Serge Rogivue, pouvez-vous nous décrire votre domaine d’activité et la situation dans laquelle vous vous trouvez actuellement?

J’ai créé un cabinet de recherche et de sélection de spécialistes, managers et dirigeants en janvier 2001. Mes clients me mandatent afin de rechercher des personnes qui rejoindront leur entreprise de façon directe (headhunting) ou après parution d’annonces avec ou sans le profil de mes clients. Dès que l’impact du Covid-19 s’est fait ressentir, l’activité de mes clients s’est incroyablement ralentie ou s’est immédiatement suspendue. Dès lors, les mandats de recherche ont été interrompus et aucun nouveau mandat n’est à l’ordre du jour. Nous n’avons donc plus aucune commande.

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Vous avez écrit une lettre ouverte au conseiller fédéral Guy Parmelin pour vous plaindre des mesures prévues pour soutenir les indépendants. Qu’est-ce que vous reprochez à ces mesures?

Les micro- et petites entreprises telles que la mienne représentent 2 millions d’emplois en Suisse. Nous sommes 44 000 indépendants dans le canton de Vaud, ainsi que des petits entrepreneurs, à travers deux statuts: les indépendants, dont le chiffre d’affaires brut correspond au salaire brut noté en haut de leur déclaration d’impôts et auquel les frais liés à la réalisation de leurs activités sont déduits; et les propriétaires actionnaires de leur petite société anonyme ou Sàrl, dont ils sont employés comme tout un chacun. J’ai écrit une lettre ouverte à notre vice-président pour deux raisons. La première concerne le fait d’intégrer les indépendants et les petits entrepreneurs dans le système d’octroi d’indemnités de chômage a contrario de ce que la loi prévoit, c’est-à-dire que ce type de statut professionnel en est exclu.

Ainsi, vendredi 20 mars dernier, j’étais heureux de constater que malgré cette situation, le Conseil fédéral ordonnait de nous y inclure. J’étais soulagé en me disant que mon pays ne nous mettait pas de côté et que nous pouvions avoir confiance. Et puis, trois jours plus tard, j’apprends que ce n’est pas 80% du salaire qui sera indemnisé, mais une aumône de 2600 francs qui se transformera ensuite à 3300 francs – rien n’est vraiment clair d’ailleurs… A mon sens, il s’agit d’une imposture, d’une insulte et d’un mépris total de nos activités et de nos conditions.

Vous êtes un chasseur de têtes, est-ce que votre domaine est touché de plein fouet par la situation de crise actuelle ou pouvez-vous continuer à travailler à un pourcentage réduit?

Notre domaine est touché de plein fouet. Notre activité concerne le placement fixe et non pas temporaire. Ainsi, comme je vous l’ai indiqué, nous n’avons plus de mandats et donc plus aucun revenu. Nous assurons au quotidien notre suivi administratif et, dans mon cas, le combat afin que les conditions des indépendants et entrepreneurs soient entendues et non pas méprisées comme c’est le cas ici.

Est-ce que cette lettre a déjà provoqué des réactions de la Confédération?

Je vous tiendrai informé dès que je recevrai une réponse. Mon courrier est présent sur l’ensemble des réseaux sociaux. Ce sont près de 22 000 vues en vingt-quatre heures et d’innombrables encouragements qui m’ont été manifestés sur LinkedIn ainsi que sur Facebook. J’encourage chacune et chacun à écrire, à réagir, à demander de l’aide. J’essaie aussi de créer le dialogue entre indépendants et entrepreneurs. J’ai, par exemple, lancé une initiative sur Facebook proposant à chacune et chacun de présenter sa petite société, et ça marche! On découvre des activités fantastiques et méconnues!

Qu’attendiez-vous comme soutien? Qu’aurait dû faire le Conseil fédéral selon vous?

J’attends un soutien identique à celui de toutes les personnes qui seront au bénéfice d’une indemnisation de chômage, soit à 80%, rien de plus et rien de moins. Bas les masques et finis les filtres! Nous sommes des indépendants et des entrepreneurs qui ont tout investi dans nos petites structures. Nous payons nos cotisations employeur et employés sans broncher. Nous avons toujours su que nous étions exclus du système. Le Conseil fédéral a voulu nous y inclure, alors qu’il le fasse correctement. Nous ne sommes pas une corporation anodine. Nous existons et nous faisons vivre la diversité et l’économie de la Suisse. Il est temps de ne plus accepter cette situation. Il est temps aussi de ne plus l’accepter lorsque nous sommes au chômage définitivement, auquel cas nous sommes également exclus de toute indemnité. Ce temps est révolu, ça suffit!

Si la crise devait durer au-delà du mois d’avril, cette situation pourrait-elle mettre votre entreprise en difficulté?

Bien entendu, nous tiendrons deux ou trois mois et ensuite nous pourrons mettre la clé sous la porte pour aller tout d’abord à l’ORP, qui refusera de nous aider, puis pour nous adresser aux services sociaux. Je le répète, je suis acteur du marché de l’emploi en tant que responsable RH durant dix ans et entrepreneur depuis vingt ans, mais nous avons tous besoin d’aide, indépendamment de tout statut! Si le Conseil fédéral ferme les yeux, alors ce seront des milliers d’entreprises qui se laisseront partir en faillite. Il sera trop tard pour en décider autrement. Le Conseil fédéral aura été prévenu!

Selon vous, les indépendants et les propriétaires de petites PME sont injustement traités par rapport aux salariés. Est-ce que la Confédération a les moyens de soutenir massivement les indépendants?

La Confédération en a non seulement les moyens, mais l’obligation sociale! Et nous n’avons pas parlé des cantons. Je lance l’idée que les cantons assurent la part complémentaire afin de permettre de réaliser les 80% de nos salaires. Le canton de Vaud est souverain et riche à hauteur de dizaines de millions de francs. A nous maintenant de lancer des idées et à les voir se mettre en place. Sans être démagogique, il s’agit de la fortune des citoyennes et citoyens de notre pays et de notre canton! J’en appelle donc à M. Leuba et à ses services pour proposer une telle stratégie.



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Thierry Vial