Lorsque Cartier a décidé de réunir sous le même toit ses métiers d’art au service de l’horlogerie, il n’aura pas fallu chercher bien loin: à un jet de pierre de sa manufacture horlogère de La Chaux-de-Fonds se tenait une belle quoique quelque peu défraîchie ferme datant du XVIIe siècle. Un bâtiment unique en son genre, puisque son architecture n’est pas de style neuchâtelois mais bernois. L’acquisition en est faite en 2011 avec une volonté claire: transformer le lieu en centre d’innovation dédié aux métiers d’art. «La manufacture se trouvait juste à côté. C’était l’opportunité parfaite pour réunir haute technologie et métiers d’art au même endroit», explique Karim Drici, Senior VP & Chief Operating Officer de Cartier.

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La restauration, confiée à l’architecte Stéphane Horni et au spécialiste Gilles Tissot, a duré dix-huit mois. Le défi? Préserver l’âme du lieu tout en l’adaptant aux exigences techniques modernes, en menant les travaux dans le respect de la tradition à partir d’éléments anciens récupérés dans plusieurs fermes de la région afin de redonner au bâtiment son aspect d’origine tout en y intégrant discrètement les technologies de pointe nécessaires. Afin d’apporter aux artisans la lumière essentielle à leur travail, un puits de lumière a également été ajouté. Aujourd’hui, une cinquantaine de collaborateurs œuvrent à la création de collections horlogères d’exception dans les 1500 m² répartis sur quatre niveaux que compte la maison, inaugurée en 2014.

Entre joaillerie et horlogerie de luxe

Afin de comprendre l’implication de Cartier dans les métiers d’art de l’horlogerie, une mise en contexte s’impose. L’histoire commence en 1847, lorsque Louis-François Cartier ouvre sa première boutique, rue Montorgueil, à Paris. «Chaque bijou raconte une histoire, façonnée par des mains expertes», affirmait-il déjà. Dès 1853, Cartier se lance dans l’horlogerie. Les premières montres, équipées de mouvements d’autres manufactures, portent déjà la signature esthétique qui fera la renommée de la maison. Les modèles iconiques se succèdent: la Santos en 1904 pour l’aviateur Alberto Santos-Dumont (première montre-bracelet), la Tortue en 1906, la légendaire Tank en 1917. Autant de créations qui établissent Cartier comme référence incontournable de l’horlogerie de luxe.

Les activités horlogères de Cartier, aujourd’hui filiale du groupe Richemont – qui a généré 20,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024 –, la placent au deuxième rang des leaders mondiaux du secteur, selon le rapport indépendant Morgan Stanley.

L’entier de la production horlogère de Cartier porte le sceau du «Swiss made» grâce à un réseau de manufactures réparties sur cinq sites en Suisse. Outre la Maison des Métiers d’art, on trouve, dans le canton de Neuchâtel, la manufacture de La Chaux-de-Fonds et la manufacture de Couvet; dans le canton du Jura, la manufacture de Glovelier et, dans le canton de Fribourg, celle de Villars-sur-Glâne. Un réseau unique qui accueille plus de 1500 collaborateurs de 20 nationalités différentes et représente plus de 120 métiers.

Parmi cette production horlogère, les pièces les plus travaillées sont conçues puis assemblées au sein de la Maison des Métiers d’art. «Cartier est né joaillier. La frontière entre la joaillerie et les métiers d’art est très mince, voire inexistante», rappelle Karim Drici. Cette proximité explique la facilité avec laquelle la maison fait dialoguer techniques ancestrales et technologies de pointe.

Selon une définition acceptée par Cartier, un métier d’art se définit comme un savoir-faire rare d’exception, né de la tradition. Manuels, ces métiers souvent transmis de génération en génération nécessitent des années de pratique pour atteindre la maîtrise du geste.

Les métiers d’art: entre savoir-faire ancestral et modernité

Les métiers d’art se répartissent en trois grandes familles. L’art du feu, d’abord, qui englobe toutes les techniques d’émaillage: émail peint, cloisonné, champlevé, grisaille ou plique-à-jour. Des spécialités qui évoluent constamment, soit par enrichissement des savoir-faire traditionnels, soit par innovations récentes. Grâce au travail de recherche des artisans de la maison, des techniques ancestrales sont retrouvées ou même réinitiées. Ainsi, l’émail grisaille s’inspire de l’expérience des moines bénédictins.

L’art du métal, ensuite, avec la granulation étrusque et le filigrane. La première consiste à réaliser des billes d’or de tailles différentes, déposées une à une sur des motifs en creux et soudées au laser. «Un cadran de montre passe entre 2000 et 3000 fois sous la flamme», précise-t-on chez Cartier. Le filigrane, technique d’orfèvrerie utilisant des fils d’or ou d’argent fixés par fusion, nécessite une adaptation minutieuse aux dimensions horlogères.

C’est dans l’art de la composition que Cartier pousse le plus loin l’innovation. Cette troisième famille rassemble marqueterie et mosaïque, techniques ancestrales adaptées à l’échelle miniature des cadrans. Les artisans découpent des fragments de textures, couleurs et même matières différentes, qu’ils assemblent selon des motifs complexes. La technique exige une patience infinie. Sur la montre Ronde Louis Cartier Eclats de Panthère de 2022, l’artisan marqueteur a assemblé 124 fragments de paille, de bois, de cristal, de saphir, d’or et de nacre. L’une des prouesses récentes concerne un cadran mosaïque au motif de tigre, comptabilisant près de 500 tesselles miniatures. Entre trente et quarante heures sont nécessaires pour le fond, auxquelles s’ajoutent vingt-cinq à trente heures pour le décor.

Crocodile Cartier

Les métiers d’art se répartissent en trois grandes familles. L’art du feu, d’abord, qui englobe toutes les techniques d’émaillage, l’art du métal, avec la granulation étrusque et le filigrane, et l’art de la composition, qui rassemble marqueterie et mosaïque.

© Cartier

Quand l’innovation sublime la tradition

Le bureau d’études intégré à la Maison des Métiers d’art développe des technologies liées à la microfluidique, à la mécanique, au magnétisme, mais aussi des innovations plus récentes comme l’impression 3D sur or. Cette approche hybride donne naissance à des créations surprenantes, comme la montre Coussin de 2022. «Née d’une conception innovante et totalement inédite, elle repose sur une trame quadrillée composée de mailles d’or pavée de pierres de couleur et de diamants, entourant une structure centrale, non visible et souple.»

Plus spectaculaire encore, la montre Serti Vibrant de 2023 transpose en horlogerie le serti en tremblant utilisé en joaillerie depuis le XIXe siècle. «Cette technique qui maximise l’éclat et la luminosité des gemmes a été transposée à l’horlogerie sous la forme de 123 diamants mobiles répartis dans l’espace d’un cadran de montre.» Au moindre geste, les pierres se mettent à vibrer et à émettre des reflets scintillants, illuminant ainsi le cadran comme s’il s’agissait d’une lumière vivante.

Souvent, un dialogue s’installe entre les artisans de La Chaux-de-Fonds et leurs collègues parisiens des ateliers de haute joaillerie. Ainsi, certaines réalisations sont le fruit de la collaboration entre les gemmologues, chargés de réunir par exemple le nombre de pierres de même couleur nécessaires à la composition d’une création, et le sertisseur ensuite responsable de les fixer sur la pièce, à l’enseigne de la montre joaillière Panthère nécessitant plus de huit cents heures de travail.

Préserver et transmettre un patrimoine vivant

«Transmis oralement le plus souvent, les métiers d’art courent le risque de disparaître au fil du temps. Pour Cartier, il y a une nécessité, un devoir de collecter ces savoir-faire, ce qui permettra aux métiers d’art de traverser le temps et de demeurer un patrimoine plus vivant que jamais», insiste Karim Drici. Cette mission de transmission prend forme concrètement à travers l’Institut Horlogerie Cartier (IHC), créé en 1993 à Couvet. Entre 150 et 200 employés y sont formés chaque année et des stagiaires rejoignent régulièrement la Maison des Métiers d’art.

Onze ans après son inauguration, la Maison des Métiers d’art de La Chaux-de-Fonds a largement tenu les objectifs fixés par Cartier. Les plus de 30 brevets déposés témoignent de son effervescence créative. En parallèle, le lieu sert également de gardien de la mémoire des créations passées de Cartier, en offrant des services de restauration des créations anciennes. Grâce aux différents métiers présents, il est possible de réparer – ou, à défaut, de reproduire à l’identique – toute pièce abîmée ou usée confiée aux soins experts des artisans.

«L’esprit de ce lieu est unique: préserver et transmettre des métiers d’art souvent oubliés ou peu pratiqués, dans une dynamique où l’innovation a toute sa place et vient nourrir la créativité sans limites de la Maison. Nous sommes convaincus que c’est ce dialogue entre tradition et modernité qui permettra aux métiers d’art de traverser le temps et de demeurer un patrimoine plus vivant que jamais», conclut Karim Drici.

Le luxe, mode d’emploi

Préserver
Souvent transmis oralement, les métiers d’art courent le risque de disparaître. Il faut les retrouver et les collecter.

Partager
Afin que ces savoir-faire perdurent, il faut les partager en formant de nouvelles générations d’artisans.

Innover
Faire évoluer les métiers en imaginant d’autres techniques, entièrement nouvelles ou basées sur la tradition.