«J’ai toujours constaté une certaine réticence des milieux médicaux à s’approprier les outils numériques. Je ne leur en tiens pas rigueur, évidemment; j’ai conscience qu’encore aujourd’hui leur parcours de formation ne leur permet pas de se familiariser avec les processus de gestion numériques. J’ai souhaité apporter mes compétences pour remédier à ces lacunes.

A l’université, je n’étais pas spécialement passionné par le code et l’algorithmique. Je me suis néanmoins rapidement découvert un vif intérêt pour la gestion de produit, autrement dit pour identifier les difficultés d’utilisation et développer des solutions en lien avec les équipes informatiques.

également interessant
 
 
 
 
 
 

Après cinq ans d’études en systèmes de communication à l’EPFL, je suis parti pour Atlanta, aux Etats-Unis, où je suis resté un an chez SITA, une entreprise qui fournit des services informatiques à l’industrie aéronautique. De retour en Suisse, j’ai travaillé trois ans pour Open Web Technology, spécialisée dans le conseil en stratégie digitale. J’avais alors seulement 23 ans et l’opportunité de m’asseoir à la table de directeurs généraux de grandes multinationales: une très bonne école pour apprendre à convaincre! Dans cette entreprise, j’ai croisé le chemin d’Alexandre Curreli, avec qui j’ai fondé OneDoc quelques années plus tard. Nous nourrissions tous les deux l’ambition de monter une start-up, mais rien ne nous prédestinait au domaine médical. Nous avions toutefois déjà constaté que le secteur, pourtant d’importance vitale pour la population, souffrait d’une réelle sous-numérisation.

En 2017, après une étude de marché, nous nous sommes lancés dans l’entrepreneuriat, dans un premier temps de manière autofinancée. Objectif: simplifier le parcours des patients en Suisse. J’ai alors 27 ans, et nous développons OneDoc, un outil numérique (site internet et application mobile) orienté utilisateur, qui se synchronise automatiquement avec plus de 40 logiciels de cabinets en Suisse. La formule – gratuite pour les patients et payante pour les cabinets médicaux à hauteur d’une centaine de francs par mois – permet de fixer et de gérer les rendez-vous, mais aussi de transférer les dossiers de patients.

Notre solution facilite donc l’interaction entre les patients et les soignants mais également le transfert d’informations entre les professionnels de la santé, par exemple d’un médecin généraliste à un spécialiste – des processus encore trop souvent exécutés par fax ou par courrier postal. La plateforme est chiffrée de bout en bout et toutes les données sont hébergées en Suisse.

La crise du covid a poussé les milieux médicaux à prendre conscience de leurs lacunes en matière de numérisation. A partir de 2021, de nombreux professionnels de la santé nous ont ainsi accordé leur confiance. Ils ont été suivis par de plus larges établissements, des pharmacies, et même des hôpitaux, comme les Hôpitaux universitaires de Genève ou l’Hôpital cantonal fribourgeois. Aujourd’hui, nous comptons environ 7000 clients professionnels de la santé et plus de 18 millions de rendez-vous ont été fixés via OneDoc. L’entreprise génère assez de revenus pour s’offrir une croissance organique et emploie désormais 50 collaborateurs répartis dans quatre bureaux situés à Genève, Lausanne, Zurich et Lugano.

Notre formule est adaptée au marché suisse, et nous y sommes attachés. Nous n’avons pas vocation à nous étendre à l’étranger, mais cela ne signifie pas que notre développement a atteint son zénith. Le pays compte encore des dizaines de milliers d’acteurs de la santé qui restent à convaincre.

Désormais, nous ne nous concentrons plus seulement sur le développement commercial mais aussi sur celui de notre technologie. Prochaine étape: l’intelligence artificielle. L’IA renferme un énorme potentiel pour conseiller les patients qui ne savent pas s’ils doivent se tourner vers un médecin généraliste, une pharmacie ou un spécialiste. Toutefois, qu’on ne s’y méprenne pas, ces nouveaux outils constituent un service d’orientation mais ne remplacent pas les médecins, puisqu’ils ne fournissent pas de diagnostics ou de conseils de soins.»

Carré blanc
Julien Crevoisier