J’aime beaucoup le sport. En tennis ou en course à pied, on est jeune senior à 30 ans et senior à 35. Ces limites d’âge ont du sens, car en sport, la forme physique joue un rôle majeur. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, c’est pareil au boulot. A 45 ans, on est senior, avec un vent dans le dos qui nous pousse vers la sortie. Et à partir de 55, c’est souvent un pied au cul – pardon pour la vulgarité. Mais voilà, le boulot n’est pas le sport. On ne commence pas à 14 ans (en principe, mais il faut rester vigilant, ça pourrait revenir) et on peut être parfaitement performant après 60; le cerveau se ramollit certes, mais moins vite que les muscles.

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Avec les projets de réforme des retraites un peu partout, le chômage des plus de 50 ans est (re)devenu un thème de débat. OK, on repousse l’âge de la retraite, mais on fait quoi avec les armées de quinquagénaires et de sexagénaires qui n’ont plus de travail et qui n’en retrouvent pas? Je viens de lire un papier sur le fait que depuis quelques mois, parce que le chômage est bas, les entreprises hésitent encore moins à licencier les 50+ (oui, c’est comme ça qu’on appelle les «vieux» maintenant, on rajoute un «plus»; c’est comme dans la mode, pour éviter de dire «gros», on dit «plus size»).

En France, on raccourcit la durée des indemnités chômage, y compris pour les plus de 55 ans. Parce qu’on se dit: bon, ils trouveront bien un autre taf. Ah ouais? Celui qui était dans l’immobilier va faire aide-soignant? Celui qui n’est pas un digital native (ce qui est désormais un péché capital) va devenir informaticien? Celui qui a une hanche en titane va passer ses journées debout comme serveur dans un bar? Pour vous dire si le mal est profond, certaines entreprises préfèrent carrément payer leurs seniors à rester chez eux plutôt que de devoir se coltiner leur reconversion, leur formation, les conflits de générations et une image ringarde. C’est dingue.

C’est surtout très con. Pour deux raisons. D’abord, ça va arriver à tout le monde. Et, un jour, les personnes qui pratiquent la discrimination liée à l’âge en seront à leur tour victimes. Quand on traite un collègue de vieille garde, quand on soupire et qu’on lève les yeux au ciel parce qu’il ose poser une question ou qu’il a besoin d’un peu de temps pour comprendre un logiciel, qu’on espère qu’il se jette sur la première proposition de plan social, il faut se dire que quelque part, on a un père, une mère, un oncle, un mentor, quelqu’un qui nous est cher, qui a financé nos études, qui nous a permis d’être là aujourd’hui et qui subit la même chose de la part d’autres personnes.

Or une boîte, c’est comme la vie, ça doit être mixte. En plus, un senior, c’est cool, c’est libre, ça a de l’expérience. C’est marrant, on en demande aux jeunes, on la reproche aux vieux. Moi, je dis par exemple à ceux qui veulent remplacer une femme de 50 par deux de 25: vous avez tort, vive la travailleuse ménopausée! Plus de mauvais jours dans le mois, plus de risques de grossesse, plus d’enfants à chercher avant 18 heures! Des femmes compétentes, expérimentées, disponibles, qui ont géré la PME familiale pendant vingt ans en même temps que leur job, mais que peut-on vouloir de plus efficace?

De toute façon, je vais vous dire: ça va se retourner, tout ça. C’est mathématique. Ma sœur est prof de maths et chercheuse aux Etats-Unis, moi je suis plutôt la débile de la famille pour ce qui est des sciences. Mais enfin, pas besoin d’avoir obtenu la médaille Fields pour poser cette équation: les boomers et la génération X vont quitter le monde du travail, il y aura un tas de personnes âgées à la retraite et qui vont vivre très longtemps, et pas assez d’actifs pour financer tout cela, avec en plus des jeunes dont une proportion non négligeable ne voudra pas faire d’enfants. Résultat: trop de vieux, peu de jeunes = pas assez de monde pour faire tourner la boutique. On sera obligé d’aller rechercher les seniors pour aider, c’est déjà le cas dans certaines situations de crise, d’ailleurs.

Ce jour-là, on rigolera des offres d’emploi: au lieu du sempiternel «âge recherché: entre 25 et 40 ans», on trouvera peut-être «âge recherché: 25 + 40 ans»! Et pour négocier le salaire, hé hé, on se servira du mot par lequel on aime nous désigner: «Plus!» 

Carré blanc
Martina Chyba