Le rire est libérateur. Il réduit le stress et crée des liens entre les gens. Au travail, l'humour détend l'atmosphère, même lorsque la cliente se plaint, que le fournisseur se perd ou qu'une faute de frappe s'est glissée dans un email formel.

Les dirigeants peuvent également en tirer profit. Avec une pincée d'humour, ils peuvent soulager leurs employés de leurs soucis et désamorcer une situation tendue. Mais cette touche d'humour peut aussi rapidement mal tourner: l'humour au bureau est un exercice d'équilibre. C'est pourquoi de nombreux cadres supérieurs gardent un aspect sérieux.

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Nos ancêtres étaient déjà extrêmement sceptiques à l'égard du rire. «Avant le 18e siècle, le rire était considéré comme une caractéristique du diable», explique Rainer Stollmann, spécialiste allemand des sciences culturelles et du rire. Il n'est donc pas étonnant que l'on ne trouve pas de portraits de rois, d'impératrices ou d'évêques qui rient.

Le chemin vers le sommet est dépourvu d'humour

«Le pouvoir devait s’insuffler par le haut, poursuit-il. C'est encore le cas aujourd'hui dans la structure du pouvoir économique.» De fait, de nos jours, les dirigeants rient plutôt rarement sur les photos. Mais pourquoi ont-ils tant de mal à montrer une facette plus humoristique d'eux-mêmes?

Rainer Stollmann suppose que les personnes occupant une fonction de cadre supérieur n'ont pas vécu des expériences particulièrement drôles pour arriver au sommet: «Celui qui suit une telle carrière ne devient pas une personne décontractée. Cela oriente dans une autre direction.» Il est donc plus difficile pour les personnes ayant de fortes prédispositions comiques de faire carrière dans un grand groupe. Conséquence: elles se déshabituent de leur côté humoristique ou le réduisent à leur vie privée.

C'est dommage, car c'est justement au niveau de la direction que l'humour pourrait déployer ses effets positifs. Selon des études américaines, l'humour réduit le stress. Il renforce la motivation personnelle et le bien-être des équipes. Ceux qui rient ensemble de jeux de mots ou de comparaisons amusantes sont plus satisfaits. Par conséquent, un dirigeant qui a de l'humour dispose d’une force qu'il peut mettre au service de son équipe: «L'humour est une forme de confiance en soi. Lorsque j'attire l'attention d'autres personnes sur le caractère comique d'une chose ou d'une situation particulière, je leur procure un gain de plaisir, et les gens m'en sont reconnaissants», explique Rainer Stollmann.

«Seul le bouffon avait le droit de faire des bêtises»

Mais l'usage de l'humour au travail doit être mûrement réfléchi. Ceux qui souhaitent s’y perfectionner trouveront de nombreux formateurs et experts. L'une d'entre elles est Eva Ullmann. Elle a fondé l'Institut allemand de l'humour à Leipzig et apprend aux professionnels et aux cadres à mieux l'utiliser.

«Pendant longtemps, l'humour n'était pas considéré comme sérieux dans le management. Seul le bouffon avait le droit de faire des bêtises, pas l'empereur», explique-t-elle. Mais aujourd'hui, la différence entre le bouffon et l'empereur n’est plus aussi claire. Dans les situations graves, l'humour contribue à désamorcer la situation. C’est un signe de force. «L'humour dans le leadership a une chance lorsque l’on est prêt à rester détendu, même si l'autre ne sourit pas.»

Willibald Ruch, spécialiste du rire, abonde dans le même sens: «Celui qui fait preuve d'humour garde la situation en main. On ne fait preuve d'humour que lorsqu'on se sent en sécurité, qu'on veut dégager quelque chose de positif et qu'on prend soin des siens.»

Il travaille comme professeur émérite de psychologie de la personnalité à l'université de Zurich et a fait de nombreuses recherches sur le thème du rire. Il fait remarquer que l'humour va de pair avec de nombreuses qualités: «Si je suis spontanément drôle et que je peux produire des effets de langage amusants, c'est un signe d'intelligence verbale et de créativité.» L'humour aide à montrer quel genre de personne on est et quelles sont ses ressources.

Sursauter ou mettre mal à l'aise

Faire rire les autres demande toutefois du doigté. Le rapport à l'humour indique la capacité d'une personne à s'adapter à la société et aux autres. Chacun connaît un chef qui raconte des blagues moyennement drôles, mais qui font rire un personnel soumis. De même, tout le monde ne présente pas le même sens de l'humour: «Les personnes qui n'ont pas le sens des relations humaines trouvent drôles des choses qui font sursauter les autres ou les mettent mal à l'aise», explique Willibald Ruch.

«Il doit s'agir d'un rire partagé. Aucune personne présente, et idéalement aucune personne absente, ne doit être ridiculisée», fait-il remarquer. La formatrice en humour Eva Ullmann fait la différence entre humour agressif et social: «Les pièges sont l'humour agressif et la honte. Pour les cadres, l'humour social est particulièrement adapté dans les périodes de défi.»

Il peut s’agir de réinterprétations affectueuses ou de surprises. Les changements de perspective dans la vie quotidienne ou les images comiques font également partie de l'humour social. Seulement, il est difficile pour beaucoup d'être drôle en appuyant sur un bouton. Les bonnes réponses ou les déclarations drôles ne nous viennent à l'esprit qu'après coup. Mais l'humour peut s'apprendre.

Selon Eva Ullmann, les cadres peuvent s'initier à l'humour et préparer à l'avance des anecdotes amusantes pour égayer une présentation. Rainer Stollmann conseille aux managers d'essayer de nouvelles choses de temps en temps. Parfois, il vaut la peine d'être spontané dans un tour de table et de placer une remarque qui nous vient à l’esprit. «Si je dis ce qui me passe par la tête, ce qui est un peu impertinent et qui me ferait rire moi-même, cela détend la situation.»

L'humour en temps de crise

Mais y a-t-il encore de quoi rire en temps de crise, d'incertitude et de situation géopolitique difficile? Selon Eva Ullmann, c'est précisément à ce moment-là que l'humour peut avoir un impact important. L'humour est une soupape pour les personnes en situation de crise, «pour ne pas devenir fou».

Rainer Stollmann évoque également le lien entre les catastrophes et l'humour: «La grande littérature est souvent née en réaction à de grandes crises». Le livre Till Eulenspiegel en fait partie: ce best-seller du 16e siècle, centré sur le farceur Eulenspiegel, a été écrit en réaction à la guerre des paysans.

Toutefois, ce traitement aurait eu lieu avec un certain décalage dans le temps. «Il serait bien mieux que les gens utilisent l'humour avant, afin d'éviter que les crises et les guerres ne surviennent.» Si l'on se penche sur l'actualité, on trouve de nombreuses caricatures en réaction aux crises actuelles: la crise bancaire, la guerre en Ukraine ou la crise énergétique.

Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung

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