On trouvait déjà des banques telles que Raiffeisen, Bonhôte ou Lombard Odier et bon nombre de start-up parmi les sociétés suisses certifiées B Corp. A la suite d’un processus de plus de deux ans, Nespresso est la première entreprise industrielle de taille à l’obtenir. Global Sustainability Integration and Engagement Manager, Lineke Roberts a dirigé cet important chantier et témoigne des enseignements qu’elle en a tirés.

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Pourquoi Nespresso s’est-elle lancée dans l’aventure B Corp?
Nespresso fait énormément en matière de durabilité depuis sa création, en 1986, mais il n’est pas facile d’en parler sans être immédiatement soupçonné de greenwashing. De plus, ce sont des sujets complexes. Il faut donc trouver un juste équilibre qui vous permet de tenir la route vis-à-vis des experts et d’être compris des gens de la rue. Nous avons pensé que B Corp, qui est une certification externe et très rigoureuse, pouvait nous aider à mieux expliquer ce que nous faisons.

Qu’est-ce qui distingue B Corp des autres certifications?
Elle ne s’applique pas seulement à des produits pris séparément, comme c’est le cas des labels Fairtrade, par exemple, mais elle porte sur l’ensemble de l’entreprise et de son organisation.

Pourquoi est-elle si rigoureuse?
Il faut d’abord obtenir un minimum de 80 points en remplissant des critères sévères en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Mais ce n’est pas tout. Vous devez aussi changer vos statuts. Cette démarche oblige l’entreprise à ne pas exister pour la seule poursuite du profit, mais à chercher aussi un impact positif sur les personnes et la planète.

Une démarche qui vous engage vis-à-vis de la loi?
Absolument. Et je peux vous dire que ce n’est pas aisé de faire ce pas. En particulier pour de grandes entreprises actives globalement et qui compte de nombreuses filiales. Il ne suffit pas de consacrer beaucoup d’argent à ce processus pour que vous puissiez automatiquement associer le logo B Corp à vos produits. Vous devez faire les choses sérieusement, dans l’ordre et en suivant les règles.

Avec ses capsules en aluminium, Nespresso n’apparaît pas d’emblée comme exemplaire en matière environnementale. Et la voir atteindre les objectifs de B Corp a quelque chose de contre-intuitif…
On nous a souvent posé cette question, y compris au sein de la communauté B Lab. Elle est importante. Rappelons d’abord que Nespresso a beaucoup investi dans le recyclage des capsules. En Suisse, ce système a plus de 30 ans. Sans cet effort initial, nous n’aurions simplement pas été éligibles pour commencer à aborder une certification B Corp. Ensuite, le conditionnement de nos produits, notamment l’utilisation de l’aluminium, ne compte que pour 13% de notre empreinte carbone. Ce qui reste modeste en comparaison de tout ce qui touche à l’approvisionnement en café vert et à la préparation du café proprement dite. Au final, nous utilisons une quantité optimale de ressources pour produire la meilleure tasse de café possible. On peut parler de consommation de précision, même s’il y a encore une marge pour de nouvelles innovations, des innovations qui prennent vie en Suisse.

«Depuis trente ans , Nespresso a beaucoup investi dans le recyclage des capsules. Le conditionnement de nos produits, notamment l'utilisation de l'aluminum ne compte que pour 13% de notre emprunte carbone.»

Qui a pris la décision de s’engager dans le processus B Corp? Et quand?
La direction de Nespresso en a parlé pour la première fois en 2016. La première étape du processus, ce qu’on appelle le pré-screening, a été réalisée en 2019 avec le soutien du management ainsi que celui de notre Sustainability Advisory Board. Il s’agissait alors de déterminer si nous étions éligibles pour la certification et si nous pouvions aller de l’avant. Une fois le feu vert obtenu de B Lab, il a fallu en parler à la direction générale de Nestlé.

Et quelle fut sa réaction?
Constructive. Le top management voyait les vertus de cette démarche et il ne voulait en aucun cas nous freiner, mais il ne souhaitait pas non plus qu’on en tire des conclusions pour l’ensemble du groupe.

Nestlé va-t-il emboîter le pas à Nespresso?
Nestlé a une stratégie très forte en matière de durabilité, mais la démarche B Corp n’est pas forcément applicable pour l’ensemble des secteurs d’activité du groupe. 

Justement, Nespresso fait partie du groupe Nestlé…
Selon les critères de B Corp, Nespresso a le parfait contrôle de sa production, de son administration, de sa comptabilité, bref de l’ensemble de ses opérations. Et cela sur le plan global. Cette autonomie organisationnelle nous autorise à être certifiés sans que l’entier du groupe doive suivre.

Qu’implique une certification globale?
Pour lancer le mouvement, en 2020, nous avons mis en place un mode de gouvernance interne nous permettant d’obtenir les éléments nécessaires de la part de nos filiales actives dans quelque 40 pays différents. Comme responsable du projet au siège, j’ai ainsi dû trouver pour chaque marché un répondant qui assure ce travail de collecte de données. Nous avons commencé le processus à proprement parler au premier semestre 2021 en répondant aux 350 questions posées par B Corp pour chaque marché. Au second semestre, il a fallu vérifier et valider toutes les informations recueillies. Ce qui nous a permis d’obtenir la certification au début de cette année. Vous voyez, c’est un long processus.

Quel rôle votre directeur général a-t-il joué dans ce «voyage» B Corp, comme vous aimez l’appeler?
Il est essentiel. Le lancement du processus a d’ailleurs coïncidé avec l’arrivée, en 2020, de notre nouveau CEO, Guillaume Le Cunff, qui était jusque-là responsable du marché américain. Pour lui, les valeurs de Nespresso sont en parfaite adéquation avec celles de B Corp. Un préalable incontournable vu la masse de travail requise et la nécessité, par moments, de nager à contre-courant.

Et celui de George Clooney, votre ambassadeur?
Je n’ai pas eu l’occasion d’en parler directement avec lui, mais je sais qu’il a suivi nos efforts et qu’il est fier d’y être associé.

Quel était le point de départ de Nespresso en matière de durabilité? Vous n’êtes pas partis de zéro…
Il aurait été impossible d’atteindre les 80 points fatidiques si nous n’avions pas un héritage solide. Nous avons déjà parlé du système de recyclage que nous avons imaginé en Suisse en 1991. Ce qui nous distingue, c’est aussi la maîtrise de notre chaîne de valeur, de bout en bout. Ce qui nous permet d’avoir une influence sur chaque étape de la production. Pour les plantations, nous encourageons systématiquement le remplacement des pesticides par des solutions naturelles. Nous faisons d’énormes efforts de formation en matière de gestion des sols et d’agriculture régénérative. A travers notre programme Reviving Origins, nous avons contribué à réintroduire la culture du café dans des régions touchées par différentes catastrophes, comme en Ouganda, en République démocratique du Congo (RDC)… Et au Zimbabwe, qui produit un café fantastique – comme je viens du pays voisin, je suis un peu partiale. Et grâce à notre Programme pour une Qualité Durable, cocréé en 2003 déjà avec l’ONG Rainforest Alliance, nous travaillons directement avec plus de 120 000 caféiculteurs dans 15 pays et plus de 400 agronomes spécialisés. Objectif: garantir la culture d’un café de haute qualité tout en assurant la protection de l’environnement et l’amélioration du bien-être des paysans.

Qu’avez-vous appris lors des différentes étapes du processus B Corp?
Le premier défi, ça a été d’obtenir toutes les informations requises et de répondre à des questions que nous ne nous étions parfois jamais posées en tant qu’organisation. Très éclairant. On nous a demandé, par exemple, le nombre d’employés locaux dans les communautés où Nespresso est présente. Nous n’avions pas forcément ce type d’information et, si oui, était-ce légal de l’utiliser? Question intéressante. Dans d’autres cas, il fallait d’abord comprendre la portée de la question posée et se mettre d’accord sur une définition valable globalement. Prenez les déchets dangereux. Ils peuvent être l’objet de normes qui diffèrent selon les pays. La question peut donc paraître simple de prime abord. Elle s’avère souvent plus complexe que prévu.

Et ensuite?
Il ne suffit pas de promouvoir telle ou telle politique sur le plan global. Encore faut-il qu’elle soit appliquée sur la durée et sur l’ensemble des marchés. L’équipe de B Lab doit ensuite pouvoir procéder à des vérifications auprès du management local avec qui nous la mettons en contact.

Vous dites sur la durée…
La règle veut que la certification B Corp doit être validée à nouveau tous les trois ans.

A titre personnel, comment avez-vous vécu ce processus?
Un jour après l’autre… J’ai une formation juridique et informatique. Je ne maîtrise donc pas tous les domaines concernés par cette certification. Voilà pourquoi il était essentiel de pouvoir s’appuyer sur une équipe qui maîtrise tout ce qui touche aux chaînes d’approvisionnement, aux enjeux environnementaux et climatiques, aux questions de genre et d’inclusion… Outre les quatre, cinq personnes qui ont travaillé spécifiquement sur B Corp, nous avons aussi pu recourir aux compétences du département durabilité qui, en tout, compte une vingtaine de membres. Le plus important, ce n’est pas tant d’atteindre les 80 points nécessaires pour obtenir le label.

Le processus B Corp vous offre un outil qui vous permet d’insuffler la durabilité dans tous les secteurs de l’entreprise. Ce qui n’est pas évident. Quand vous êtes dans les finances ou les ressources humaines, par exemple, vous avez beau être conscient des enjeux de durabilité, vous ne savez pas forcément comment contribuer concrètement à faire avancer la cause. Le cadre B Corp rend les choses plus tangibles et lance un mouvement. Une fois encore, la certification n’a pas comme objectif principal de confirmer une politique déjà mise en œuvre, elle est un prélude à une cascade d’améliorations encore à venir. En matière de durabilité, Nespresso continuera à mettre tout en œuvre pour préserver l’environnement pour les générations futures. Nous voulons rester pionniers en matière de durabilité.

Quels sont au final les bénéfices d’une telle certification?
L’impact marketing vers l’extérieur est forcément positif, mais il est difficilement quantifiable, il faut bien le dire. Ce qui est frappant, en revanche, c’est son efficacité pour engager et motiver nos collaborateurs.

Les critères B Corp sont donc aussi un puissant levier pour le département des ressources humaines…
Absolument. L’enthousiasme rencontré pendant la durée de ce projet n’a pas cessé de m’émerveiller. Et cela, même quand j’arrivais avec des demandes entraînant un surcroît de travail pour les personnes concernées. Je vais vous faire une confidence: à titre personnel, je me vois mal travailler un jour pour une entreprise qui ne soit pas B Corp.

Vu les ressources engagées, ce label n’est-il pas réservé aux grandes entreprises?
De fait, la majorité des entreprises B Corp sont des PME. Il est sans doute plus simple pour une société de 50 personnes de franchir les étapes de la certification que pour une entreprise de quelque 14 000 collaborateurs comme Nespresso. Le plus souvent, il suffit de vous adresser à votre voisin de bureau pour trouver l’information nécessaire alors que, quand vous opérez sur tous les continents, c’est plus compliqué. Sans oublier la maniabilité des PME: quand vous devez faire un tourner sur route, il est plus facile d’être au volant d’une Fiat 500 que d’un 30 tonnes.

Bio express

1984 Naissance à Bloemfontein, en Afrique du Sud. Père pasteur, mère infirmière, elle passe son enfance dans la région semi-désertique du Klein Karoo.

2003 Début de carrière en Angleterre et études de droit à la Northumbria University. Engagement onze ans plus tard chez Nespresso pour la mise en conformité du groupe avec la législation européenne sur la protection des données privées (GDPR).

2019 Rejoint le département Durabilité de Nespresso où elle va piloter comme Global Sustainability Integration and Engagement Manager, le projet B Corp jusqu’à la certification, début 2022

Challenge

En collaboration avec B Lab Switzerland, Nespresso lancera mi-mai le Startcup Challenge visant à distinguer des start-up, des PME et des projets d’étudiants exemplaires en matière de durabilité.

Guillaume Le Cunff, CEO de Nespresso.

B Corp

Le label B-Corp, pour «Benefit Corporation», apparaît aux Etats-Unis en 2006. Quelque 4600 sociétés ont été certifiées depuis dans le monde entier. En Suisse, c’est l’organisation B Lab Switzerland, basée à Genève, qui délivre le fameux label.

Weisses Viereck
Alain Jeannet