«J’ai écrit ce livre en me remettant en permanence en question. En tant que femme, jeune, qui travaille dans un secteur tel que celui des cryptomonnaies, on doit toujours se battre contre le syndrome de l’imposteur», lance Emilie Raffo dès le début de l’entretien. La jeune femme de 28 ans, accessible, pédagogue et pleine d’énergie, n’a pourtant rien à envier aux hommes blancs de plus de 50 ans qui l’entourent.

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Son livre, Le futur des espèces, publié aux Editions Dunod en 2021, vulgarise les notions de crypto-économie et est rapidement devenu un best-seller en se plaçant deuxième dans le classement des meilleures ventes Payot de la rubrique «droit et business». Dans son livre, elle aborde les thèmes qui l’intéressent tels que la gouvernance, l’impact économique ou encore les potentielles nouvelles politiques monétaires.

Contrat juridique

Les cryptomonnaies, Emilie Raffo les découvre en 2016 pendant un échange universitaire à Austin au Texas. Belge d’origine, elle finit son master en gestion des affaires à l’Université catholique de Louvain par un mémoire sur les cryptomonnaies. «J’y ai analysé la volatilité du bitcoin. Est-ce que cette crypto-monnaie est une valeur refuge à l’image de l’or ou du franc suisse?» s’interroge-t-elle. Elle ne trouve pas de corrélation mais le domaine est porteur. Après avoir obtenu son diplôme, elle s’expatrie pour un stage à Genève en 2017. «J’ai assez rapidement commencé à donner des conférences et à animer des petits événements sur la crypto, notamment sur la vague montante des ICO (initial coin offering ou première émission de jetons, ndlr).»

En avril 2021, Emilie Raffo cofonde ChainSecurity à Zurich, une start-up spin-off de la société d’audit et de conseil PwC. En résumé, ChainSecurity s’occupe de la cybersécurité des cryptomonnaies. Elle audite le code des logiciels utilisés par les entreprises afin de garantir un usage sécurisé des monnaies virtuelles ou des applications basées sur la blockchain. En effet, toute la sécurité d’une cryptomonnaie ou d’une application liée dépend de son code informatique. Il est donc indispensable qu’aucune vulnérabilité ou erreur ne s’y cache. «C’est comme un contrat juridique normal: s’il y a une seule lacune dans le contrat, il y a forcément un avocat un peu ambitieux qui va en profiter.»

Avec les applications de finance décentralisées, soit des applications qui recréent des services financiers sur la blockchain sans intermédiaires mais par des smart contracts, on remplace donc les contrats juridiques traditionnels par un contrat fonctionnant comme un code informatique qui s’exécute tout seul.

Le Moody's de la finance décentralisée

«Avec ChainSecurity, nous vérifions que le code informatique de ce contrat digital est bien correct. Puis nous fournissons des recommandations pour le rendre moins vulnérable aux cyberattaques. Une fois le code corrigé, nous publions un rapport sur la fiabilité du code, que nous postons sur notre site web. Ainsi, les entreprises obtiennent la visibilité et le crédit de figurer parmi celles auditées par ChainSecurity. Nous sommes un peu le Moody’s (agence de notation financière, ndlr) de la finance décentralisée.» Ainsi, lorsque ChainSecurity valide les codes d’une application de finance décentralisée, cette dernière acquiert la confiance de la communauté.

L’entreprise emploie 13 personnes et quatre nouveaux collaborateurs vont rejoindre l’équipe cet hiver. «Il n’existe que très peu d’ingénieurs qualifiés dans ce domaine, nous n’engageons donc que les meilleurs des jeunes diplômés et nous les formons à l’interne.» Malgré le caractère international de l’entreprise (sur 13 employés se côtoient 11 nationalités), la majorité d’entre eux proviennent de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) et de Lausanne (EPFL).

Aujourd’hui, l’ensemble de la «value locked», soit la valeur bloquée dans les smart contracts audités par la start-up ChainSecurity, dépasse déjà les 40 milliards de dollars. «L’équipe existe depuis 2017; or, les smart contracts Ethereum n’existent que depuis 2015. Nous figurons donc parmi les plus anciens experts!»

SW
Sophie Woeldgen