Bonjour,
Le travail, c’est comme l’amour: très compliqué. Chaque mois, la journaliste Martina Chyba décrypte à sa manière pertinente et impertinente les splendeurs et misères de la vie professionnelle.

Martina Chyba
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Certes, nous sommes des nains de jardin à côté de nos amis français, mais oui, la culture de l’apéro existe dans le monde professionnel suisse. Même si depuis les années 1990, que j’ai bien connues, on boit nettement moins dans le cadre professionnel.
Notre ancienne cafétéria avait une vieille moquette sale (on adorait), souvent de la bouffe assez vieille aussi (on adorait moins). Et surtout, j’ai connu le temps où on y vendait encore des alcools forts! Ce qui permettait (je peux le dire, il y a prescription) à certains collègues d’attaquer le matin au jus d’orange, mais avec une forte odeur de vodka planquée dedans. Sur les tournages parfois, et spécialement dans certains cantons (suivez mon regard), on arrivait chez les gens à 10 heures du matin et après l’interview on nous offrait la Williamine! Lorsque nous disions «Euh non, ça ne va pas être possible, nous avons encore une journée de travail», nos hôtes étaient très déçus et nous étions parfois obligés de faire semblant, j’en ai versé des décis d’alcool dans les plantes! Pendant les repas de midi, ça ne faisait pas semblant non plus avec les «Tu nous remets trois décis?». Certains poussaient le tout avec une petite grappa et en voiture Simone (ce qui n’était pas prudent). Quand je me remémore tout ça, même si je ne buvais pas moi-même, je me dis: «Ah ouais quand même, autre temps.» Il faut dire qu’on fumait aussi dans tous les locaux, y compris en présence des femmes enceintes, donc oui, autre temps.
Ce rapport à l’alcool au boulot n’a heureusement pas survécu. Petit à petit, dans les rayons du self, le kombucha-gingembre a remplacé le vin, et les repas de midi se sont transformés en sushis-Coca zéro pris sur le clavier de l’ordinateur. Je caricature, mais c’est la tendance. Mais la tradition de l’apéro de bureau, elle, a subsisté. Y a un anniv au 4e? Un départ au 13e? Une naissance? Un projet qui a cartonné? C’est bientôt Noël/le printemps/les vacances? Allez hop, un apéro improvisé sur un coin de table. On file à la Coop chercher quelques bouteilles de prosecco, des cochonneries à grignoter ainsi que les incontournables légumes coupés + dips comme alibi santé, des gobelets en carton, on fait santé et on décompresse. Trinquer de temps en temps pour oublier qu’on trinque toute l’année.
Je me souviens d’une fois où on fêtait un anniversaire sur notre canapé jaune au 4e étage de l’actualité, vers 19 heures. Et tout à coup, alors qu’on lève un verre de rouge au-dessus de la viande séchée-fromage, je dis: «Oh, il y a Depardieu.» Tout le monde rigole, ouais ouais c’est ça, et pourtant on n’a encore rien bu, etc. Mais c’était vraiment lui! Qui était invité au journal du soir. Bon, on s’est détendus parce que ce n’était pas lui qui allait s’offusquer de voir des gens boire un verre de vin au taf.
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J’ai toujours adoré les lendemains dans les bureaux, quand on voit des chips écrasées qui traînent et des cadavres de bouteilles. On pense: ah, il y a eu un moment sympa, pas juste boulot boulot. L’apéro, dans le cadre de l’entreprise ou au bistrot du coin, remplit une fonction sociale importante. Car la détente commune et le lâcher-prise après le travail «créent des liens personnels et construisent la confiance», ai-je lu sur un site spécialisé dans les RH.
Alors plein d’entreprises ont désormais des règlements: pas d’apéro improvisé, pas d’alcool dans les étages, pas sur les notes de frais (haha), pas sur les heures de travail (re-haha), pas si d’autres collègues doivent bosser à côté, pas s’il n’y a pas aussi des boissons sans alcool, voire pas du tout si vraiment ça ne rigole pas. Evidemment, il ne s’agit pas de se mettre sur le toit (j’adore cette expression), ni d’organiser des beuveries qui peuvent dégénérer, mais juste de favoriser la convivialité et l’esprit d’équipe. Un thé/gâteau peut le faire aussi, mais allez savoir pourquoi, ça marche moins bien.
D’après le groupe de réflexion Avenir Suisse, qui s’est penché sur cette question hautement stratégique, il n’y a pratiquement pas d’événements ou de réunions professionnelles qui ne sont pas complétés par un apéro. Ce qui témoigne de l’importance de l’apéro en tant qu’institution sociale dans la vie professionnelle en Suisse. Alors assumons! Et vive les mini-apéros sauvages avec un (mini lui aussi) coup de blanc ou une binche bien de chez nous.
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Et on termine avec cette expression délicieuse qui convient parfaitement à une fin de journée un peu stressante: «Au boulot, moi, la pression, je la bois!»
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