vélo-cargo, en libre service ou en propre, devait être un produit phare de l’année 2019. «Depuis une année, nous observons une forte demande pour ce produit. Certains de nos acheteurs préfèrent acquérir un vélo-cargo au lieu d’acheter une deuxième voiture.»

Fabien Plotnikowa, de l’enseigne Veloland, estime pour sa part que l’engouement risque de vite s’essouffler. L’entrepreneur souligne la taille et le poids imposants de ce véhicule. «Imaginez la place que prend ce type de vélo dans un garage ou à l’intérieur de la maison. Ils peuvent être intéressants pour transporter des enfants, mais ils restent particulièrement onéreux, avec un prix de base d’environ 5000 francs.»

TP
Tiago Pires