Depuis une génération, le Comparatif des finances publiques de l’Idheap (Institut de hautes études en administration publique) donne le ton et tient le rôle de baromètre pour mesurer les performances des grands argentiers. Sur le plan des cantons, c’est Fribourg qui caracole en tête. Au niveau des villes, la lutte au sommet est plus serrée: sept cités sont dans un mouchoir d’à peine trois dixièmes de point.

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En revanche, sur vingt ans (dix-huit pour les villes), les notes de moyenne générale – comme on dirait à l’école – sont très proches entre villes et cantons. Le constat infirme l’impression que les communes, plus proches de la population et sans possibilité de report sur une autre collectivité, seraient toujours plus sagaces et plus parcimonieuses que le «grand frère» cantonal.

Des écarts très serrés

Déroulé depuis 2001, le film de la performance des principales villes du pays met en lumière quelques faits très saillants. De 2001 à 2009, les grandes communes de Suisse orientale et centrale dament le pion à toutes leurs concurrentes. La moyenne de cette période place aux avant-postes Frauenfeld, Lucerne, Saint-Gall, Schaffhouse et Coire. Première romande, Sion pointe en 6e position, devant Fribourg (8e) et le tandem Genève (11e) et Bienne (12e).

L’image de la course change massivement au cours des années jusqu’à aujourd’hui. En tout cas pour les cités romandes: sur le parcours de 2010 à 2018, Coire et Lucerne restent au sommet. Mais Genève prend place sur le podium et Neuchâtel conclut une belle remontée au 5e rang, tandis que Sion (8e) et Fribourg (10e) rétrogradent quelque peu.

A la photo-finish de ce relais sur dix-huit ans, Coire (5,30 de moyenne globale) s’impose sur le fil devant Lucerne (5,26) et Schaffhouse (5,17). Frauenfeld (5,15) perd la médaille de bronze pour deux misérables centièmes. L’écart est encore plus ténu et même minimal pour la 5e place entre Köniz (5,04), Genève (5,03) et Sion (5,02). La 9e place de Saint-Gall (4,85) est trompeuse. Car la cité des brodeurs a connu une vraie dégringolade sur la seconde décennie du siècle. Sa moyenne chute en effet de 5,27 sur la première décennie du millénaire à 4,43 les neuf dernières années.

Dans le ventre mou du classement, Berne (12e, 4,61), Bienne (4,60) et Neuchâtel (4,59) sont départagées à la photo-finish. Ce qui explique que la «remontada» neuchâteloise ne soit pas plus payante en termes de rang final. Winterthour (ZH) et Emmen (LU) s’effondrent grosso modo comme Saint-Gall. Leur à-plat-ventrée leur fait perdre presque un point entier de moyenne sur à peine dix ans.

Des soucis latins

Parmi les compétiteurs «lâchés», Delémont (4,20) fait encore un peu illusion tandis que La Chaux-de-Fonds (4,06) frôle la note insuffisante. En revanche, Lausanne (3,96) végète en dessous de la moyenne. Seule consolation pour la capitale olympique, il y a pire encore puisque Lugano (3,68) se noie carrément. Significatif: parmi les collectivités de rang supérieur, aucune n’affiche de résultats aussi calamiteux. Pour mémoire, lanternes rouges des cantons, Neuchâtel (4,29) et Genève (4,18), mais aussi la Confédération (4,14) ont réussi à éviter la zone de l’insuffisance. A méditer du côté du lac Majeur et de la place de la Palud…

Il convient toutefois objectivement de signaler que, si l’on compare les deux moitiés des dix-huit années sous revue, Lausanne affiche une nette convalescence et va vers le mieux. Tout se passe comme si Florence Germond (PS) avait entamé une remontée à la Broulis, après les années d’essoufflement sous la houlette de Daniel Brélaz (Les Verts). A l’inverse, Lugano coule et s’enfonce toujours plus dans les profondeurs des mauvaises notes. On en viendrait presque à se demander si cette plongée n’est pas typiquement tessinoise puisque, certes à moindre gravité, le chef-lieu Bellinzone connaît également des ratés qui, à terme, finiront par inquiéter.

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Sion a perdu la suprématie romande à cause d’une prodigalité manifeste dans les investissements.
© J.Revillard/L'Illustré

Clairement, les finances de la ville de Genève sont bonnes. Des esprits chagrins pourraient objecter qu’au vu de ses rentrées financières et de sa capacité économique, la Cité de Calvin pourrait faire mieux encore. Certes, mais les fondamentaux – même pris sur une génération, avec les périlleuses années du début du siècle – sont très corrects. Genève couvre même presque trop bien ses charges (Indicateur 1), finance largement ses investissements (Indicateur 2), réduit sa dette (Indicateur 3) et ne consacre plus d’impôts au service de celle-ci.

Berlue sédunoise pour les prévisions

La ville est un peu moins performante lorsqu’il s’agit de maîtriser ses dépenses courantes (Indicateur 5) et de prévoir avec précision ses futures recettes fiscales (Indicateur 7). Elle tend à beaucoup investir (Indicateur 6) mais garde un taux d’endettement net raisonnable (Indicateur 9). En revanche, Genève affiche toujours un rapport dette brute/revenus courants manifestement trop élevé. Bien sûr, avec un ratio de 165%, la ville est «moins pire» que les 215% du canton. Mais c’est une maigre consolation qui n’aide guère dans la course aux bons résultats.

Battue d’une pointe d’orteil, Sion a perdu la suprématie romande à cause d’une trop grande largesse dans les engagements supplémentaires (Indicateur 3), d’une prodigalité manifeste dans les investissements (Indicateur 6) et d’une myopie avancée dans ses prévisions fiscales (Indicateur 7).

Evidemment, le bon sens terrien préfère toujours des budgets trop pessimistes, de manière à pouvoir présenter des comptes dans le vert le plus brillant. Mais tout de même, à presque 6% en moyenne sur une génération, ça patine un peu fort dans l’administration sédunoise des impôts. Dans le même peloton, Fribourg affiche un profil assez similaire. Principaux défauts: une fâcheuse tendance à régulièrement creuser le trou de la dette (Indicateur 3). Nul étonnement dès lors si la dette brute rapportée aux revenus courants (Indicateur 10) approche les 115%.

«Mano a mano» dans les Trois-Lacs

Au coude à coude dans une certaine médiocrité, Bienne et Neuchâtel affichent des forces et des faiblesses assez différentes. L’ancien chef-lieu prussien couvre bien ses charges (Indicateur 1), là où la métropole séelandaise facture presque trop d’impôts en regard de ses dépenses. Quand Neuchâtel réduit sa dette (Indicateur 3) et ses dépenses courantes (Indicateur 5), Bienne a plutôt tendance à les laisser filer. Au final, c’est l’importance de l’endettement net qui pénalise le futur Grand Neuchâtel par rapport à la cité emblématique du bilinguisme helvétique.

Dans les profondeurs du classement, Delémont est à la peine pour autofinancer ses investissements (Indicateur 2). Résultat, la dette se creuse (Indicateur 3), ses intérêts mangent toujours plus de rentrées fiscales (Indicateur 4), au point de faire exploser leur ratio par rapport à l’endettement net (Indicateur 9). Il faudrait en effet plus de deux ans d’impôts au chef-lieu jurassien pour effacer ses dettes. De son côté, La Chaux-de-Fonds vit toujours à crédit (Indicateur 1) et ne parvient pas suffisamment à financer ses investissements (Indicateur 2). Guère étonnant dès lors que les rapports entre la dette et les revenus fiscaux (Indicateur 9) ou les rentrées fiscales (Indicateur 10) soient très péjorés.

Quant à Lausanne, ses récents progrès ne parviennent pas à gommer les turpitudes du passé. La capitale olympique est championne dans presque toutes les disciplines: elle dépense plus qu’elle n’encaisse (Indicateur 1) et elle finance trop ses investissements via l’emprunt (Indicateur 2). Conséquence: elle rivalise avec les pires quand on mesure sa dette à ses revenus récurrents (Indicateur 10). Et elle est carrément au fond du trou en devant mobiliser quatre ans d’impôts pour éteindre sa dette (Indicateur 9).


Genève de nouveau deuxième

Le Comparatif des finances publiques fêtant ses 20 ans, le résultat de la «course» 2018 ne reçoit que la portion congrue. Pourtant, c’est seulement la performance tonitruante de Coire (5,72 de moyenne) qui empêche la Cité de Calvin (5,59) d’escalader la 1re place. Même si la cité sous la houlette de Sandrine Salerno s’est encore légèrement améliorée par rapport à l’exercice 2017. La capitale grisonne a de son côté un peu régressé. Mais pas suffisamment pour couronner la cité du bout du lac.

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Sadrine Salerno, 
© S. Di Nolfi/ Keystone

C’est un peu dommage car, dans un microcosme qui s’autonourrit de genevoiseries plus ou moins digestes, voire carrément imbuvables à l’image du scandale des notes de frais du Conseil administratif, Sandrine Salerno détonne un peu. D’abord parce que – montrant l’exemple comme responsable des finances – elle a fait preuve de modération dans l’usage des cartes de crédit, notes de frais ou trajets en taxi, là où ses collègues ne connaissaient guère la mesure. Ensuite parce que, nonobstant un ancrage marqué à gauche, elle a su gérer avec scrupule et bienveillance pour l’économie les finances publiques de la ville de Genève où son prédécesseur – le libéral Pierre Muller – avait connu beaucoup d’avanies face à la forte majorité rose-rouge-vert de l’exécutif municipal.

A souligner aussi le brillant résultat de Neuchâtel, où la ville tranche par rapport au canton. Travaillant dans l’ombre, le discret Fabio Bongiovanni (PLR) a accéléré l’ouvrage entamé par le plus virevoltant Alain Ribaux (PLR), passé au Conseil d’Etat. Il a redressé les finances calamiteuses laissées par Françoise Jeanneret (PS). Pour le futur Grand Neuchâtel, il faut sans doute regretter que ce genre d’ouvrier attentif quitte la fonction publique pour retourner dans le privé. Sans doute a-t-il été échaudé par la déconvenue de n’avoir pas pu être candidat au Conseil national l’automne passé!

A remarquer enfin la dégradation sensible de la situation de villes romandes, de Bienne, de Lausanne et de Fribourg, alors que Sion se maintient à un niveau «assez bien».

PB
Pierre Ballay