Qu’est-ce qui distingue l’immeuble Rocket d’ouvrages comparables?

Contrairement aux autres gratte-ciel en bois réalisés ou projetés ailleurs dans le monde, le Rocket Building repose sur une structure entièrement en bois.

Le bois va-t-il remplacer le béton pour la construction des gratte-ciel?

En partie, mais jamais complètement. Pour les fondations, par exemple, on ne peut pas se passer de béton. Voilà pourquoi, de manière générale, il est essentiel que l’industrie de la construction s’associe à toutes les initiatives qui visent à une diminution, voire à une élimination des émissions de CO2 liées à la production et à l’utilisation de béton.

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L’industrie de la construction pèche en matière d’innovation. Vous partagez cet avis?

Absolument. Mais c’est en train de changer rapidement. Au niveau des méthodes de travail, des matériaux utilisés… Il faudra certes du temps pour que toutes ces solutions soient intégrées et deviennent opérationnelles, mais nous sommes à l’aube d’un grand bond en avant.

Quelles sont les innovations clés?

Désolée d’utiliser une fois encore le mot de digitalisation. Mais c’est une tendance de fond dans notre industrie, comme dans beaucoup d’autres, qui nous permet de maîtriser un projet, de la conception de l’ouvrage jusqu’à sa démolition, en passant par les phases de construction et d’exploitation. Le concept de BIM (Building Information Modeling) résume bien cette révolution. Des maquettes numériques nous permettent de représenter les caractéristiques physiques et fonctionnelles de l’ouvrage. On évite ainsi des gaspillages à la fois en termes de temps, d’énergie et de matériaux.

Y a-t-il d’autres vertus de la digitalisation?

Elle permet aussi une transparence et un meilleur partage des données dans un secteur qui souffre d’une grande fragmentation et d’un manque de coopération entre les différents acteurs de la chaîne de valeur. Plus de collaboration et une absence de tensions, voire de conflits entre les parties prenantes sont des conditions sine qua non d’une plus grande efficacité.

L’industrie de la construction est à la traîne en matière de circularité, disiez-vous au WEF, à Davos. Plus précisément?

Rappelons que l’industrie de la construction dans son ensemble représente sur le plan mondial 40% de la consommation d’énergie, 40% des émissions de gaz à effet de serre et 60% de la consommation de matériaux. Nous nous devons de revoir nos méthodes et d’aller vers plus de circularité, mais aussi de convaincre nos clients et les investisseurs de prendre en compte l’entier du cycle de vie d’un bâtiment ou d’une infrastructure lorsqu’ils font leurs calculs.

Des exemples?

A Genève, où nous construisons actuellement le Green Village, un nouveau quartier jouxtant les organisations internationales et dont le maître d’ouvrage est le World Council of Churches (WCC), nous avons fait un inventaire complet des éléments des anciens bâtiments avant leur démolition. L’idée, c’est que, dès leur conception, nous nous interrogions sur la manière dont des éléments comme les escaliers pourraient être réutilisés dans de nouveaux ouvrages. Ce projet particulier répond aux exigences du label SEED, que nous avons créé en collaboration avec l’Association suisse pour des quartiers durables et le WWF Suisse.

Les architectes jouent-ils le jeu?

Le changement de mentalité est en cours. Regardez bon nombre de bâtiments prestigieux déjà construits en Europe et partout dans le monde. Ils se distinguent volontiers par des formes audacieuses, spectaculaires, avec, par exemple, des doubles façades et une utilisation des matériaux qui, trop souvent, n’apportent aucune plusvalue fonctionnelle. On doit désormais tendre à la beauté architecturale en ne recourant qu’à un minimum de quantité de matériaux.

Vous allez aussi chercher l’innovation dans les start-up…

Nous avons des contacts avec 200 start-up, dont beaucoup se trouvent en Suisse. Nous collaborons avec plusieurs spin-off de l’EPFL, notamment MeduSoil. Cette société a développé, en mettant à contribution des microorganismes, un stabilisateur des sols beaucoup plus respectueux de l’environnement que le béton. Un ciment naturel, en quelque sorte.

Quels sont les modèles de collaboration avec ces start-up?

L’objectif, c’est que ces sociétés nous aident à relever les défis auxquels nous sommes confrontés, notamment à accélérer la digitalisation de nos processus et à accroître la valeur de nos prestations. De leur côté, elles profitent d’avoir Implenia comme partenaire ou client. Que ce soit sous forme de projets pilotes, de contrats de licence, de débouchés pour leurs services ou leurs produits.

Quelle est votre stratégie pour stimuler l’innovation à l’interne?

Nous avons lancé il y a trois ans et demi un programme qui mise sur l’intrapreneurship. Nous visons à aider nos collaborateurs, s’ils ont une bonne idée et quelle que soit leur position dans l’entreprise, à la développer. Dans un premier temps, nous les soutenons en leur donnant des outils comme le design thinking ou une aide sous forme de coaching, selon leurs besoins, de telle manière à leur permettre de prouver la validité de leur concept – ou au contraire d’y renoncer et de passer à autre chose si leur projet se révèle inopérant.

Et ensuite?

Si les premiers résultats sont encourageants, le pas suivant consiste à trouver un financement, quelque part dans l’entreprise ou éventuellement à l’extérieur, pour aller plus loin. Et, le cas échéant, à passer à l’étape finale de la mise en oeuvre et de la commercialisation. Un mécanisme comparable au lancement d’une start-up, mais au sein du groupe Implenia.

Vous êtes née au Danemark, où vous avez commencé votre carrière. Comment ce pays se compare-t-il à la Suisse?

Le Danemark est plus avancé que la Suisse en matière d’industrialisation de la construction et de préfabrication, ce qui permet de réduire les coûts. Le secteur de la construction s’est aussi digitalisé très tôt. On ne trouve plus guère d’ingénieurs et d’architectes qui ne soient pas totalement à l’aise avec le système BIM, par exemple.

Et en quoi la Suisse peut-elle servir de modèle?

La rapidité et l’efficience des processus sont cruciales. Mais il faut aussi que le bâti résiste au mieux aux attaques du temps. Qualité de la construction égale durabilité. En la matière, la Suisse est exemplaire.

En revanche, l’industrie de la construction en Suisse ne se distingue pas par le nombre de femmes à des postes à responsabilité. Qu’en est-il par rapport au Danemark?

Ne me lancez pas sur ce sujet, je suis intarissable. Comprenez-moi bien, je trouve la Suisse formidable. Mais j’ai baigné dans une autre culture et je ne comprends pas pourquoi, dans ce pays, un nombre si important de femmes choisissent de ne pas travailler. Ou seulement à temps très partiel. Vraiment, ça me dépasse. Et pour les entreprises, il est essentiel de pouvoir disposer d’équipes reposant sur un bon mélange de compétences, de genres, de mentalités… Une diversité essentielle à l’innovation, mais aussi à une meilleure anticipation des risques. La faible représentation des femmes est d’autant plus dommageable que nous manquons de maind’oeuvre qualifiée. Voilà pourquoi je me réjouis chaque fois que nous pouvons recruter une femme chez Implenia.

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