«Les cycles de vie des entreprises sont de plus en plus rapides. Celles qui ont fait le succès du canton de Vaud ces 50 dernières années ne sont pas celles qui feront le succès du canton les 50 prochaines années», pointe Raphaël Conz, chef de l’unité entreprises au Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI). Ce constat est valable pour toute la Suisse. Il oblige les PME à se repositionner et leurs directeurs à retrouver leur instinct d’entrepreneur. Le savoir-faire ne suffit plus; il faut certes le cultiver, mais également le confronter à celui d’autres secteurs, voire d’autres systèmes de pensée.

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Des pistes de réflexion autour du thème «Ma PME dans cinq ans, les nouvelles dimensions de l’innovation» seront abordées par des experts en innovation et des chefs d’entreprise le 3 mars prochain lors de Forward, un événement organisé pour la troisième fois par l’EPFL, Le Temps et PME Magazine, au SwissTech Convention Center.

Métamorphose des entreprises

Alors que 54% des entreprises vaudoises déclarent être déjà impactées positivement par la digitalisation, selon une étude menée par la CVCI, Innovaud et le SPEI, peut-on faire l’impasse sur les 46% restants qui se battent dans un contexte de nouveau modèle économique? Assurément non. C’est pourquoi des plateformes servicielles et des financements pour accompagner les PME dans leur transition numérique se multiplient, à l’image du fonds de soutien à l’innovation du canton de Vaud doté de 50 millions de francs, en passe d’être finalisé. Tous les cantons romands disposent d’aides similaires via les promotions économiques, qui, elles aussi, ont dû entreprendre leur mutation digitale.

Pour une majorité de PME, la dématérialisation des factures, la gestion numérique du service après-vente, des stocks et des plans de travail, sans parler de l’optimisation des données que génère la société, ne sont pas encore une réalité. Pourtant, les spécialistes de la numérisation travaillent déjà sur de nouveaux intégrateurs intelligents, comme SpiderBus, une solution listée par la SPEI. Ce passe-partout informatique permet aux logiciels métiers très spécifiques de s’échanger les données, contournant les barrières poussant à l’obsolescence ou à la lourdeur de certains programmes informatiques.

La métamorphose des entreprises se traduit également par l’apparition de projets durables dans tous les secteurs. Par exemple, la jeune pousse de l’EPFL Enerdrape, qui développe des panneaux géothermiques récupérant la chaleur des parkings, vient de se classer troisième du ClimateLaunchpad, un concours mondial regroupant 2600 entités naissantes. Preuve que les temps changent, elle termine derrière une start-up kényane transformant les Pampers en fuel. Face à l’urgence climatique, on n’a jamais été aussi innovant qu’en ce moment, qu’on soit une petite structure ou une multinationale. Ainsi, dans son programme de soutien à l’environnement, UBS mentionne des sociétés capables de créer de la bière avec du vieux pain. C’est le cas de la Brasserie artisanale de Giez (VD). En trois mois, elle a produit 800 litres de ce breuvage.

La vague verte née en 2019 et les préceptes de l’économie circulaire se sont bel et bien invités dans le train numérique qui emporte les PME. Celles-ci réfléchissent désormais différemment, ou sont poussées à le faire. Pour s’inscrire dans la durée, elles doivent développer leur conscience écologique, répondre à des critères ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance), aujourd’hui surtout prévus pour les multinationales. Elles doivent valoriser le local, le réutilisable, les données qui sont à leur disposition et devenir efficientes énergétiquement. Cela laisse libre cours à des projets fous comme celui de S + T Service et Technique à Veyrier (GE), où Frédéric Hess, un ancien de l’EPFL, planche sur un système de création de froid utilisant la déperdition de chaleur générée par la sécurisation du bitcoin.

Léonard de Vinci a imaginé l’homme volant. Les entreprises de demain réussiront peut-être, à force de partage des connaissances, à durer tout en préservant la planète. En attendant, voici des exemples de PME romandes qui sont déjà sur les rails de la numérisation.


NUMERISATION La digitalisation ouvre de nouvelles voies

Considérée souvent comme un mal nécessaire, la numérisation permet parfois d’atteindre LE paradis. À condition de mettre en place une stratégie à petits pas.

Devillard: l a dématérialisation va devenir la norme

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Devillard (ici son responsable informatique Eric Heiniger) est passé en mode numérique dans les années 90.
© E.Fransdonk

Des premiers duplicateurs à stencils il y a soixante ans, Devillard est devenu un spécialiste des solutions d’impression et de la gestion électronique des documents (GED). Passée en mode numérique dès les années 1990, la société de 100 collaborateurs a mis en place des solutions zéro papier dès 2008 pour son service après-vente. Exemple: les techniciens sur le terrain reçoivent sur leur téléphone une alerte avec une information sur une pièce à changer. En la scannant, ils modifient directement le fichier stock qui envoie une demande de réapprovisionnement si cela s’avère nécessaire.

«Nous ne serions plus là si nous n’avions pas innové et intégré l’informatique à nos processus. C’était visionnaire à l’époque, remarque Eric Heiniger, le responsable informatique. Aujourd’hui, on parle de dématérialisation des factures, mais ce n’est encore que la genèse dans une large majorité des PME. Seulement 3% de nos clients exigent de recevoir des factures électroniques. Ce pourcentage va augmenter rapidement avec l’arrivée, cette année, des QR factures.» Archivage numérique ou solutions de mobilité administrative, les besoins sont accrus pour les PME. «L’erreur est de vouloir tout mettre en place en même temps. C’est ignorer la résistance au changement qui est parfois grande. Mieux vaut donc commencer avec un petit projet de numérisation, comme la gestion des demandes de vacances. Ça motive tout le monde et, grâce au work flow, on peut suivre l’évolution de sa demande, conseille-t-il. Ensuite, on comprend l’outil pour l’utiliser dans des flux plus complexes.»

Boschung: demain,  des véhicules autonomes

«Cela fait quarante ans que nous mettons en avant la digitalisation. Nous développons les logiciels pour notre activité en parallèle des machines, lance Emilie Boschung, petite-fille du fondateur, aujourd’hui responsable marketing de l’entreprise de véhicules de nettoyage et de déneigement, née il y a 70 ans. Au siège, à Payerne, la société compte 160 collaborateurs, et 540 dans le monde. Les machines sont utilisées tant pour ouvrir le col du Grand-Saint-Bernard au printemps que sur le nouvel aéroport de Pékin où Boschung vient de livrer 22 véhicules.

«Mon grand-père a développé le premier système de détection du verglas en 1964. C’était un outil révolutionnaire avec des capteurs météo collectant une dizaine d’informations. Nous l’avons connecté petit à petit avec des sondes intégrées à la chaussée, puis avec un software dès les années 1990», expose Emilie Boschung. Aujourd’hui, ces sondes sont capables de prévoir le point de congélation. Cela permet de planifier et d’anticiper le passage de la saleuse, avant l’apparition du verglas. De plus, celle-ci adapte automatiquement le mélange à diffuser aux conditions de la route. «Ce qui offre une économie de 30% de sel sur une seule intervention», estime-t-elle. Si les véhicules ne roulent pas encore tout seuls, cela ne saurait tarder. Les nettoyeuses qui prennent soin des trottoirs de Londres à Berlin sont désormais 100% électriques et interconnectées via une application qui informe en temps réel sur où se trouve la machine, quelle est son autonomie et combien de sel il lui reste.

Denogent: le digital  permet de voir grand

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Marina Denogent, à la tête d’une société de paysagistes de 150 personnes, vient de mettre en place des solutions mobiles.
© S.Liphardt/PME Magazine

De la société fondée par un arboriculteur à Prangins il y a 70 ans, Denogent est devenue une PME de près de 150 collaborateurs avec 135 paysagistes, architectes et aides sur le terrain et 17 personnes au bureau. Marina Denogent est à l’origine de la numérisation de l’entreprise qui a réalisé les jardins de l’UEFA, du CIO et du Musée national suisse. «Nous travaillons actuellement sur le bâtiment Vortex, dans le campus de l’Unil, glisse la directrice. Il faut avoir beaucoup de créativité dans ce métier pour durer, il y a des modes dans les plantes comme partout ailleurs. Pour gérer autant de projets, nous avons dû nous professionnaliser. La numérisation des processus de gestion et de dessin a engendré une forte impulsion.» Les solutions numériques pour la gestion administrative sont venues après les outils de dessin. «C’est une aide certaine. Maintenant, il ne faut pas croire qu’on presse sur un bouton et que tout se fait tout seul, précise-t-elle. Le gain de temps est là, mais il faut beaucoup de petites mains qui entrent les données: chaque achat, chaque déplacement de machine, cela toutes les heures. L’avantage est que toutes les tâches sont imputées dans notre logiciel BauBit qui traduit les gestes en chiffres.» Elle mentionne également les analyses prédictives. «On peut mieux ajuster les offres: si vous avez un chantier à 1 million de francs et que vous réalisez que votre coût de revient est à 1,2 million, vous savez tout de suite que vous perdez de l’argent», illustre-t-elle.

Pragmatique, Marina Denogent a récemment doté ses équipes de solutions mobiles, évitant ainsi le va-et-vient entre le bureau et les projets. L’échange d’informations et de plans étant désormais facilité, Denogent a étendu sa réputation à l’étranger. La PME conceptualise des jardins jusqu’à l’île de Saint-Barth dans les Caraïbes. Considérée souvent comme un mal nécessaire, la numérisation permet aussi d’atteindre le paradis!


BIG DATA  Le prochain tsunami

Intrinsèquement lié à la numérisation, le big data ouvre des perspectives encore sous-estimées de la plupart des PME.

Le big data ouvre des perspectives encore sous-estimées de la plupart des PME. Chaque mouvement numérique de l’entreprise est une source d’information, que ce soit pour développer un produit, pour optimiser un processus ou pour mieux évaluer un besoin. Reste à ne pas se laisser submerger par la masse de données.

Xavier Chabanne, directeur des applications pour la Suisse chez Oracle, le plus grand fournisseur de logiciels et gestion de data au monde, évoque ce potentiel: «Chaque entreprise produit des données et désormais, l’intelligence artificielle (AI) est capable de nous aider à interpréter ces données afin d’émettre des recommandations que les dirigeants peuvent suivre ou non. Par exemple, dans une démarche de e-commerce, des comparatifs montrent que lorsque je cible les intérêts de clients grâce à l’AI sur un panel de 50 personnes, j’augmente mon chiffre d’affaires de 5% par rapport à une approche sans AI. L’humain reste tout de même maître et s’il souhaite liquider un stock, il peut le faire en bloquant le ciblage de l’AI.»

La réconciliation de toutes ces données, si elle débouche sur l’automatisation de certains processus, est un gain de temps et un allégement de la charge de travail pour le management et pour la production. «Les retours utilisateurs mentionnent un gain de temps de l’ordre de 80% lors du bouclement des comptes d’entreprise par exemple», relève-t-il.

E-Gestion: mélanger les données et l’ubérisation

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Pour les collaborateurs de la fiduciaire E-Gestion, l’utilisation du big data est un gain de temps considérable.
© DR

Le big data s’invite partout, même dans le B2B. Fiduciaire et expert en assurances pas comme les autres, E-Gestion développe des idées originales pour les entreprises romandes depuis quinze ans. La société de 33 collaborateurs utilise le big data pour faire converger ses actions vers les bonnes personnes. «Nous traitons les déclarations fiscales de près de 1000 collaborateurs d’une multinationale. Certaines PME souhaitent aussi passer par nous pour proposer des assurances à leurs salariés», explique le CEO Laurent Claude. E-Gestion se déplace alors dans la société pour être à la disposition de celle-ci et de ses employés à une certaine date.

C’est là que le big data permet un gain de temps considérable pour tous. «Avec l’autorisation de chaque personne et à leur demande, nous distinguons, par exemple, ceux qui sont propriétaires ou ceux qui ont un 3e pilier bancaire, explique-t-il. Nous pouvons ainsi leur soumettre des assurances ou des hypothèques directement adaptées à leur profil, cela sur leur lieu de travail.» Une ubérisation d’un service, avec la mise en contact de professionnels directement avec le client final, se crée sur la base des données entreprises; cela encore une fois seulement à la demande des collaborateurs intéressés par cette opportunité.

Alpina: renaître grâce aux données

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En 2018, Alpina commercialise en crowdfunding une montre connectée avec 11 000 possibilités de personnalisation. La marque a beaucoup appris grâce à l’analyse des données, raconte Olivier van Lanschot Hubrecht, son directeur.
© S.Liphardt/PME Magazine

L’histoire d’Alpina, maison horlogère fondée à Genève en 1883, est presque un cas d’école en matière de big data. A la suite de la crise du quartz, la marque a retrouvé une seconde jeunesse dès 2002. Mais c’est en 2018 qu’elle a enregistré la plus forte hausse de son chiffre d’affaires, de 35%, en partie grâce au big data. Elle lance sur le marché l’AlpinerX, une montre connectée, sortant complètement de sa gamme traditionnelle. Qui plus est, elle la commercialise en crowdfunding sur Kickstarter.

«Nous sommes la première marque établie à avoir proposé une montre collaborative, déclare Olivier van Lanschot Hubrecht, le directeur général arrivé en 2016, formé à l’informatique et ayant fait ses gammes chez Red Bull. Plus que du financement, nous cherchions à collecter des données puisque nous offrions 11 000 possibilités de personnalisation de la montre. Nous voulions apprendre de notre communauté.» Le pari a fonctionné, au-delà des attentes. AlpinerX a enregistré 2760 contributeurs, 50 000 leads ou contacts commerciaux. Plus de 3000 montres ont été vendues sur Kickstarter à un prix promotionnel, mais, surtout, 7000 ensuite par les canaux traditionnels, qui voyaient pourtant la démarche comme une menace. La campagne irradie dans 73 pays et débouche sur 1,5 million de francs de recettes en un an sur ce projet.

«Nous nous sommes ouvert un marché que nous n’imaginions pas. Nous avons collecté 5000 commentaires, tant élogieux que catastrophiques, explique le directeur d’Alpina. Il a fallu se mettre un filtre personnel. Nous avons aussi organisé deux sessions live, où nous avons échangé avec 1000 personnes autour de la montre et obtenu des feed-back. La masse de travail a été colossale pour l’équipe. Il y a eu des erreurs commises, mais on a énormément appris.» Au final, les personnalisations les plus choisies sur la plateforme ont été retenues pour le catalogue. En un temps record, Alpina a collecté du data qu’elle a intégré à ses processus. Le résultat est là. «Mais je ne recommencerais pas une telle opération tout de suite», précise tout de même le patron 4.0.


ECOLOGIE  Réussir le couple durabilité-profitabilité

Plus possible désormais d’imaginer sa PME dans cinq ans sans évaluer son impact environnemental et social.

Membratec: lutte contre les micropolluants

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L’entreprise d’Emmanuel Bonvin a conçu une membrane ultra-filtrante qui retient les micropolluants dans l’eau.
© S.Liphardt/PME Magazine

Membratec propose une solution répondant à un besoin primaire qu’est l’eau potable. Le directeur, Emmanuel Bonvin, aime la clarté, celle de l’eau et celle des propos également: «Je préfère le mot évolution à celui de croissance. Nous développons des technologies de haut niveau pour durer. Gagner de l’argent permet d’être là demain. Mais augmenter son chiffre d’affaires n’est pas un objectif pérenne à mon sens.»

Partant du constat que deux tiers de l’eau potable en Suisse nécessitent un traitement, parfois très complexe, Membratec a conçu une membrane ultra-filtrante qui retient les micropolluants; une innovation à base de charbon et d’une protéine du petit-lait. Fondée il y a dix-sept ans, la société sierroise de 18 collaborateurs ne cherche pas à conquérir les mers. Son marché principal reste les collectivités en Suisse, avec un partenariat en France aux côtés du groupe Vinci.

«Pour durer, la gouvernance d’une PME doit bien différencier la stratégie à long terme des aspects du quotidien et du budget opérationnel. Trop souvent, on mélange les deux», relève le Valaisan. C’est pourquoi l’entreprise investit près de 15% de son chiffre d’affaires dans la R&D et presque autant dans le bien-être du capital humain.

Retripa et Vipa: le temps de l’économie circulaire

A la tête de Vipa et de Retripa, sociétés respectivement actives dans le négoce international de déchets et leader du recyclage en Suisse romande, Marc Ehrlich observe son chiffre d’affaires croître depuis vingt ans. Il emploie aujourd’hui 280 collaborateurs. Du point de vue comptable pur, on peut parler de profitabilité. Mais si l’entrepreneur se réjouit de voir que l’économie circulaire commence à susciter un certain engouement, il reste préoccupé par la lenteur avec laquelle les choses évoluent et par les éléments de non-durabilité qui ne changent quasi pas en Suisse.

Pourquoi en Inde arrive-t-on à interdire le plastique à usage unique alors qu’en Suisse, on me sert de l’eau dans une bouteille en pet?

«Il n’y a pas 50 messages à donner: il faut arrêter le plastique. Il n’est pas durable. On n’arrive pas à le recycler et il termine dans des incinérateurs qui sont à l’origine de 7 à 8% du CO2 en Suisse, martèle-t-il. Qui plus est, il est produit avec une matière première qui n’existera bientôt plus. C’est presque pareil pour le PET, qui, lui, est recyclé mais génère une lourde trace carbone lors de son transport et ne peut pas être complètement transformé. Pourquoi en Inde arrive-t-on à interdire le plastique à usage unique depuis octobre 2019 alors qu’en Suisse, on me sert encore de l’eau dans du PET lorsque je fais des conférences sur l’économie circulaire? Le décalage est énorme.»

Le Vaudois ne peut se départir de son habit politique ou citoyen lorsqu’il s’agit d’évoquer la durabilité. Mettre en place des modèles économiques dans lesquels on construit des choses qui se recyclent devrait être une exigence première. Les critères ESG ne suffisent pas à ses yeux. «C’est une manière pour les grosses sociétés de se mettre en avant à la bourse, estime-t-il. Une vraie démarche serait de favoriser les offres sur les marchés publics qui répondent aux critères de durabilité. Or le prix reste encore souvent le premier levier.»

Villvert: la maison en bois

C’est un autre ingénieur qui est à l’origine du développement de maisons modernes en ossature bois en Suisse romande il y a vingt-cinq ans. Formé à l’EPFL par Julius Natterer, précurseur dans les techniques d’assemblage du bois, Roland Schnepp, le fondateur de Villvert, faisait alors figure d’original au pays des abris antiatomiques. Les banques ne voulaient pas le suivre, tandis qu’aux yeux de la population une maison en bois était considérée comme un chalet. Il a pris son bâton de pèlerin et a montré sa démarche dans des expositions. «Il y avait beaucoup de curiosité, notamment parce que les gens pensaient que c’était moins cher», se souvient Roland Schnepp.

La durabilité, ce n’est pas seulement dans les bâtiments qu’on construit, c’est aussi dans nos équipes. Sinon les collaborateurs partent.

Il a tenu et a fait grandir sa société de 7 à 25 employés. A présent, il sous-traite la totalité du travail du bois à deux entreprises de charpente, JPF Construction à Bulle et Gaille Construction à Fresens (NE). L’épicéa, lui, provient principalement d’Autriche. «Désormais, les demandes viennent par intérêt écologique. La fabrication d’une maison en bois a une empreinte CO2 bien plus faible que celle en béton, remarque-t-il. Notre philosophie a toujours été de proposer des habitations énergie zéro et, sur 1000 constructions, j’en ai installé deux seulement au mazout.»

Villvert se lance à présent dans les immeubles en ossature bois. Pas de quoi perdre pied. Roland Schnepp a toujours veillé à garder une société à taille humaine. «La durabilité, ce n’est pas seulement dans les bâtiments qu’on construit, c’est aussi dans nos équipes, insiste-t-il. Donner une vision de développement au sein de la société est aussi important. Sinon les collaborateurs partent.» A 62 ans, le patron ne sera pas éternel et il le sait. Il prépare sa succession à l’interne.

Agri Bio Val: le biogaz se développe

Agriculteur à l’origine d’une usine de méthanisation sortie de terre en 2010 à Fleurier (NE), Simon Eschler reste circonspect lorsqu’on parle de durabilité: «Pour être durable, il faut réduire, et non remplacer par un substitut qui donne l’illusion de l’écologie.» Convaincu que les solutions durables sont la clé des succès de demain, il valorise la biomasse; à savoir 84% de déjections animales issues d’une dizaine de fermes et 16% de déchets verts provenant de 11 villages. Sur l’année, cela représente 16 000 tonnes de déchets organiques qu’il transforme en engrais à valeur ajoutée et en énergie, soit 1,65 million de kilowattheures. Sa production a doublé en quelques années. Aujourd’hui, sa station biogaz chauffe 130 appartements du Val-de-Travers.

En Suisse, il existe une centaine de stations similaires. Créer une telle infrastructure coûte plus de 5 millions de francs. La concurrence sur les déchets se fait également sentir. Pour assurer sa fourniture, l’entrepreneur a signé des contrats avec les agriculteurs locaux, qui bénéficient de l’énergie en retour. Les communes, elles, paient une taxe d’entrée. «L’idée n’est pas de devenir millionnaire, mais d’utiliser les ressources à disposition sur place, observe celui qui bénéficie d’une maîtrise fédérale en méthanisation. On réinvestit ce qu’on gagne. Nous construisons d’ailleurs un deuxième digesteur.»

Cependant, beaucoup de stations biogaz ne pourraient pas tourner sans la rétribution à prix coûtant (RPC), visant à soutenir la production d’énergie renouvelable. Celle-ci prendra fin en décembre 2030. «Nous sommes toujours en concurrence avec le mazout, constate le méthanier. Il faut avoir une vision d’entrepreneur à long terme. On cherche des solutions pour être autonomes en 2030. Notre chiffre d’affaires augmente chaque année. Le but est d’avoir amorti les installations dans dix ans. Nous travaillons également sur la purification et l’injection de biogaz pour la mobilité.»


ORGANISATION  Les talents au cœur du changement

La technologie, l’intelligence artificielle et la digitalisation sont certes des outils incontournables, mais l’humain reste la pièce maîtresse du mécanisme.

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La société informatique DBI Services, qui compte 80 salariés, a décroché la première place du classement Great Place to Work l’an dernier.
© DR

Beaucoup de dirigeants sont à la recherche de talent individuel pour leur entreprise. Or celui-ci se cultive en groupe. Ainsi, le talent n’est pas l’apanage d’une seule personne, mais d’un ensemble, et pour être efficient, le talent doit être collectif et partagé. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’holacratie, de sociocratie, d’organisation libérée, pyramidale, cellulaire ou «capacitante». Mais existe-t-il un modèle qui fonctionne sans accroc?

Première du classement Great Place to Work 2019 dans la catégorie «de 50 à 250 employés», DBI Services compte aujourd’hui 80 salariés. Basée à Delémont, où elle a été fondée en 2010 autour de neuf collaborateurs, la société d’informatique est aujourd’hui présente également à Bâle, à Nyon, à Berne et à Zurich. Membre fondateur et CFO, Grégory Steulet revient sur la notion de talent: «Avant de trouver des personnes talentueuses, nous souhaitons mettre en valeur des vertus plus accessibles telles que la passion pour son travail, l’attitude, l’éthique ou encore simplement le fait d’arriver à l’heure. De telles qualités ne nécessitent aucun talent et sont pourtant tout autant précieuses, si ce n’est plus, lorsque l’on parle de succès, que ce soit à l’échelle de la personne ou de l’entreprise. La technique est souvent mise en avant, mais dans le domaine du consulting, on a besoin de 50% de compétences humaines et de 50% de compétences techniques.» Savoir écouter le client, parler normalement avec un langage accessible et dire bonjour sont essentiels.

La confiance crée l’innovation

Cultiver le talent est donc plus que jamais essentiel, surtout lorsqu’on sait que la Suisse affiche un turnover – un taux de rotation moyen – proche de 20% par an, tous secteurs confondus. Ainsi, mathématiquement, quatre personnes quittent leur emploi chaque année dans une entreprise de 20 collaborateurs. «Le turnover n’est pas une maladie, note Grégory Steulet. Un critère plus pertinent pour moi est l’indice de confiance entre l’employeur et ses employés. Plus celle-ci règne, plus l’entreprise améliore ses résultats, car coopération et innovation dépendent de la confiance.»

Pour la mesurer, l’Institut Great Place to Work interroge la totalité des salariés d’une entreprise sur la crédibilité qu’on leur accorde, la communication interne, leurs compétences, le respect, le support, l’égalité, la fierté ressentie et la camaraderie. Pour développer la confiance, DBI a établi plusieurs stratégies: des journées d’échanges où chacun explique son travail aux autres, la délégation de tâches, l’accueil très personnalisé des nouveaux venus, le management par objectif, l’obligation de se former régulièrement et des mini-séances de feed-back hebdomadaires et individuelles.

Passion, éthique ou tout simplement ponctualité sont des qualités à mettre en valeur.

Grégory Steulet, CFO chez DBI Services

Cette conception du collectif est partagée par Antoine Lorotte de FiveCo, bureau d’innovation né il y a dix-sept ans dans le parc scientifique de l’EPFL. «Il faut nourrir les équipes, appuie le CEO. Cependant, les collaborateurs doivent aussi être intrapreneurs et ne pas attendre qu’on leur dise quoi faire. Pour cela, chaque employé a un projet personnel qu’il peut développer lorsqu’il a du temps. Ces recherches aboutissent parfois à des produits, comme c’est le cas de notre Five Around, une montre de table proposée ensuite en crowdfunding. Ce processus permet de faire émerger de nouvelles idées.»

Rester petit et agile

Autre paramètre organisationnel mentionné: éviter la course en avant. Les ingénieurs lausannois travaillent à dix, un nombre qu’ils ne souhaitent pas augmenter. «Nous avons choisi de ne pas grandir davantage pour une raison simple, observe Antoine Lorotte. Si j’analyse mon quotidien, l’équilibre entre mon boulot et ma vie privée fonctionne. Alors pourquoi prendre le risque de voir si ça marche encore à 20 ou 30 salariés et devoir engager un DRH, un responsable de vente et perdre le contrôle?» Ce choix implique de dire non à certains projets. «Nous refusons des mandats, poursuit-il. Mais nous jouons aussi la transparence en proposant des délais pour répondre à la demande. Cela rassure même le client sur le sérieux de l’entreprise et l’encadrement.»

Le concept plus petit, plus agile n’est pas forcément le choix de tous. Quoi qu’il en soit, la graine de talent étant semée, arroser ce bourgeon talentueux, c’est lui donner la possibilité de grandir tout en préservant ses racines. Et si pour certaines organisations la notion de tuteur n’est plus un élément central, ce n’est pas le cas chez FiveCo. «Le modèle d’holacratie ne me titille vraiment pas, confesse le CEO. J’ai une estime énorme pour Nicolas Hayek, dont l’aura était incroyable. Il avait une capacité à tout remettre en cause. Une équipe a besoin d’un chef avec une personnalité exemplaire, cela n’empêche pas d’avoir une grande collégialité et de travailler en brainstorming.»

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TB
Tiphaine Bühler