D’ordinaire, les résultats financiers des villes connaissent des variations plus fortes que leurs grands frères cantonaux et que la mère Helvetia. Avec l’irruption soudaine et imprévue de la crise du covid, c’est un peu le contraire qui se produit. De même que les cantons, les principales cités du pays ont été touchées par la peste pandémique. Mais, subsidiarité oblige, elles ont moins eu besoin de se lancer dans de dispendieuses dépenses pour lutter contre ce mal qui a bouleversé toute la planète.

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Comme le dit La Fontaine, là aussi, «tous étaient frappés». Et, une nouvelle fois, la partie alémanique du pays a mieux résisté. En particulier la Suisse orientale. A l’aune des dix critères qui permettent depuis vingt ans à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) de mesurer les performances des grands argentiers, Schaff-house signe le meilleur score (5,69), devant Saint-Gall (5,47) et Coire (5,31). Mais avec des moyennes assez nettement plus basses que les cantons. A preuve: au 6e rang, la ville de Berne (5,07) figurerait déjà dans la seconde partie du classement des cantons.

Proches de la réalité du terrain

De façon assez cocasse, Lausanne (4,97) – meilleure ville romande à la 7e place – affiche pratiquement la même note que Vaud (4,95), qui n’est que 15e du ranking cantonal… Mais la convergence est déjà étonnante. Avec 4,84, la congruence est même parfaite entre Sion (8e) et le Valais (17e). En revanche, la ville de Genève (14e – 4,35) s’en sort nettement mieux que son canton (26e – 2,76). Y a-t-il une explication à ce curieux phénomène? Si, sur l’exercice 2020, les finances publiques sont «malades de la peste», comme PME l’a largement expliqué dans sa dernière édition (PME No 10), l’attitude des villes rappelle une autre fable de La Fontaine. Dans Le renard et les raisins, la leçon est aussi brève qu’éloquente:

«Certain renard gascon, d’autres disent normand, / Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille / Des raisins mûrs apparemment, / Et couverts d’une peau vermeille. / Le galant en eût fait volontiers un repas.»

A l’instar des cantons ou de la Confédération, les villes peuvent également avoir la tentation de dépenses immodérées. Mais elles sont infiniment plus proches de la réalité du terrain. Elles sont donc aussi extrêmement plus sensibles à la moindre variation de leurs recettes ou de leurs dépenses. Et y réagissent dès lors plus promptement. Même si, pour investir, elles ont souvent la même inclination que les cantons. Néanmoins, elles savent, dans la règle, mieux modérer leur appétit de dépenses. Y compris lorsqu’elles sont plutôt affamées, les cités adoptent en général la morale du renard de la fable:

«Mais comme il n’y pouvait atteindre: / «Ils sont trop verts, dit-il, et bons
pour des goujats. / Fit-il pas mieux que de se plaindre?»

Les villes sont plus aptes à gouverner leur bouche selon leur bourse. Elles gèrent donc avec plus de sérénité les conflits entre leurs besoins et leur capacité à les satisfaire. Comme le renard, qui finit par se convaincre de renoncer aux raisins si beaux et si dorés. S’il ne les mange pas, ce n’est pas parce que ces pampres vermeils sont hors de sa portée, mais bien parce qu’ils seraient… trop verts! Dans la même veine, les chefs-lieux préfèrent fréquemment modérer leurs ambitions, à défaut d’être capables de les réaliser.

Charges inférieures aux revenus

Illustration de cet état de fait: la moitié des villes obtiennent la note maximale sous l’angle de la maîtrise des dépenses (Ind. 5). Malgré la crise pandémique, la plupart ont même pu les réduire. Massivement à Lugano (-12,1%), mais aussi fortement à Sion (-4,1%), à Delémont (-3,2%) ou à Lausanne (-1,7%).

Par rapport à l’exercice précédent, même la Cité de Calvin est parvenue à restreindre quelque peu son volume de dépenses par habitant (-0,8%). A l’autre bout du classement, Neuchâtel et Emmen, dans la banlieue lucernoise, devraient se reprendre en main: l’augmentation de leurs dépenses flirte avec les 5%.

En termes d’investissements (Ind. 6), l’effort de la plupart des collectivités s’inscrit dans les recommandations en faveur de finances saines. Avec des volumes dépassant 13% des dépenses courantes, Sion, Delémont, Fribourg, Zurich et Coire en font même peut-être un peu trop. A Bellinzone, où ce pourcentage explose à 31%, on peut se demander si le chef-lieu tessinois n’est pas en train de reconstruire ses trois châteaux!

Autre élément probant, deux tiers des villes considérées affichent des charges inférieures à leurs revenus (Ind. 1). Dans le groupe, Lausanne et Delémont, avec une couverture des charges à 101%, sont idéalement dans la cible. Avec un taux de 108%, Fribourg pourrait se poser la question de réduire un tantinet ses impôts, puisque cette situation très excédentaire se reproduit depuis déjà un lustre!

En revanche, pour la première fois depuis longtemps, le ménage communal n’est plus équilibré à Sion (98,6%) ni à Genève (96,2%). Du côté des métropoles neuchâteloises, la situation se péjore chaque année un peu plus à La Chaux-de-Fonds (93,5%), tandis que le chef-lieu cantonal joue au yoyo (92,5% de couverture des charges en 2020 contre 120% l’exercice précédent). Reste tout de même que les deux villes vivent à crédit.

Au classement final, La Chaux-de-Fonds (18e – 3,23 de moyenne) et Neuchâtel (19e – 3,08) ne doivent qu’au désastre de Bellinzone (2,37) de ne pas tenir la lanterne rouge. Les équilibres budgétaires des deux métropoles horlogères se sont complètement déréglés. Alors que la doctrine préconise de financer ses investissements à 80% au moins via les recettes propres (Ind. 2), cette part n’est plus que d’un faible 30% à La Chaux-de-Fonds et d’un misérable 3% à Neuchâtel. Qui, de surcroît, a surestimé de 4% ses rentrées fiscales (Ind. 7).

Un panorama pas rose

Mais le plus grave pour ces deux collectivités relève de leur endettement. Surtout dans la ville des Montagnes. Que l’on prenne la dette nette ou brute, par rapport aux revenus fiscaux (Ind. 9) ou courants (Ind. 10), il faudrait toujours plus de deux ans de rentrées à La Tchaux pour résorber son endettement. Maigre consolation, il y a pire encore: à Lausanne (Ind. 9), trois années et demie complètes d’impôts ne parviendraient pas encore à éteindre la dette nette. La capitale olympique signe en la matière un absolu record de Suisse, toutes collectivités confondues.

Certes, les épouvantails neuchâtelois masquent en partie la détérioration des autres collectivités de l’Arc jurassien. Mais pas complètement. Au pied du podium sur l’exercice 2019, avec une superbe moyenne de 5,66, Bienne s’écrase cette année. Même si la cité seelandaise (15e – 4,30) parvient à conserver une note suffisante, elle n’équilibre plus ses comptes (Ind. 1) et n’autofinance pas assez ses investissements (Ind. 2), avec en outre une dette brute qui se creuse (Ind. 3 et 10).

Juste derrière Bienne, Fribourg (16e – 4,15) sauve encore sa moyenne, mais cette dernière décline année après année. Les gros efforts d’investissements consentis par la cité des Zähringen l’empêchent de les financer par ses propres ressources et l’obligent à recourir fortement à l’emprunt. C’est un peu le même paysage à Delémont (17e – 3,77), qui passe cette fois sous la barre du 4,0 fatidique.

Le panorama des finances publiques des villes n’est donc au final pas trop rose. Leur endettement – bien plus prononcé que celui des cantons – pourrait massivement péjorer leur situation si les taux d’intérêt venaient à remonter. Car, aujourd’hui encore, les cités profitent à fond de l’actuel environnement de taux bas. A preuve: depuis cinq ans, sur l’intérêt moyen de leur dette (Ind. 8), les villes affichent toutes la note maximale!

>> Le tableau des finances publiques des communes


Les communes souffrent d’être au dernier échelon

Contrairement aux cantons, les communes en général et les villes en particulier n’ont pas pu compter sur le ballon d’oxygène issu des bénéfices de la Banque nationale suisse. «Face à des recettes – notamment fiscales – souvent plus faibles qu’escompté, elles ont dû s’en remettre à leur seule capacité à maîtriser la croissance de leurs dépenses», note Nils Soguel, initiateur du comparatif.

Leur chance: ce n’était pas leur rôle de stabiliser l’économie et d’assurer la santé publique, puisque ces missions sont dévolues à la Confédération et aux cantons. On aurait pu craindre que les communes contrecarrent l’effort de stabilisation macroéconomique en freinant leurs dépenses, en particulier leurs investissements. «Les villes étudiées dans notre comparatif montrent qu’il n’en a rien été. Leur effort d’investissement reste soutenu», se réjouit le directeur de l’Idheap.

Pour renouveler leurs équipements, mais aussi améliorer leurs infrastructures, certaines collectivités ne parviennent plus à autofinancer ces dépenses. «Toutefois, en 2020, leur recours à l’emprunt reste souvent dans les limites du raisonnable, même si leur niveau d’endettement n’a cessé de s’élever au cours des vingt dernières années, fait remarquer le professeur Soguel. Dans l’ensemble, les villes n’ont donc pas su ou pu tirer parti de l’abondance des rentrées fiscales de ce début de siècle pour reconstituer leur marge de manœuvre.»


Tester sa commune: un jeu d’enfant

Au vu des résultats des villes publiés par PME dans le présent numéro et du classement des cantons paru il y a un mois, l’envie pourrait titiller qui s’intéresse aux finances publiques de déterminer où se situe sa propre municipalité. Or il est possible de le faire en un tour de main. Sur le site de l’Université de Lausanne, l’Idheap donne en effet la possibilité de tester la situation financière de n’importe quelle collectivité.

Il suffit de télécharger sur cette adresse un fichier Excel intitulé «Etablir le comparatif pour votre commune» qui figure au bas de la page. Les plans comptables harmonisés des collectivités publiques suisses MCH1 et MCH2 servent de référence pour les données à introduire.

Une fois rempli, ce fichier calcule automatiquement les indicateurs et les notes correspondantes pour la municipalité concernée. A partir de là, la comparaison avec les résultats publiés dans PME permet de situer sa commune par rapport à son canton ou à son chef-lieu. De quoi peut-être illustrer le proverbe québécois: «Quand je me regarde, je me désole; quand je me compare, je me console.»

PB
Pierre Ballay