Chaque année, au mois de décembre, la revue des Services industriels de Genève (SIG) fait un tabac. C’est un événement attendu avec impatience, où l’on rit beaucoup. C’est aussi un spectacle réalisé par et pour les collaborateurs. Même l’orchestre qui joue pendant la représentation est composé de membres du personnel. Comme la direction leur donne toute licence pour traiter les sujets qui les inspirent, ce rendez-vous leur sert accessoirement d’exutoire, selon Elise Kerchenbaum, chargée des relations publiques. Mais impossible pour PME Magazine d’y assister: «De tout temps, ce spectacle a été jalousement gardé interne. Il est important que les collaborateurs se sentent vraiment libres.»

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Au début des années 2000, les SIG avaient déjà innové en créant une sitcom diffusée sur Léman Bleu. Intitulée Entre amis, elle jouait sur le succès de la série culte Friends qui passait à la télévision à l’époque pour raconter les péripéties de quatre jeunes colocataires confrontés dans leur vie de tous les jours à des questions écologiques. L’exemple des SIG ne constitue pas un cas isolé. Après avoir tout d’abord été l’apanage des grandes entreprises (IBM, Schneider Electric et Volkswagen, notamment), le théâtre d’entreprise est devenu accessible aux PME.

Des cours pour les cadres

En Suisse romande, on trouve ainsi plusieurs sociétés théâtrales qui proposent, entre autres, des modules de formation continue par l’art théâtral. Citons AskFor et Diotime à Lausanne ou Point-Théâtre à Riaz, dans le canton de Fribourg. Il existe également des ateliers de pose de la voix animés par la Manufacture, membre de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse orientale (HES-SO), ou par le Centre romand de promotion du management (CRPM), à Lausanne. Ces cours s’adressent tout particulièrement aux cadres qui sont régulièrement appelés à animer des réunions ou à s’exprimer en public.

Selon un sondage effectué en France, la quasi-totalité des managers qui ont tenté l’expérience reconnaît l’intérêt des improvisations (86%), du travail sur la voix (82%), des mises en situation de type jeux de rôle (86%) et du travail sur les émotions (72%). Les avis sont en revanche assez mitigés quant à la pertinence du travail corporel (58%).

La moitié des vidéos ne sont pas visionnées jusqu’au bout

Le spécialiste Melchior Salgado, maître de conférences et directeur de recherche en entrepreneuriat à l’Université Lyon 1, situe les débuts du théâtre d’entreprise dans les années 1980 au Canada. En France, la première pièce de théâtre d’entreprise aurait été jouée en 1986 lors du congrès de l’Association française pour la qualité (AFCIQ). A l’époque, on faisait souvent appel à des comédiens professionnels, ce qui n’est pas allé sans heurts. Les milieux artistiques avaient tendance à y voir une sorte de compromission, «comme s’ils vendaient leur âme au diable». Significativement, le célèbre Dictionnaire du théâtre du professeur Patrice Pavis reconnaît le théâtre de boulevard, le théâtre de rue et le théâtre expérimental, notamment, mais pas le théâtre d’entreprise. Ce terme se serait «popularisé grâce à la presse, comme il en va souvent, avant même qu’on y ait réfléchi», d’après Melchior Salgado.

Pour contrer une OPA

Avec le développement des réseaux sociaux, les entreprises sont également de plus en plus nombreuses à se lancer dans la vidéo d’entreprise afin de promouvoir leurs produits ou services… Et, réciproquement, parce que le cinéma et la TV s’intéressent à elles. Pour preuve, les films Ressources humaines de Laurent Cantet (1999), Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese (2013) ou encore In the Air de Jason Reitman (2009, avec George Clooney), et les émissions comme Patron Incognito et The Apprentice.

En fait, l’histoire du cinéma est intimement liée à celle du monde du travail. Réalisé en 1895, le premier film montrait la sortie de l’usine des frères Lumière, à Lyon. Dans un contexte de compétition avec Kodak, ils avaient tourné ce court-métrage pour promouvoir son cinématographe. Ils en ont réalisé d’autres ensuite, notamment pour le champagne Mercier. Mais les films institutionnels se sont développés «dans l’ombre des œuvres de fiction», même si les réalisateurs et les équipes de tournage étaient souvent les mêmes, écrit l’auteur-réalisateur Georges Pessis dans son livre Entreprise et Cinéma, cent ans d’images. Ainsi, Alain Resnais a signé un film pour le Groupe Péchiney…

Aujourd’hui, le succès des plateformes comme YouTube «relance l’intérêt des entreprises pour la vidéo», affirme l’entrepreneur meyrinois Georges Aliferis, fondateur de l’agence spécialisée Orama à Londres. Parmi ses clients, DeLaneau à Genève, le Salon international de la haute horlogerie, Nespresso, Graff Diamonds, Cartier ou Le Bocuse d’Or. Le but est forcément promotionnel, mais pas seulement: en 2006, par exemple, le groupe métallurgique Arcelor a lancé une TV en ligne dans l’espoir de mobiliser les actionnaires contre son rachat par Mittal Steel Company. Décrite par la cellule de crise d’Arcelor comme «un site de combat pour défendre notre modèle de management», elle proposait de courts reportages façon journal télévisé, généralement tournés en usine. Mais elle n’empêchera pas l’OPA la même année.

«Le marché ne cesse de prendre de l’ampleur, constate Georges Aliferis. Rien que sur YouTube, plus de 4 milliards de vidéos sont visionnées chaque jour.» Pourtant, il existe encore très peu d’agences spécialisées dans la vidéo d’entreprise. Une rapide vérification sur Google le confirme: en Suisse romande, le marché est occupé par des sociétés de production généralistes et quelques agences de communication.

Par ailleurs, le développement phénoménal de la vidéo peut donner l’impression trompeuse qu’il est facile de cartonner. «Dans la pratique, la moitié des vidéos ne sont pas visionnées jusqu’au bout. Les internautes décrochent au bout de 30 secondes en moyenne et seulement 3% des vidéos atteignent le million de vues.» Il y aurait donc un paradoxe: plus il devient facile de produire des vidéos, plus il est difficile de se faire remarquer!


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Georges Aliferis, Executive Producer, Orama TV
© DR

"IL FAUT SEDUIRE DES LES PREMIERES SECONDES"

Georges Aliferis conseille aux entreprises tentées par l’expérience de la vidéo de commencer par choisir la plateforme de partage (par exemple YouTube ou Facebook). «On peut très bien viser simultanément plusieurs plateformes, car elles ne s’excluent pas mutuellement. Mais il faut ensuite adapter le contenu, le format et le style de la vidéo à chaque plateforme. Quelle sera la durée de la vidéo? Les personnes filmées devront-elles regarder la caméra ou pourront-elles simplement discuter entre elles? Quelles seront les premières images? L’accroche est essentielle, car il faut capter l’attention du vidéonaute dès la première seconde.»

Enfin, il est important d’optimiser le produit sur internet. Si l’entreprise possède son propre site, on peut créer un espace administrable, comme un blog, une chaîne ou un web TV, pour archiver les vidéos par thèmes ou par dates.

Côté coûts, on peut trouver sur internet des sociétés de production qui sont disposées à réaliser un film d’entreprise à partir de 800 francs. Avec un caméscope numérique et un logiciel de montage vidéo installé sur PC, on peut même tout faire soi-même. «Mais il faut respecter un certain niveau de qualité, surtout au niveau du son. Autrement, c’est rédhibitoire», conclut Georges Aliferis.


LEXIQUE EXPRESS

Vidéo d’entreprise: Court-métrage de 2 à 10 minutes commandé par une entreprise qui veut se présenter à l’interne ou à l’externe.

Vidéo produit: Film d’une durée de deux minutes maximum, destiné à tourner en boucle dans les magasins.

Lip dub: Clip musical réalisé généralement dans les locaux de l’entreprise; les collaborateurs chantent en play-back et sont filmés en un long plan-séquence. En Suisse, le lip dub du 118 a fait un carton.