«Je suis né en Suisse, de parents italiens, et tous les étés, pendant les vacances, nous descendions dans la région de Valdobbiadene, où la famille de ma mère possède des vignobles de prosecco depuis quatre générations. Enfant, je participais aux vendanges et j’adorais ça.

Peu enclin aux études, j’ai commencé, à 14 ans, un apprentissage d’employé de commerce. Trois ans plus tard, la société informatique à Rolle pour laquelle je travaillais a fait faillite. J’avais un peu d’argent de côté, hérité de mon grand-père, et nous avons repris l’affaire avec deux collègues, en réorientant les activités pour ne conserver que la maintenance technique. La société N2O Informatique existe toujours, je continue à travailler avec eux, mais, à 21 ans, j’aspirais à autre chose. Et alors que, plus jeune, j’abhorrais les études, voilà que j’entame un diplôme fédéral au SAWI, suivi d’une année préparatoire pour HEC Lausanne, puis la HEIG à Yverdon. On peut dire que j’ai pris cher! J’avais tellement de lacunes, j’ai dû bosser d’arrache-pied, en particulier les maths.

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Par la suite, j’ai rejoint l’horlogerie, la manufacture Speake--Marin, puis la société Pac Team, basée aujourd’hui à Cugy (VD), spécialisée dans le packaging pour les marques de luxe, pour laquelle j’ai voyagé à travers toute la Chine, un pays qui me faisait rêver. Jusqu’à ce jour, en 2017, où ma mère m’a appelé pour me dire qu’elle voulait vendre les vignes qui lui appartenaient.

Fils unique et très proche de mes parents, je lui ai dit que c’était exclu et que ces terres devaient rester dans la famille. «Tu n’es pas vigneron», me dit-elle. Peu importe, je n’ai jamais eu peur d’affronter les difficultés. C’est donc en parallèle à mon poste de directeur des opérations que j’ai commencé à étudier le marché du prosecco, tout en me formant au Wine & Spirit Education Trust.

Le prosecco est mal connu. Peu de gens savent que ce vin effervescent est élaboré à partir d’un seul cépage, le glera, qui est cultivé dans les collines escarpées de Conegliano Valdobbiadene, en Vénétie. Cette dernière décennie, sa production annuelle a explosé, passant de 140 millions à près de 1 milliard de bouteilles, en raison du succès phénoménal de l’Aperol Spritz. A mon sens, il fallait redorer le blason du prosecco, dont la qualité s’était diluée avec l’intensification de sa production. Outre le travail avec un œnologue et un sommelier, nous avons planché sur le marketing. Personne ne retient le nom des proseccos, contrairement aux marques de champagne. D’où l’idée de nommer mon prosecco Jaya, qui signifie «victoire» en sanscrit, un nom simple à retenir et à prononcer dans toutes les langues.

En 2020, de retour en Suisse, je me suis complètement lancé dans ma nouvelle société… en plein covid. L’avantage de cette période, c’est que les gens dans la restauration avaient le temps de me rencontrer. J’ai pris mon bâton de pèlerin pour les démarcher, en leur faisant goûter mes proseccos. Et ça a marché! Aujourd’hui, je compte parmi mes clients les hôtels de la Fondation Sandoz, du groupe Accor et des chefs étoilés comme Philippe Chevrier. L’an dernier, nous avons vendu 40 000 bouteilles, dont les prix varient de 12 fr. 50 à 17 fr. 90. Le domaine familial peut produire 300 000 bouteilles par an, voire 1 million en ce qui concerne la capacité productive de la cave, en louant les vignobles aux alentours du domaine.

Ma société emploie actuellement quatre personnes en Suisse, nous sommes à la recherche d’un commercial pour la région genevoise et la Suisse alémanique. Nous avons créé notre propre société à Shenzhen, en Chine, et sommes sur le point d’ouvrir un bureau à Singapour. Je suis convaincu du potentiel de nos proseccos, en particulier en Asie. Nous voulons croître avec nos propres canaux de distribution, ce qui nous permet de contrôler aussi bien la qualité que les marges et je n’exclus pas, pour ce faire, de retourner vivre quelque temps en Chine. Jaya, ce sera l’aventure entrepreneuriale d’une vie, que je fais pour la famille et pour mon fils Oscar, âgé aujourd’hui de 3 ans.»

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Elisabeth Kim